Bien sûr, il ne croyait pas vraiment à tous les mensonges qu’il pouvait se raconter.
Mais malgré ce qui se passait dans sa tête, il fallait que la vie continue. Il se força à se lever, à enfiler un jean et une chemise. Il remit les objets dans sa boîte, la ferma à clé et la remit sous le lit.
Dans la salle de bains, il se brossa les dents et se passa de l’eau froide sur le visage avant de traverser le couloir jusqu’à la cuisine, juste à temps pour voir Maya refermer la porte du four et mettre le minuteur.
Zéro fronça les sourcils. “Qu’est-ce que tu fais ?”
Elle haussa les épaules et repoussa les mèches sur son front. “Je mets juste la volaille dans le four.”
Il cligna des yeux. “Tu fais cuire la dinde ? C’est un truc que t’apprend West Point ?”
Maya esquissa un sourire. “Non.” Puis, elle brandit son téléphone. “Mais Google, si.”
“Bon… ok. Dans ce cas, je crois que je vais faire un peu de café.” Il fut à nouveau agréablement surpris de constater qu’elle en avait déjà fait couler. Maya avait toujours été aussi indépendante qu’intelligente. Mais, pour lui, son comportement était presque comme si elle essayait de reprendre du poil de la bête. Il ne put s’empêcher de se demander si elle se sentait aussi impuissante que lui au sujet de Sara. Peut-être était-ce sa façon de montrer son soutien.
Aussi, il décida de ne pas s’en mêler et de la laisser faire comme elle voulait. Il prit un tabouret au comptoir et but son café, essayant de chasser de sa tête ses désagréments du réveil. Quelques minutes plus tard, Sara débarqua dans la cuisine, encore en pyjama, les yeux à moitié ouverts, avec ses cheveux rouge-blonds ébouriffés.
“Bonjour,” dit joyeusement Maya.
“Joyeux Thanksgiving,” ajouta Zéro.
“Mmh,” marmonna Sara en se traînant jusqu’à la cafetière.
“Toujours pas du matin, hein, Pouêt-Pouêt ?” la taquina gentiment Maya.
Sara grommela autre chose, mais il vit l’ébauche d’un sourire sur ses lèvres en entendant son surnom d’enfance. Il sentit une chaleur le gagner intérieurement, et ce n’était pas seulement dû au café. C’était cette sensation dont il avait manqué depuis un certain temps, la sensation d’être vraiment à la maison.
Et puis, évidemment, son téléphone mobile sonna.
L’écran lui indiqua que c’était Maria qui appelait et il fit la grimace. Il avait oublié de lui envoyer l’heure et l’adresse pour venir aujourd’hui. Puis, il paniqua à nouveau. Ce n’était pas son genre d’oublier quelque chose comme ça. Était-ce un autre symptôme de son système limbique malade ? Et s’il ne l’avait pas vraiment oublié, mais que ça avait été éjecté de son esprit, tout comme le prénom de Kate ?
Calme-toi , s’ordonna-t-il. C’est juste une petite absence, rien de plus.
Il prit une profonde inspiration, puis répondit au téléphone. “Je suis vraiment désolé,” dit-il immédiatement. “J’étais censé t’envoyer un message, et ça m’est complètement sorti de la tête…”
“Ce n’est pas pour ça que j’appelle, Kent.” Maria avait l’air grave. “Et c’est moi qui devrais m’excuser, parce que j’ai besoin que tu viennes.”
Il fronça les sourcils. Maya le remarqua et imita son expression, alors qu’il se levait de son tabouret pour s’éloigner dans la pièce adjacente. “Que je vienne ? Tu veux dire à Langley ?”
“Oui, je suis désolée. Je sais que le moment ne pourrait pas être plus mal choisi, mais j’ai un problème et il faut que tu assiste à ce briefing.”
“Je…” Sa première idée fut de refuser catégoriquement. Non seulement, c’était un jour férié, et non seulement il gérait toujours la convalescence de Sara, mais Maya lui rendait visite pour la première fois depuis longtemps. Et il ne parlait même pas de sa profonde inquiétude au sujet de cette terrifiante perte de mémoire. Aussi, Maria avait raison : ça ne pouvait pas plus mal tomber.
Il faillit lâcher, “ Je dois vraiment venir ? ” mais il tint sa langue par peur que les mots ne sortent sur un ton trop énervé.
“Je n’ai pas envie de faire ça plus que toi,” dit Maria avant qu’il n’ait eu le temps de réfléchir à un moyen de refuser. “Et je ne veux vraiment pas abuser de ma position.” Zéro comprit clairement cette phrase-là : Maria lui rappelait qu’elle était sa boss à présent. “Mais je n’ai pas le choix, ça ne vient pas de moi. Le Président Rutledge t’a demandé personnellement.”
“Il m’a demandé, moi ?” répéta Zéro d’un air étonné.
“Eh bien, il a demandé ‘l’homme qui a dévoilé l’affaire Kozlovsky,’ donc c’est à peu près ça…”
“Il parlait peut-être d’Alan,” suggéra Zéro avec un infime espoir.
Maria rigola doucement, même si ça sortit plus comme un léger soupir. “Je suis désolée, Kent,” dit-elle pour la troisième fois. “Je vais essayer de faire en sorte que le briefing soi court, mais…”
Mais ça veut dire que je vais être envoyé sur le terrain. Le message sous-jacent était clair comme le jour. Et le pire, c’était qu’il n’avait aucune excuse ou alibi pour décliner. Il était sous le joug de la CIA à cause de ce qu’il avait fait, maintenant plus que jamais, et il ne pouvait pas vraiment dire non au président qui était, sans aucun conteste, le boss du boss de sa boss.
“Ok,” concéda-t-il. “Donne-moi trente minutes.” Il raccrocha et gémit doucement.
“C’est bon.” Il se retourna d’un coup, et vit que Maya se tenait juste derrière lui. L’appartement n’était pas assez grand pour que cet appel ait été discret, et il était sûr qu’elle avait pu deviner la nature de la conversation, même en n’ayant entendu que ses paroles à lui. “Va faire ce que tu dois faire.”
“Ce que je dois faire,” dit-il fermement, “c’est rester ici avec Sara et toi. C’est Thanksgiving, nom de dieu…”
“Apparemment, tout le monde n’a pas eu l’info.” Elle faisait la même chose qu’il avait tendance à faire, à savoir noyer le poisson avec un peu d’humour. “C’est bon. Sara et moi allons nous occuper du dîner. Reviens dès que tu pourras.”
Il acquiesça, reconnaissant pour sa compréhension, alors qu’il aurait voulu en dire plus. Mais, finalement, il se contenta de murmurer “Merci” et se dirigea dans sa chambre pour changer de vêtements. Il n’y avait rien de plus à dire, car Maya savait tout aussi bien que lui que sa journée finirait certainement à bord d’un avion, plutôt qu’en train de fêter Thanksgiving avec ses filles.
Quiconque songeant à l’expression “L’Amérique du Centre,” aurait des images en tête extrêmement proches de ce qu’on pouvait trouver à Springfield, Kansas. C’était une ville entourée de terres agricoles en pente douce, un endroit où le nombre de vaches dépassait celui des habitants, tellement bas qu’on pouvait rouler longtemps avant de rencontrer âme qui vive. Certains auraient trouvé l’endroit idyllique, d’autres l’auraient qualifié de charmant.
Samara le trouvait dégoûtant.
Il y avait quarante-et-une communes et villes aux États-Unis qui s’appelaient Springfield, ce qui rendait non seulement cette ville banale, mais particulièrement mal inspirée. Sa population était d’environ huit-cents personnes. Sa rue principale était constituée d’un bureau de poste, d’un bar et grill, d’une épicerie, d’une pharmacie et d’un magasin d’alimentation.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, c’était l’endroit idéal.
Samara tira ses cheveux roux flamboyants en arrière et les attacha en queue de cheval, exposant ainsi le petit tatouage sur sa nuque, le simple et unique caractère signifiant “feu” qui se translittérait en Pinyin par Huŏ, le surnom qu’elle avait pris depuis sa défection.
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