Est-ce que c'est vraiment possible ?
Mikael se rendit compte de son changement et se rapprocha de la table de la cuisine.
— Pourquoi vous me parlez de Zala ? dit Björck.
Il avait l'air d'avoir subi un choc.
— Parce que le bonhomme m'intéresse, dit Mikael.
Un silence compact s'installa dans la cuisine. Mikael pouvait littéralement voir les rouages tourner dans la tête de Björck. Pour finir, Björck prit un paquet de cigarettes sur le rebord de la fenêtre. C'était la première cigarette qu'il allumait depuis que Mikael était entré.
— Si je sais quelque chose sur Zala... qu'est-ce que ça vaut pour toi ? dit-il, avec soudain un peu plus d'assurance.
— Ça dépend de ce que tu sais.
Björck réfléchit. Les pensées se bousculaient dans sa tête.
Comment Blomkvist pouvait-il être au parfum pour Zalachenko ?
— C'est un nom que je n'ai pas entendu depuis longtemps, finit par dire Björck.
— Donc tu sais qui il est, dit Mikael.
— Je n'ai pas dit ça. Qu'est-ce que tu cherches ?
Mikael hésita une seconde.
— Il est l'un des noms sur ma liste d'individus qui intéressaient Dag Svensson.
— Combien est-ce que ça vaut ?
— Combien est-ce que vaut quoi ?
— Si je peux te mener à Zala... est-ce que tu peux envisager de m'oublier dans votre reportage ?
Mikael s'assit lentement. Depuis Hedestad, il avait décidé de ne plus jamais marchander un sujet. Il n'avait pas l'intention de marchander avec Björck et, quoi qu'il arrive, il le dénoncerait. Par contre, Mikael se savait suffisamment dépourvu de scrupules pour jouer double jeu et passer un accord avec Björck. Il ne ressentait aucune mauvaise conscience. Björck était un pourri. S'il connaissait le nom d'un meurtrier possible, son boulot était d'intervenir — pas d'utiliser cette information pour un marchandage à son profit. Mikael n'avait aucun problème à laisser Björck espérer qu'il ait une voie de sortie s'il livrait des informations sur un autre pourri. Il glissa la main dans la poche de sa veste et mit en marche le dictaphone qu'il avait arrêté en se levant de table.
— Raconte, dit-il.
SONJA MODIG ÉTAIT FURIEUSE contre Hans Faste mais rien sur son visage ne trahissait ce qu'elle pensait de lui. La poursuite de l'interrogatoire de Miriam Wu depuis que Bublanski avait quitté la pièce avait été tout sauf rigoureuse et Faste avait totalement ignoré tous ses coups d'œil rageurs.
Modig était surprise aussi. Elle n'avait jamais aimé Hans Faste et son côté macho, mais elle l'avait pris pour un policier compétent. Cette compétence faisait complètement défaut aujourd'hui. De toute évidence, Faste se sentait provoqué par une femme belle, intelligente et ouvertement lesbienne. Et de toute évidence aussi, Miriam Wu devinait l'irritation de Faste et l'alimentait sans la moindre pitié.
— Alors, tu as trouvé le godemiché dans ma commode ? Qu'est-ce que ça t'a évoqué comme fantasme ? demanda Miriam Wu avec un petit sourire de curiosité.
Faste faillit exploser.
— Ta gueule et réponds à la question, dit Faste.
— Tu m'as demandé si je l'utilise pour baiser Lisbeth Salander. Et je réponds que ce n'est pas tes oignons.
Sonja Modig leva la main.
— L'interrogatoire de Miriam Wu est interrompu pour une courte pause à 11 h 12.
Modig arrêta le magnétophone.
— S'il te plaît, reste là, Miriam. Faste, j'ai deux mots à te dire.
Miriam Wu sourit avec innocence quand Faste lui lança un regard furieux et suivit Modig dans le couloir. Modig pivota sur ses talons et approcha son nez à deux centimètres de celui de Faste.
— Bublanski m'a demandé de reprendre l'interrogatoire avec elle. Toi, ce que tu apportes, c'est zéro.
— Ben quoi ? Cette foutue gouine, elle est pire qu'une anguille.
— Y aurait-il une sorte de symbolique freudienne dans le choix de ta métaphore ?
— Quoi ?
— Rien. Va retrouver Curt Bolinder et lance-lui un bon défi façon macho ou descends te défouler au stand de tir ou fais ce que tu veux. Mais reste à l'écart de cet interrogatoire.
— Pourquoi t'es comme ça, Modig ?
— Tu sabotes mon interrogatoire.
— Elle te branche donc tant que tu veux l'interroger en tête-à-tête ?
La main de Sonja Modig partit tellement vite qu'elle n'eut pas le temps de se maîtriser. Elle balança une gifle à Hans Faste. A la seconde même, elle regretta son geste, mais il était alors déjà trop tard. Elle jeta un coup d'œil dans les deux sens du couloir et constata que, heureusement, il n'y avait pas eu de témoins.
Hans Faste eut d'abord l'air surpris. Puis il se mit à ricaner, jeta son blouson sur l'épaule et s'en alla. Sonja Modig faillit le rappeler pour s'excuser mais décida de se taire. Elle attendit une minute pour se calmer. Ensuite elle alla chercher deux cafés au distributeur et retourna auprès de Miriam Wu.
Elles ne dirent rien pendant un moment. Finalement, Modig regarda Miriam Wu.
— Excuse-moi. C'est probablement l'un des pires interrogatoires de toute l'histoire de ce commissariat.
— Ça doit être sympa de l'avoir comme collègue, ce type. Si je comprends bien, il est hétéro et divorcé, et c'est lui qui fournit les blagues sur les pédés devant la machine à café.
— Il est... une sorte de relique de quelque part. C'est tout ce que je peux dire.
— Et ce n'est pas ton cas ?
— Disons que je ne suis pas homophobe.
— D'accord.
— Miriam, je... on est tous sur les rotules vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis dix jours maintenant. On est fatigué et nerveux. On essaie de résoudre un double meurtre effrayant à Enskede et un meurtre tout aussi effrayant dans un appartement d'Odenplan. Ta copine est associée aux deux lieux des crimes. Nous avons des preuves techniques et elle est recherchée au niveau national. Tu dois comprendre que nous voulons à tout prix la trouver avant qu'elle fasse du mal à quelqu'un ou à elle-même.
— Je connais Lisbeth Salander... Je ne peux pas croire qu'elle ait assassiné quelqu'un.
— Tu ne peux pas croire ou tu ne veux pas croire ? Miriam, on ne lance pas un avis de recherche national sans de bonnes raisons. Mais je peux te dire que mon chef, l'inspecteur Bublanski, n'est pas lui non plus entièrement convaincu de sa culpabilité. On discute de la possibilité qu'elle ait un complice ou qu'elle ait été mêlée à tout ceci d'une autre façon. Cela dit, il faut qu'on la trouve. Tu crois qu'elle est innocente, Miriam, mais qu'est-ce qu'il va se passer si tu te trompes ? Tu dis toi-même que tu ne sais pas grand-chose de Lisbeth Salander.
— Je ne sais pas ce que je dois croire.
— Alors aide-nous à trouver la vérité.
— Est-ce que je suis inculpée de quelque chose ?
— Non.
— Donc je peux partir d'ici quand je veux ?
— Théoriquement oui.
— Et pas théoriquement ?
— Tu resteras un point d'interrogation pour nous.
Miriam Wu considéra ses paroles.
— D'accord. Vas-y, pose tes questions. Si elles m'énervent, je ne réponds pas.
Sonja Modig remit en marche le magnétophone.
20
VENDREDI 1er AVRIL — DIMANCHE 3 AVRIL
MIRIAM WU PASSA UNE HEURE avec Sonja Modig. Vers la fin de l'interrogatoire, Bublanski revint dans la pièce et s'assit pour écouter sans rien dire. Miriam Wu le salua poliment mais continua à parler avec Sonja.
A la fin, Modig regarda Bublanski et demanda s'il avait d'autres questions à poser. Bublanski secoua la tête.
— Je déclare donc l'interrogatoire de Miriam Wu terminé. Il est 13 h 09.
Elle arrêta le magnétophone.
— J'ai cru comprendre qu'il y a eu des problèmes avec l'inspecteur Faste, dit Bublanski.
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