— Écoutez Dudly, fit-il. Vous m’avez engagé pour que je vous retrouve Dorman et non pour que je vous le surveille, ainsi que vous le prétendez… Je l’ai retrouvé. Je vous ai prévenu illico du lieu où il était descendu… C'est vrai, n’est-ce pas ? Bon, à partir de cet instant, ma mission était terminée. Vous me devez le reste de mon cachet… Et je puis dormir tout mon saoul si ça me fait plaisir, vous m’entendez, Dudly…
Dudly ne répondit que par un haussement d’épaules.
Il semblait penser à autre chose. Il s’approcha de la fenêtre. Puis du lit.
— Non, Beuck, vous ne dormiez pas, fit-il.
— Vous dites ? bredouilla le gros homme.
— Je dis que vous ne dormiez pas. Ne me racontez pas de sornettes !
Il désigna l’oreiller.
— Vous avez la tête grasse comme un beignet ! Or votre oreiller est aussi net que l’enfant qui vient de naître. De plus, il y a de la buée dans l’angle de la fenêtre. Dans l’angle seulement. Cette buée a été produite par votre respiration… Vous êtes resté un bon moment là. Et vous y étiez embusqué, puisque cette buée est à mi-hauteur. Vous étiez embusqué parce que vous surveilliez la rue…
Il se mordit le coin de la bouche.
— Et pourquoi surveilliez-vous la rue, hein, Beuck, si ce n’était pour guetter la police ?
Dudly alluma une cigarette, s’assit sur le lit et ramena ses jambes sur le couvre-lit.
— Vous guettiez la police tout bonnement parce que c’est vous qui avez balancé Dorman. Les flics de par ici ne sont pas des champions. D’autre part, je ne vois guère comment on aurait découvert un cadavre dans une bagnole… Dorman n’est pas un génie, mais il n’est pas gland au point de laisser un macchabée dans une bagnole s’il est susceptible d’être vu… Il avait au moins recouvert le cadavre et bouclé la bagnole à clef… Allons, voyons… Ce n’est pas ton avis, Carlo ?
Carlo fit un signe d’assentiment. Comme par enchantement, il s’était interposé entre la porte et le gros homme.
Beuck sentit que ça allait mal, très mal tourner. Il avait voulu tout arranger, mais, décidément, Dudly était un type trop fort pour lui.
Dudly était trop fort pour tout le monde.
Avec lui, il ne fallait prendre aucun risque… Aucun, ou alors il vous arrivait les pires ennuis.
Beuck savait qu’il était dans le pétrin. Ça n’était pas un courageux. De la sueur se mit à couler sur ses tempes.
Dudly ne le regardait plus.
— Je me demande, murmura-t-il comme se parlant à lui-même, je me demande pourquoi vous avez balancé Dorman, Beuck. Quel intérêt aviez-vous à ce que ce type m’échappe ? Ça n’est pas votre fils illégitime, que je sache, ou un petit cousin éloigné. Certes non, car vous l’auriez prévenu… Donc, vous aviez un intérêt à ce que je ne puisse pas lui parler…
Il fit claquer ses doigts.
— Carlo, veux-tu regarder dans le portefeuille de monsieur, je te prie.
Carlo s’approcha du gros homme.
— Ne me touchez pas ! râla Beuck.
Il fit un geste pour saisir son revolver, mais Carlo l’avait ceinturé par-derrière.
Il pouvait se dégager, car il était très fort et connaissait toutes les règles du judo, mais il y renonça. Non, il ne serait pas le plus fort contre Dudly.
Mieux valait accepter sa défaite.
Il se laissa fouiller.
Carlo attrapa le portefeuille et le lança à son chef ; puis il repoussa Beuck d’une bourrade.
Dudly ouvrit le portefeuille après l’avoir palpé. Ce dernier était gras à souhait. Gras de la superbe liasse que l’ancien policier lui avait confiée.
Le chef de gang poussa un petit sifflement connaisseur.
— Bigre ! fit-il, les affaires marchent, à ce que je vois…
Il examina la liasse.
— De l’argent canadien, murmura Dudly. Je comprends tout, maintenant.
Il se mit à jouer avec les coupures, les froissant et les redéfroissant d’un petit air mutin.
— Dorman, en faisant son affaire à la fille de la bagnole, lui a raflé son magot. Vous avez su ça, et l’idée vous est alors venue de mettre la main sur le crapaud. Cela corsait votre revenu dans l’affaire. Seulement, Dorman n’aurait pas manqué de me parler du fric… Vous ne vouliez pas que je sache ça, n’est-ce pas ? Et vous avez donné Dorman aux flics pour en rester là…
Dudly fixa durement l’ancien policier.
— Vous êtes un drôle de type, Beuck… À votre âge, on devrait avoir pourtant le sens de ce qui ne se fait pas. C'est un petit jeu dangereux…
Il se leva.
— … et qui peut vous coûter cher.
Il secoua la cendre de sa cigarette.
— Très cher !
Beuck avait des larmes de rage et d’effroi dans les yeux.
— Je regrette, Dudly, fit-il piteusement. Comprenez-moi : je n’ai pas voulu vous doubler… Seulement, vous le savez : j’aime l’argent. Lorsque j’ai vu ce paquet de fric dans les mains de Dorman, je… j’ai perdu la tête… Je la lui ai fauché tout à l’heure, tandis qu’il dormait. Et puis, après, j’ai eu peur… peur de vous, car je vous connais. Alors, j’ai… j’ai perdu la tête, oui, comme un gamin… Je vous demande pardon.
Dudly ricana :
— Un tas de types m’ont déjà demandé pardon, Beuck. Mais, dans mon travail, le pardon est une chose inconnue.
Il leva la main et gifla le gros homme avec une force telle que Beuck chancela.
Il le gifla à nouveau d’un revers. Puis il lui administra un coup de genou dans le bas-ventre. Le policier eut un ahan rauque et se courba en deux.
Dudly s’écarta.
— Carlo, fit-il, ce tas de viande me fatigue, veux-tu le corriger très sévèrement, je te prie ?
Carlo n’attendait que ça.
Il repoussa lentement Beuck contre le mur, car il n’aimait pas les cibles mouvantes. Lorsque le gros policier fut acculé à la cloison, il lui assena un coup de tête effroyable en pleine poitrine. Ce coup ressemblait à l’assaut d’un bélier furieux, et, de fait, Carlo l’avait baptisé le « coup du mouton » !
Beuck en perdit le souffle. L’autre ne lui laissa pas le temps de récupérer. Il lui lança un gauche-droite à la face.
Carlo, rongé par la tuberculose, n’avait pas de muscles, ses coups ne valaient que par le nerf qu’il y mettait. Ils firent pourtant très mal à Beuck.
La tête de celui-ci partit en arrière et heurta le mur, qui vibra.
— N’ameute pas le personnel de l’hôtel, conseilla Dudly.
Il fallait agir en douceur.
Comme l’avait fait précédemment son chef, Carlo envoya son genou dans le ventre de Beuck.
Ce dernier poussa un gémissement et se cassa en deux.
Un poing s’abattit sur sa nuque. Il s’écroula sur la carpette.
Carlo se retourna vers Dudly d’un air satisfait. Le chef de gang paraissait prendre plaisir à cette petite séance.
— Je continue ? demanda Carlo.
— Parbleu, dit Dudly. Il ne manquerait plus que tu t’arrêtes… Jusqu’ici, tu l’as caressé. Montre-nous un peu ce que tu sais faire…
— Bon, fit Carlo.
Et il ôta sa veste.
* * *
Ce fut une très sévère correction.
Beuck avait l’impression d’être jeté dans un gouffre sans fond. Il ne sentait plus son corps… Il lui semblait rebondir de rocher en rocher, comme un pantin… Il se disloquait !
Vingt fois il fut sur le point de défaillir et crut perdre connaissance. Mais il était solide…
Carlo était en nage. Il le piétinait, lui lançait des coups de pied terribles dans les côtes, dans le visage. La figure de Beuck ressemblait à une éponge trempée dans le sang. Ses yeux étaient fermés, son nez avait doublé de volume, sa bouche était une masse sanguinolente répugnante.
— Ce qu’il est costaud, admira Dudly… Un vrai roc ! Tu lui taperais dessus avec un maillet qu’il ne crèverait pas.
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