Il vit même à nouveau le visage de la morte.
L’autre policier s’avança à son tour, hélé par son collègue.
Puis les deux hommes éteignirent la lumière, refermèrent la porte et tinrent un bref conseil de guerre sur le trottoir.
Ils devaient hésiter à se lancer aux trousses de l’homme que le mystérieux indicateur leur avait annoncé comme étant descendu dans le palace.
Ils devaient se dire que, vu la gravité du cas, ils feraient mieux d’en référer à leur supérieur. Ils craignaient qu’une fausse manœuvre compromît l’arrestation du meurtrier. L’affaire avait l’air assez sensationnelle.
Ils finirent par concilier les points de vue en se divisant en deux : le premier regrimpa dans sa voiture et partit à la recherche de renforts, le second se mit à l’écart sous un porche et attendit, surveillant le véhicule macabre, prêt à intervenir si son conducteur se proposait de repartir avec.
Beuck en piaffait d’impatience !
De son temps, on ne s’embarrassait pas d’un tel luxe de précautions : on fonçait dans le brouillard et tant pis s’il y avait de la casse !
Ce que les flics canadiens pouvaient être timorés, juste ciel !
Ça allait prendre combien de temps, cette plaisanterie ? Ils allaient peut-être téléphoner à la reine d’Angleterre pour savoir s’ils devaient ou non procéder à l’arrestation d’un dangereux criminel ?
Que d’histoires !
Beuck avait brouillé les cartes. Après tout, s’il avait eu une conscience, celle-ci eût été en paix. Dudly l’avait engagé pour qu’il retrouve Dorman et il l’avait retrouvé… De ce côté-là, on ne pouvait rien lui reprocher. Non, rien…
Il eut envie d’allumer une cigarette, mais il y renonça en songeant que la petite lueur incandescente risquerait de se voir d’en bas.
Il n’avait plus à se manifester du tout.
Il avait jeté des dés pour le compte des autres l’issue de la partie ne l’intéressait pratiquement plus.
CHAPITRE XII
Dudly se fâche
Dudly et son fidèle Carlo débarquèrent à l’aéroport de Toronto plus rapidement qu’ils ne l’escomptaient. L'avion-taxi frété par le gangster était un appareil ultramoderne et son pilote connaissait son affaire.
Ils sautèrent dans un taxi.
— Hôtel du Lac, ordonna Dudly, et rapidement, s’il vous plaît !
Un petit quart d’heure plus tard, l’automobile stationnait devant l’hôtel.
Dudly fronça les sourcils. Une agitation insolite régnait dans la rue aux alentours de l’hôtel. Il y avait des flics plein le hall.
Les deux hommes se regardèrent d’un air interrogateur.
— Que se passe-t-il ? demanda Carlo d’une voix qui reflétait son malaise.
Dudly hocha du chef.
Il n’aimait pas beaucoup ça.
Au lieu de demander Beuck, comme il avait l’intention de le faire à l’arrivée, il entraîna son second derrière une haie de plantes vertes. Là se trouvait un vaste canapé.
Ils y prirent place.
D’où ils étaient, ils pouvaient observer tous les faits et gestes des gens de l’hôtel sans attirer l’attention.
Un court instant s’écoula, puis l’ascenseur bourré de flics redescendit.
Cette escouade de policiers s’avança vers la sortie. Au milieu d’eux, il y avait Dorman… Un Dorman en pyjama, sur les épaules duquel on avait en hâte jeté un imperméable… Un Dorman au visage presque tragique, aux traits tirés, à la bouche mauvaise.
— Oh ! Tonnerre de Dieu ! gronda Dudly. Il ne manquait plus que ça !
Vraisemblablement, cet homme sans argent avait fait un coup à l’envers… Il le fallait, pour descendre dans un hôtel aussi luxueux.
Il regarda le groupe s’éloigner. Une rage froide lui mordait le cœur. Cet homme avec lequel il aurait aimé converser à n’importe quel prix lui échappait. Et il lui échappait de la façon la plus idiote, la plus incontestable : entre des flics !
Sans le savoir, Dorman avait de la chance.
Lorsque le calme fut revenu dans l’hôtel, Dudly s’avança vers le guichet de la réception.
— Avez-vous un M. Beuck ? demanda-t-il.
— Parfaitement, monsieur ; chambre 118… Vous voulez lui parler ?
— J’ai fait un voyage de plusieurs centaines de kilomètres tout exprès pour ça !
— Qui dois-je annoncer ?
— Dites-lui seulement deux messieurs…
L’employé leur jeta un regard réprobateur. Il n’aimait pas beaucoup qu’on lui parlât sur ce ton.
— Très bien, dit-il néanmoins en introduisant une fiche dans un des trous du standard.
Il dit quelques mots et se retourna.
— Vous pouvez monter ! annonça-t-il.
Dudly et Carlo s’engagèrent alors dans l’ascenseur.
— Nuit mouvementée, hé ? dit le gangster au liftier. Qui est ce type qu’on vient d’emmener ?
Le gamin haussa les épaules.
— Un assassin, dit-il. Il a tué une fille pour lui faucher sa guinde. Et il devait être né sans cervelle, ce mec-là, car figurez-vous qu’il avait laissé le cadavre juste devant l’hôtel, dans la bagnole. Je vous demande un peu…
Dudly et Carlo convinrent, en leur for intérieur, que ce Dorman était une fameuse cloche. Ça n’est pas eux qui auraient commis une de ces bourdes-là !
Ils trouvèrent aisément le 118, qui se trouvait à deux pas de l’ascenseur.
Ils n’eurent pas besoin de frapper. Beuck leur ouvrit en entendant approcher leurs pas sur le tapis du couloir.
Afin d’éviter des questions gênantes de Dudly, il avait décidé de jouer l’ignorant et le type qui dort.
Pour ce faire, il s’était ébouriffé les cheveux et clignotait des paupières comme un oiseau de nuit réveillé pendant le jour.
— Salut, dit sombrement Dudly.
Il entra sans y être invité.
Carlo jeta au policier un regard noir qui ne présageait rien de bon.
Beuck en éprouva une certaine inquiétude. Il avait assisté, tapi au fond de sa chambre, à l’arrestation de Dorman. Il avait entendu le remue-ménage… Il savait que Dudly était au courant de cette arrestation.
Il fallait absolument qu’il joue son rôle d’homme triomphant.
— Alors ? fit-il. Je crois que je ne suis pas une lavette, soit dit sans me vanter. Non mais, vous avez vu avec quelle maestria je l’ai retrouvé, votre lièvre ?
— Oui, fit Dudly, c’était du bon boulot, seulement il est très dommage que ça n’ait servi à rien. J’aurais aussi bien pu attendre demain pour avoir des nouvelles de Dorman : tous les journaux vont être au courant…
Le gros homme mima admirablement la stupeur.
— Hein ? fit-il.
Puis, comme le silence — un très mauvais silence — s’établissait :
— Du diable si je comprends un mot de ce que vous dites, Dudly. Bon Dieu, je sais que vous n’êtes guère démonstratif, mais je m’attendais à une autre réaction de votre part devant cette victoire…
Il ajouta, d’un air tellement satisfait que tout autre que Dudly en aurait été attendri :
— Car c’en est une ! Et peut-être la plus belle de ma putain de carrière, car elle a été éclair…
Dudly le regarda droit dans les yeux. Ils s’affrontèrent un instant d’un air mauvais.
— Cessez un peu de vous gargariser de vos prouesses, Beuck, énonça froidement Dudly. Vous avez retrouvé Dorman rapidement, c’est exact, mais la police a été aussi maligne que vous, et maintenant ce salopard est au chaud.
— La police ? balbutia Beuck.
— Oui, la vraie… On vient d’emmener Dorman à l’instant, ne le savez-vous pas ?
— Du tout… Je dormais.
— Ah, vous dormiez ! Vous dormiez tandis que l’homme que vous étiez chargé de surveiller se faisait embarquer par les flics ! Pas mal !
Beuck serra les poings.
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