À son retour, il répondit à une petite annonce et se présenta dans une station-service qui recrutait un pompiste pour remplacer le titulaire durant le mois d’août.
Le patron l’informa que le job était exigeant et la rémunération à la hauteur des efforts attendus. Pour un mois de travail, à raison de six jours par semaine et de dix heures par jour, il lui proposa la somme de cinquante mille francs, payée en espèces, de la main à la main.
Il accepta la proposition et commença à travailler le samedi 1 er août.
La station-service se trouvait sur la chaussée d’Alsemberg, à l’entrée de Braine-l’Alleud. En plus de débiter du carburant, le commerce vendait des palettes de boissons et une station de lavage située à l’arrière permettait aux clients de nettoyer leur voiture en libre-service.
Leurs achats terminés, ils se rendaient dans le bureau pour régler le montant de leur facture à la caissière, une femme d’une quarantaine d’années, laquée et parfumée à outrance.
Durant la journée, le patron courait en tous sens, saluait les clients, aboyait des ordres, faisait irruption dans le bureau, jetait un coup d’œil sur les comptes, ressortait, remerciait les acheteurs et aboyait de nouveaux ordres.
Paniqué à l’idée de se faire braquer, il prélevait régulièrement l’argent liquide et les chèques, prenait la clé accrochée à une cloison du bureau et allait dissimuler les valeurs dans le coffre de sa voiture garée au fond de la cour.
Quand vint la dernière semaine du mois, Franck profita d’une accalmie pour lui parler.
— J’aimerais savoir quand vous comptez me payer.
L’homme le toisa des pieds à la tête comme si la question était déplacée.
— Je te donnerai la moitié jeudi soir, le reste lundi.
Franck n’insista pas.
Quand vint le jeudi soir, le patron lui remit une enveloppe d’un geste hautain. Franck sortit du bureau et compta l’argent. L’enveloppe contenait quinze mille francs.
Il fit aussitôt demi-tour.
— Vous m’aviez dit que vous me paieriez la moitié. Il n’y a que quinze mille francs.
L’homme haussa le ton.
— Trente mille divisés par deux, ça fait quinze mille.
Franck secoua la tête, incrédule.
— Trente mille francs ? Vous m’aviez dit cinquante mille.
Le patron crispa les mâchoires.
— Je t’ai dit que tu aurais cinquante mille francs si tu bossais bien. Tu es arrivé plusieurs fois en retard et tu as fait des erreurs qui m’ont coûté une fortune.
Franck sortit du bureau, la rage au cœur.
Le lendemain, il revint travailler en faisant mine d’avoir digéré l’affront.
À plusieurs reprises, il chronométra le temps que mettait le patron pour déposer l’argent dans sa voiture et la caissière pour satisfaire un besoin naturel.
Vers 17 heures, la femme quitta le bureau et prit la direction des toilettes.
Franck se précipita et prit la clé. Il ressortit, pressa le pas et ouvrit le coffre de la voiture du patron. Une pochette en plastique était dissimulée sous la roue de secours.
Il la glissa sous sa chemise, referma le coffre et laissa la clé sur la serrure.
Son cœur battait à tout rompre.
La caissière était de retour et le patron discutait avec un client. Il s’éloigna de quelques pas, jeta un coup d’œil autour de lui et plongea son butin dans un sac en toile. Le dos trempé de sueur, il agrippa le sac par la bandoulière, fit de grands moulinets de bras et le catapulta par-dessus le mur d’enceinte.
Le sac s’envola dans les airs et retomba dans un champ de maïs situé à l’arrière de la station-service.
Une demi-heure plus tard, le patron cria après lui.
— Franck, tu n’as pas vu mes clés ?
Franck s’approcha.
— Quelles clés ?
Le patron et la caissière semblaient catastrophés.
— Mes clés. D’habitude, elles sont accrochées à la cloison.
Franck prit l’air innocent.
— Non, je ne les ai pas vues.
L’homme bondit.
— Nom de Dieu !
Il se précipita dans la cour et revint quelques instants plus tard, le visage blême.
— On a volé l’argent.
Franck sentit des fourmillements dans ses mains. Les dés étaient jetés, il ne pouvait plus faire marche arrière.
— Quel argent ?
Le patron ne l’écoutait plus et partit téléphoner.
La police débarqua sur les lieux. La caissière était au bord des larmes et le patron effondré.
Les policiers prirent Franck à part et lui posèrent quelques questions. Il se contenta de répondre qu’il ne savait pas qu’il y avait de l’argent dans la voiture et qu’il n’avait rien vu.
Le soir, alors que tout le monde dormait chez lui, il s’équipa d’une lampe de poche, d’une pelle pliable et d’un Tupperware, puis il sortit en silence. Il grimpa sur son vélo et prit la direction d’Alsemberg.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour localiser le sac dans le champ. Il mit l’argent dans le Tupperware et reprit la route. Sur le chemin, il enterra le récipient au pied d’un arbre, dans un sous-bois qui jouxtait les installations du golf de Sept Fontaines.
Lorsqu’il arriva à la station-service le lendemain, deux policiers en civil l’attendaient.
L’un d’eux l’interpella d’un ton rude.
— Toi, tu nous suis.
Franck feignit la surprise.
— Et mon travail ?
— Ne t’occupe pas de ton travail, on sait que c’est toi le voleur. Tu nous suis.
Ils l’emmenèrent au commissariat. Il subit un long interrogatoire, mais tint bon, répétant sans cesse qu’il n’avait rien vu et qu’il n’avait rien à se reprocher.
À la mi-septembre, Franck entra à l’ICHEC, l’Institut catholique des hautes études commerciales. Il attendit la fin du mois pour récupérer le Tupperware. Celui-ci contenait près de trois cent mille francs en espèces et une vingtaine de chèques inutilisables.
Durant les semaines qui suivirent, il ne fit aucune dépense voyante ou excessive. En décembre, il s’offrit son premier costume sur-mesure, un Smalto noir cintré à deux boutons. Le reste de l’argent lui permit de jouer au séducteur et d’inviter les plus belles filles de l’université dans les restaurants huppés de la capitale.
Quand le dernier centime du dernier franc eut terminé sa course dans une boutique de mode de l’avenue Louise, il rentra chez lui, sortit son Smalto, sa plus belle chemise et sa cravate la mieux assortie.
Il se coiffa, se rasa et s’habilla avec minutie. Il se plaça ensuite devant le miroir et tourna plusieurs fois sur lui-même en admirant sa silhouette.
L’examen terminé, il se mit à chantonner.
— Et maintenant, que vais-je faire ?
11
Elle n’est pas revenue depuis
J’entre l’adresse du domicile des Bachir dans le système de navigation et prends la direction de la gare du Midi.
Sept minutes plus tard, je descends la rue Gustave-Defnet au ralenti, à la recherche d’une hypothétique place de parking. Comme la plupart des rues de Saint-Gilles, elle est bordée de modestes maisons de trois ou quatre étages aux façades de briques ornées de balconnets en fer forgé.
À première vue, elles ont l’air d’avoir été construites par le même architecte dans les années 1920, mais chacune d’elles possède ses particularités : la tonalité des pierres de parement, la couleur des volets, celle des châssis, la largeur de la porte d’entrée ou, de manière plus prosaïque, son bon état ou son degré de délabrement.
Je fais deux fois le tour du pâté de maisons avant de me garer sur un emplacement interdit.
Une grande partie de la population saint-gilloise est issue de l’immigration de travail qui a eu lieu dans les années cinquante. Les Italiens, les Espagnols et les Portugais ont été les premiers à s’installer dans le quartier. Plus tard, les Marocains et les Algériens les ont rejoints.
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