Les images de guerre s’évanouirent et le ciel étoilé, immense et silencieux, revint.
— Imaginez ce qui se passerait si nous avions enfin la réponse à ces questions… Si, enfin, nous avions tous la même preuve — irréfutable — et que nous n’avions d’autre choix que de l’accepter… Tous réunis en une seule espèce. Une seule et unique.
Un prêtre apparut dans le ciel, les yeux clos, en prière.
— Les questions spirituelles ont toujours été la chasse gardée des religions qui nous demandent de croire aveuglément en leur vérité, même quand elles n’ont aucun sens.
Des fidèles traversèrent la voûte, les yeux clos eux aussi, chantant, dansant, se signant, s’agenouillant…
— La foi… dans son essence même, c’est s’en remettre à l’inconnu, à l’indéfinissable, c’est accepter de croire en quelque chose sans avoir la moindre preuve, même empirique, de sa réalité. Et bien sûr, avec le temps, nous finissons par croire avec ferveur et sincérité en toutes sortes de choses parce qu’il n’y a pas, dans le domaine de la foi, de vérité universelle. (Kirsch fit une nouvelle pause avant de continuer :) En revanche…
Au plafond, il n’y avait plus qu’une seule image : une chercheuse l’œil rivé à un microscope.
— … la science est l’antithèse de la foi. La science, par définition, cherche à apporter une explication vérifiable à ce qui est inconnu et encore indéfinissable. Elle rejette les superstitions, les illusions au profit de faits quantifiables. Lorsque la science apporte une réponse, elle est de facto une vérité universelle. Et jamais les hommes ne se font la guerre en son nom. Au contraire, la science rassemble.
À l’écran défilaient les figures emblématiques de la NASA, du CERN et d’autres temples de la science, où des chercheurs de toutes origines travaillaient avec la même ferveur à révéler au monde la moindre parcelle de connaissance.
— Chers amis, poursuivit Edmond Kirsch en baissant le ton. J’ai fait bien des prédictions dans ma vie. Et je vous en annonce une autre ce soir. (Il prit une longue inspiration.) Le temps de la religion est terminé.
Un silence de plomb tomba sur la salle.
— Ce soir, l’humanité va faire un pas de géant et entrer de plain-pied dans une nouvelle ère : celle de la science !
Langdon sentit un frisson le parcourir. Il ignorait la teneur de cette découverte, mais l’enjeu était évident : c’était Edmond Kirsch contre les religions du monde.

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EDMOND KIRSCH EN DIRECT
UN FUTUR SANS RELIGION ?
Dans une allocution ( en cours ) suivie par trois millions de personnes, le futurologue Edmond Kirsch s’apprête à révéler une découverte scientifique qui va donner une réponse aux deux questions existentielles de l’humanité.
Après une introduction enregistrée du professeur Robert Langdon, Edmond Kirsch s’est lancé dans une critique acerbe des croyances religieuses, et a fait cette prédiction : « Le temps de la religion est terminé. »
Pour l’instant, le scientifique iconoclaste se montre plus réservé et respectueux que de coutume. Pour les meilleures tirades anticléricales de Kirsch, cliquez ICI.
Juste derrière la paroi de tissu qui fermait le dôme, l’amiral Ávila s’était mis en position, caché par l’enchevêtrement des poutrelles métalliques. Profitant de l’obscurité, il avait atteint le fond de la salle.
Sans bruit, il sortit de sa poche son rosaire.
Il n’y aura pas de deuxième chance.
Il suivit du bout des doigts la succession de perles jusqu’à trouver le gros crucifix en métal. Au portique de sécurité, les gardes ne s’étaient doutés de rien.
Grâce à la lame de rasoir cachée dans la tige de la croix, Ávila découpa une fente verticale de vingt centimètres dans le tissu. Il écarta doucement les pans. Derrière, c’était l’autre monde : des centaines de personnes allongées dans l’herbe, le nez vers les étoiles.
Ils ne savaient pas ce qui allait se passer !
Ávila nota avec satisfaction que les deux agents de la Guardia Real étaient postés à l’angle opposé de la salle. Ils se tenaient au garde-à-vous, dans l’ombre d’un bouquet d’arbres. Avec cette pénombre, ils ne pouvaient le voir.
À côté d’eux, une seule personne : Ambra Vidal, la directrice du musée. Elle semblait tendue.
Certain d’avoir trouvé le bon affût, Ávila referma la fente et reporta son attention sur le crucifix. Sur la plupart des croix, les bras transversaux étaient solidement fixés sur la tige, mais sur son modèle ils étaient tenus par un simple aimant.
Il tira sur l’un des bras pour le désolidariser et un petit objet cylindrique tomba dans sa paume. Il fit de même avec l’autre bras. Le crucifix n’était plus qu’un bout de métal suspendu au bout de sa chaîne.
Il rangea le rosaire dans sa poche.
J’en aurai besoin sous peu.
Il observa les deux objets au creux de sa main.
Des balles à courte portée.
Dans son dos, dissimulé sous sa ceinture, il récupéra un autre objet.
Il s’était passé des années depuis qu’un gamin nommé Cody Wilson avait conçu le « Liberator », le premier pistolet fabriqué avec une imprimante 3D. La technologie avait bien progressé depuis. Le nouveau pistolet, mi-plastique mi-céramique, n’avait pas beaucoup de puissance, mais ce qu’il n’avait pas en portée, il le gagnait en furtivité.
Il me suffit d’être tout près.
Si tout se passait comme prévu, sa position de tir serait parfaite.
Le Régent avait eu connaissance du déroulé exact de la cérémonie. Et il avait expliqué à Ávila comment accomplir sa mission. Ce serait brutal mais, après avoir entendu le préambule de Kirsch, Ávila était convaincu que son péché lui serait pardonné.
« Nos ennemis nous déclarent la guerre, avait dit le Régent. C’est nous ou eux. »
*
Debout dans l’angle de la salle, Ambra Vidal espérait que son inquiétude ne se verrait pas trop.
Edmond lui avait dit qu’il s’agissait d’une simple communication scientifique !
Le futurologue américain n’avait jamais caché son aversion pour les religions, mais la jeune femme n’imaginait pas que la diatribe irait aussi loin.
Il n’avait rien voulu lui montrer avant.
Il y aurait sûrement des conséquences. Le conseil d’administration du musée n’allait pas apprécier. Mais, pour l’heure, ses inquiétudes étaient d’ordre beaucoup plus personnel.
Deux semaines plus tôt, Ambra avait annoncé à un homme très important qu’elle allait participer à cette soirée. L’homme l’avait sommée de déclarer forfait. Il était trop dangereux d’accueillir cette présentation sans en connaître le contenu — en particulier quand l’auteur était un électron libre comme Edmond Kirsch.
Il m’a quasiment ordonné d’annuler ! se souvenait-elle. D’un ton condescendant qui l’avait agacée.
À présent, Ambra, seule sous ce ciel étoilé, se demandait si cet homme suivait l’événement en direct, en se tenant la tête dans les mains.
Bien sûr qu’il regardait ! La seule vraie question était : qu’allait-il faire ?
*
Au tréfonds de la cathédrale de l’Almudena, l’archevêque Valdespino était assis à son bureau, livide, les yeux rivés à l’écran de son ordinateur. Tout le monde au Palais royal devait suivre la retransmission, cela ne faisait aucun doute. En particulier Julián, le prince héritier.
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