Fred Vargas - Ceux qui vont mourir te saluent

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Claude, Tibère, Néron, les trois étudiants, les trois « empereurs », promènent leur nonchalance inquiète dans les rues de Rome.
Des dessins de Michel-Ange ont été volés à la Bibliothèque vaticane !
Henri Valhubert, le grand expert d'art parisien — et père de Claude — est assassiné un soir de fête devant le palais Farnèse.
Que venait-il faire à Rome et comment a-t-il pu boire de la ciguë ?
Fred Vargas est archéologue.
Ceux qui vont mourir te saluent
L'Homme aux cercles bleus

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— Quel est votre avis ?

— Simple. Maria Verdi n’a rien à voir avec les drames internes de la famille Valhubert. Bien sûr, elle connaissait Gabriella, comme tout le monde au Vatican. Mais ses relations avec les Valhubert s’arrêtent là. Il y a donc toutes les chances pour que Maria Verdi soit morte à cause de la Bibliothèque. C’est elle qui délivrait les fiches de prêt et qui veillait sur les réserves.

— Vous voulez dire qu’on revient à Michel-Ange ?

— Après un long détour, oui. Il faut croire que le motif invoqué par Henri Valhubert pour son voyage était bien le bon, et que le voleur se sentant talonné s’est débarrassé de lui aussitôt. Tout laisse penser, à présent, que Maria Verdi, mise en alerte depuis ce meurtre, a découvert quelque chose de précis concernant ces vols et qu’elle s’est sans doute trahie par bêtise. Tout le monde s’accorde à dire qu’elle n’avait pas inventé la bougie. J’incline à penser que le voleur devait être un usager qu’elle connaissait bien, voire qu’elle aimait bien, et qu’elle aura tenté de lui parler pour l’amener à raison, avec la confiance candide qui semblait être son lot.

— En ce cas, l’évêque ne pourrait-il pas nous aider à nouveau ?

— Je l’ai fait appeler dès la découverte du cadavre de Maria Verdi. J’ai tâché de le faire parler mais il reste sombre. Peut-être Maria Verdi lui avait-elle confié quelque chose, peut-être que non. Pour le moment, il se tait, il dit qu’il ne voit pas quoi dire. S’il continue à faire cavalier seul, c’est lui qui va se trouver en danger. Si je suis bien renseigné, il s’est présenté hier matin à votre hôtel pour vous parler en urgence, n’est-ce pas ?

— Vous êtes bien renseigné, mais je ne l’ai pas reçu. Je l’ai revu le soir, mais il avait décidé en dernier ressort de tout garder pour lui.

— Il doit avoir une excellente raison de se taire, et ce n’est certainement pas la peur d’être à son tour assassiné. Tel que je perçois l’homme, il ne manque pas de courage physique. En revanche, il est capable d’attachements profonds, on en a des exemples avec Gabriella ou avec les trois jeunes gens qui se sont placés sous son aile.

— Ou avec Laura Valhubert.

— Bien sûr. En outre, c’est un homme à qui la pratique du confessionnal a manifestement donné une conception toute personnelle de la justice, et du bien et du mal. Ce que nous nommerions complicité, il l’appellerait respect de la confession. J’imagine que pour lui, les fautes peuvent être traitées directement avec l’essence divine, sans en passer par le tribunal terrestre. Je le crois donc capable, pour toutes ces raisons, de se taire pour protéger quelqu’un qui lui tiendrait à cœur. Et je crains que rien ne puisse ébranler ce genre de mutisme.

— Qui protégerait-il ?

Ruggieri écarta les mains avec un soupir.

— L’évêque a beaucoup d’amis, c’est tout ce qu’on peut dire.

— Quel est votre programme ?

— À cinq heures, on procède à la perquisition au domicile de Maria Verdi. Voici l’adresse, si ça vous tente. Elle n’a pas de famille, pas de confident, en bref, personne qu’on puisse interroger autour d’elle. Que vouliez-vous me dire de si important ce matin ?

Valence s’appuya contre le dossier de sa chaise. La valise de Laura Valhubert qui est légère au départ et lourde au retour. Son alibi truqué le soir du meurtre, les rapports du détective Martelet. Il avait envie de garder tout ça pour lui, car pour l’instant, il ne voyait pas de place pour le cadavre de Maria Verdi dans cette construction, même si Laura s’était trouvée précisément à proximité à l’heure du meurtre. Ça viendrait peut-être.

— Ce n’était rien, dit Valence.

— Alors vous aussi, vous vous mettez à vous taire ? C’est une manie. Tout le monde perd la mémoire ici.

— Ne vous énervez pas, Ruggieri.

— Je m’énerve si je veux. Vous n’avez pas l’exclusivité de l’énervement.

XXVI

Tibère attendait Valence devant les bureaux de police, adossé à un réverbère.

— Est-ce que tu as eu le temps de manger aujourd’hui ? lui demanda Valence.

— Oui, mais je peux recommencer.

— Alors viens avec moi. J’ai une bonne heure devant moi avant la perquisition chez Maria Verdi. Tu me suivras aussi là-bas ?

— Je ne crois pas. J’ai un rendez-vous.

— Méfie-toi, Tibère. Je n’ai pas renoncé, au contraire, à la culpabilité de Laura Valhubert.

— Très bien. Je viendrai.

— Cette filature est la meilleure que j’aie subie de ma vie.

— On vous a déjà filé ?

— Jamais.

Richard Valence et Tibère arrivèrent en retard et sans se presser à la perquisition chez Sainte-Conscience-des-Archives. Ils s’étaient installés à une terrasse de café de la place Santa Maria in Trastevere, où Tibère avait entraîné Valence sous prétexte que c’était « la petite place idiote qu’il aimait ». Ils avaient sans se concerter écarté toute discussion heurtée sur l’affaire et ils avaient passé une heure et demie à se concentrer pour décider quelle pouvait être la boisson qui désaltérait le mieux en le moins de temps possible et avec le plus de plaisir. Il ne faut faire varier qu’un seul paramètre à la fois, disait Tibère, au lieu de quoi on emmêle tout. On peut décider d’examiner séparément la question de la couleur du liquide, ou des bulles, ou de l’amertume, par exemple. Les bulles font perdre du temps quand on boit, remarqua Valence. C’est vrai, admit Tibère en arrivant à la hauteur de l’attroupement policier qui cernait l’immeuble de Sainte-Conscience, mais qu’est-ce qui prouve que c’est la vitesse d’absorption qui désaltère ? Rien. On a posé ça comme postulat de départ, mais on ne l’a pas prouvé.

— Attends-moi un instant, dit Valence en le retenant par le bras. Il se passe quelque chose d’anormal ici. Reste là, tu n’es pas autorisé à m’accompagner.

— Ce n’est pas utile de me dire d’attendre, dit Tibère en s’asseyant sur une voiture. Tant que vous n’aurez pas lâché Laura, je ne vous quitterai pas parce que je ne vous fais pas confiance.

— Excellentes dispositions, Tibère.

Valence marcha rapidement jusqu’au porche de l’immeuble. Ruggieri l’appela de l’une des fenêtres du premier étage.

— Monsieur Valence, montez, je vous prie ! Venez voir ça avant qu’on y remette de l’ordre !

— Qu’est-ce qu’il y a de si extraordinaire ? demanda Valence en levant la tête.

— Les scellés étaient brisés à notre arrivée. L’appartement est dévasté.

— Merde.

Valence fit signe de loin à Tibère en désignant sa montre qu’il allait en avoir pour plus longtemps que prévu. Tibère lui fit comprendre que ce n’était pas grave, qu’il le remerciait de le prévenir. Valence monta à l’appartement. Le lit avait été basculé, les tableaux et les calendriers religieux décrochés et jetés à travers la pièce, les tiroirs retournés, les potiches renversées.

Valence traversa la pièce, sans toucher à rien. Ruggieri était furieux.

— Avoir le culot d’arracher les scellés, vous rendez-vous compte ? Le type a fouillé ici pendant dix minutes, jusqu’à ce que le voisin intervienne. Dix minutes, ça laisse le temps de trouver des tas de choses. Ça s’est passé il y a près de deux heures.

— Comment sait-on qu’il s’agit d’un homme ?

— Le voisin l’a vu. Il a même parlé avec lui.

— Parfait.

— Pas tellement. Un peu intrigué par le bruit, à la longue, le voisin s’est déplacé jusqu’ici. Quand il est arrivé sur le palier, un homme refermait la porte, et il ne s’est donc pas aperçu de l’état dans lequel était l’appartement. Voilà ce qu’il dit dans sa déposition :

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