1 ...8 9 10 12 13 14 ...20 Parfois, ça suffisait à lui donner envie d’abandonner. Et il savait très bien qu’il le pourrait. Rutledge pouvait nommer Barkley comme Vice-Présidente, obtenir le vote d’approbation du Congrès, puis démissionner, faisant de Barkley la première femme Présidente des États-Unis. Il pourrait le justifier par le flot d’événements qui avait entouré son arrivée au pouvoir. Et il serait félicité, du moins l’imaginait-il, pour avoir mis une femme à la Maison Blanche.
C’était tentant, surtout quand on se réveillait en apprenant la nouvelle d’une attaque terroriste le matin de Thanksgiving.
Rutledge boutonna sa chemise et noua sa cravate bleue, mais décida de faire l’impasse sur la veste et releva plutôt ses manches. Un assistant débarqua avec un chariot à roulettes sur lequel se trouvait du café, du lait, du sucre, ainsi qu’un assortiment de pâtisseries. Mais il se versa simplement un mug de café noir qu’il emporta avec lui, escorté par deux agents stoïques des Services Secrets, alors qu’il se dirigeait vers la Salle de Crise.
C’était encore une chose à laquelle il devait s’habituer : être accompagné en permanence, être toujours surveillé, et ne jamais vraiment être seul.
Les deux agents en costumes sombres descendirent les marches à sa suite et l’escortèrent le long d’un couloir où trois autres agents des Services Secrets étaient postés, chacun hochant la tête à son tour en murmurant “Monsieur le Président.” Ils s’arrêtèrent devant une double porte en chêne, l’un des agents prenant position en joignant ses mains devant lui, tandis que l’autre ouvrait la porte pour Rutledge, lui donnant accès à la Salle de Conférence John F. Kennedy, un centre de commandement et de renseignement de mille-cinq-cents mètres carrés au sous-sol de l’aile gauche de la Maison Blanche, plus généralement connue sous le nom de Salle de Crise.
Les quatre personnes déjà présentes se levèrent pendant qu’il faisait le tour de la table pour prendre place au bout. À sa gauche, se trouvait Tabby Halpern et, à côté d’elle, le Secrétaire de la Défense Colin Kressley. Le Secrétaire d’État et le Directeur du Renseignement National étaient notablement absents, ayant été envoyés à Genève pour parler aux Nations Unies de la guerre commerciale en cours avec la Chine et de comment elle pourrait impacter les importations européennes. À leur place, était venu le Directeur de la CIA Edward Shaw, un homme à l’air sévère que Rutledge n’avait jamais vraiment vu sourire. Et à côté de lui se trouvait une femme blonde, pas loin de la quarantaine, à l’allure professionnelle et absolument sublime. En croisant ses yeux gris, un éclair de reconnaissance le traversa. Rutledge l’avait déjà rencontrée, lors de son investiture peut-être, mais il ne se souvenait pas son nom.
Comment ils s’étaient tous rassemblés si vite, impeccablement habillés et paraissant tellement alertes, le déconcertaient. L’œil vif et le poil brillant , comme disait sa mère. Rutledge se sentit soudain complètement débraillé avec ses manches retroussées et sa cravate mal serrée.
“Veuillez prendre place,” dit Rutledge en s’asseyant lui-même dans un fauteuil en cuir noir. “Nous devons donner à cette affaire l’attention qu’elle mérite, mais il y a des endroits où nous préférerions tous être aujourd’hui. Alors, allons droit au but.”
Tabby fit un signe de tête à l’attention de Shaw, qui croisa ses mains sur la table. “Monsieur le Président,” commença le directeur de la CIA, “à une heure la nuit dernière, un incident s‘est produit à La Havane, à Cuba, très précisément en bordure nord du port, dans un endroit appelé le Malecón, une zone touristique populaire. En l’espace d’environ trois minutes, plus de cent personnes ont subi un ensemble de symptômes allant des vertiges et nausées à une perte permanente d’audition, de vision, entraînant même la mort dans un cas, malheureusement.”
Rutledge regardait dans le vide. Quand Tabby avait parlé de suspicion d’attaque terroriste, il avait pensé qu’une bombe avait explosé ou que quelqu’un avait ouvert le feu dans un lieu public. C’était quoi ces symptômes, la perte d’audition et tout le reste ? “Excusez-moi, Directeur, je ne suis pas sûr de vous suivre.”
“Monsieur,” dit la femme blonde à côté de lui. “Je suis la Directrice Adjointe Maria Johansson, du Groupe des Opérations Spéciales de la CIA.”
Johansson, voilà, c’est ça. Rutledge se rappela soudain l’avoir déjà rencontrée comme il le pensait, le jour de son investiture.
“Ce que le Directeur Shaw décrit,” poursuivit-elle, “indique l’usage d’une arme ultrasonique. Ce type de concentration sur une zone restreinte dans un laps de temps aussi limité crée des paramètres assez précis pour que nous puissions penser que c’était une attaque ciblée.”
Mais, pour Rutledge, ça n’expliquait pas grand-chose. “Je suis désolé,” dit-il à nouveau, se sentant comme le cancre de la salle. “Avez-vous dit arme ultrasonique ?”
Johansson acquiesça. “Oui, Monsieur. Les armes ultrasoniques sont généralement utilisées pour neutraliser sans tuer. La plupart des bateaux de notre Navy en sont équipés. Les navires de croisière les utilisent pour se défendre contre les pirates. Mais en se basant sur nos connaissances de ce qui s’est produit à Cuba, il s’agit de quelque chose à la portée bien plus large et bien plus puissante que ce qu’emploient nos militaires.”
Tabby se râcla la gorge. “La police de La Havane a collecté les rapports d’au moins trois témoins oculaires qui affirment avoir vu un groupe d’individus masqués charger un ‘objet étrange’ sur un bateau, juste après l’attaque.”
Rutledge se frotta les tempes. Une arme ultrasonique ? On aurait dit un truc tout droit sorti d’un film de science-fiction. Il ne cesserait jamais d’être étonné et déconcerté par la créativité dont les humains faisaient preuve pour se faire du mal et se tuer les uns les autres.
“Je suppose que vous ne croyez pas qu’il s’agisse d’un incident isolé,” dit Rutledge.
“Nous aimerions le croire, Monsieur,” dit Shaw. “Mais nous ne pouvons pas nous le permettre. Cette arme et les gens qui la possèdent sont quelque part dans la nature.”
“Et le lieu de cette attaque,” intervint Johansson, “nous apparait aléatoire. Nous ne voyons pas la motivation de cibler La Havane ou une autre destination touristique, à part la facilité d’accès et de fuite qui, dans un cas comme celui-là, indique généralement que c’est un coup d’essai.”
“Un coup d’essai,” répéta Rutledge. Il n’avait jamais servi dans l’armée, ni été employé dans le renseignement ou les opérations sous couverture, mais il comprenait parfaitement que la directrice adjointe suggérait qu’il s’agissait d’une première attaque et qu’il y en aurait d’autres. “Et je suppose que je dois comprendre que certaines des victimes étaient américaines.”
Tabby acquiesça. “En effet, Monsieur. Deux personnes ont perdu la vue. Et la seule victime décédée est une jeune femme américaine…” Elle consulta ses notes. “ Megan Taylor, du Massachusetts.”
Rutledge n’était pas préparé à gérer ça. C’était déjà bien assez fâcheux qu’il n’ait pas nommé de vice-président, une décision qu’il reportait parce qu’il n’avait pas assez confiance en lui pour ne pas démissionner immédiatement. C’était déjà bien assez fâcheux qu’il soit sous la lentille d’un microscope, non seulement de la part des médias, mais pratiquement du monde entier à cause des indiscrétions de ses deux prédécesseurs. C’était déjà bien assez fâcheux que le nouveau, et apparemment irrationnel, leader chinois ait initié une guerre commerciale contre les USA en imposant des tarifs toujours plus élevés sur la quantité massive d’exportations fabriquées là-bas, et qui laissait présager de causer une inflation galopante et de déstabiliser potentiellement l’économie américaine sur le long terme.
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