— Il n'était pas très concentré, dit Sonja Modig de façon neutre.
— C'est un abruti, dit Miriam Wu.
— L'inspecteur Faste a beaucoup de mérites mais il n'est sans doute pas le mieux indiqué pour interroger une jeune femme, dit Bublanski en regardant Miriam Wu droit dans les yeux. Je n'aurais évidemment pas dû lui laisser cette tâche. Je te prie de m'excuser.
Miriam Wu eut l'air surprise.
— Accepté. J'ai été plutôt mauvaise avec vous au début aussi.
Bublanski balaya sa précision. Il la regarda.
— Est-ce que je peux te poser quelques questions hors protocole maintenant ? Sans le magnétophone.
— Bien sûr.
— Plus j'en entends sur Lisbeth Salander, plus je suis perplexe. L'image que me renvoient les personnes qui la connaissent est incompatible avec l'image d'elle qui ressort des papiers et des documents médicolégaux des services sociaux.
— Ah bon.
— Ce serait bien si tu pouvais répondre directement et sans fioritures.
— Allons-y.
— Le bilan psychiatrique qui a été établi quand Lisbeth Salander a eu dix-huit ans laisse entendre qu'elle est mentalement arriérée et handicapée.
— Foutaises. Lisbeth est probablement plus intelligente que toi et moi réunis.
— Elle n'a pas terminé l'école, elle n'a aucun bulletin de notes qui montre qu'elle sait lire et écrire.
— Lisbeth Salander lit et écrit bien mieux que moi. Parfois elle s'amuse à griffonner des formules mathématiques. De l'algèbre pur. Ce sont des maths trop compliquées pour moi.
— Des maths ?
— C'est une sorte de hobby qu'elle a.
Bublanski et Modig ne dirent rien.
— Un hobby ? demanda Bublanski après un moment.
— Des équations, je crois. Je ne sais même pas ce que veulent dire les signes.
Bublanski soupira.
— Le service social a rédigé un rapport après qu'elle avait été arrêtée dans le parc de Tantolunden en compagnie d'un homme âgé alors qu'elle avait dix-sept ans. On sous-entend qu'elle se prostituait.
— Lisbeth qui ferait la pute ? Des conneries. Je ne sais rien de son boulot, mais je ne suis absolument pas étonnée d'entendre qu'elle a bossé à Milton Security.
— Comment est-ce qu'elle gagne sa vie ?
— Je ne sais pas.
— Est-ce qu'elle est lesbienne ?
— Non. Lisbeth fait l'amour avec moi, mais ça ne veut pas dire qu'elle est homo. Je pense qu'elle n'est même pas sûre de son identité sexuelle. Je dirais qu'elle est bisexuelle.
— Vous utilisez des menottes et ce genre de trucs... est-ce que Lisbeth Salander a un penchant sadique ou comment est-ce que tu la décrirais ?
— Je crois que tu as tout compris de travers. Nous utilisons des menottes parfois comme un jeu de rôles, ça n'a rien à voir avec le sadisme ou la violence et les abus. C'est un jeu.
— Est-ce qu'il lui est arrivé d'être violente avec toi ?
— Non. C'est plutôt moi qui suis la dominatrice dans nos jeux.
Miriam afficha son sourire innocent.
LA RÉUNION DE L'APRÈS-MIDI, à 15 heures, se termina avec la première querelle sérieuse de l'enquête. Bublanski résuma la situation et expliqua ensuite qu'il ressentait le besoin d'élargir les investigations.
— Depuis le premier jour, nous avons concentré toute notre énergie à retrouver Lisbeth Salander. Elle est soupçonnée au plus haut degré — et sur des bases objectives — mais notre image d'elle rencontre une résistance auprès de tous ceux qui la connaissent aujourd'hui. Ni Armanskij, ni Blomkvist, ni maintenant Miriam Wu ne la voient comme une tueuse psychopathe. C'est pourquoi je voudrais qu'on élargisse un peu notre manière de penser et qu'on commence à réfléchir à d'autres coupables potentiels ou à la possibilité que Salander ait un complice ou qu'elle ait été simplement présente quand les coups de feu ont été tirés.
La mise au point de Bublanski déclencha un vif débat dans lequel il rencontra une opposition ferme de la part de Hans Faste et de Steve Bohman de Milton Security. Tous deux soutenaient que l'explication la plus simple était souvent la bonne et qu'envisager un coupable bis, c'était carrément adhérer aux thèses du grand complot.
— Salander aurait pu ne pas être seule au moment des coups de feu, mais nous n'avons aucune trace d'un complice.
— Et voilà, on pourra toujours ressortir la piste policière de Blomkvist ! dit Hans Faste vertement.
Seule Sonja Modig apporta son soutien à Bublanski dans le débat. Curt Bolinder et Jerker Holmberg se contentèrent de vagues commentaires. Niklas Eriksson, de Milton Security, ne dit pas un mot pendant toute la discussion. Pour finir, le procureur Ekström leva la main.
— Bublanski, j'imagine que tu n'as quand même pas l'intention de rayer Salander de l'enquête.
— Non, évidemment pas. On a ses empreintes digitales. Mais jusqu'à maintenant, on a réfléchi à se rendre malade sur un mobile qu'on ne trouve pas. Je voudrais qu'on raisonne sur d'autres pistes éventuelles. Est-ce que d'autres personnes ont pu être mêlées ? Est-ce que ça a malgré tout quelque chose à voir avec le livre sur le commerce du sexe qu'écrivait Dag Svensson ? Blomkvist a raison quand il dit que plusieurs personnes mentionnées dans le livre ont des motifs de tuer.
— Et comment comptes-tu procéder ? demanda Ekström.
— Je voudrais que deux d'entre vous se penchent sur des meurtriers alternatifs. Sonja... et toi, Niklas, vous ferez ça ensemble.
— Moi ? demanda Niklas Eriksson surpris.
Bublanski l'avait choisi parce qu'il était le plus jeune dans la pièce et celui qui était peut-être le plus apte à un raisonnement non orthodoxe.
— Tu travailleras avec Modig. Reprenez tout ce qu'on sait et essayez de trouver ce qu'on a loupé. Faste, toi, Curt Bolinder et Bohman, vous continuez à chercher Salander. C'est la priorité absolue.
— Qu'est-ce que je dois faire ? demanda Jerker Holm-berg.
— Tu vas te focaliser sur maître Bjurman. Examine son appartement de nouveau. Vérifie si on est passé à côté de quelque chose. Des questions ?
Personne n'avait de questions.
— Bon. On reste discret sur la réapparition de Miriam Wu. Elle pourrait avoir d'autres choses à nous raconter et je ne veux pas que les médias se jettent sur elle.
Le procureur Ekström entérina le plan de Bublanski.
— BON, DIT NIKLAS ERIKSSON en regardant Sonja Modig. C'est toi qui es de la police, alors c'est à toi de décider ce qu'on va faire.
Ils étaient dans le couloir devant la salle de réunion.
— Je crois qu'on va commencer par aller discuter à nouveau avec Mikael Blomkvist, dit-elle. Mais il faut d'abord que je dise un mot à Bublanski. On est vendredi après-midi et je ne travaille ni samedi ni dimanche. Ça veut dire qu'on ne va pas démarrer avant lundi. Emploie ton week-end à réfléchir à ce dont on dispose.
Ils se dirent au revoir. Sonja Modig entra dans le bureau de Bublanski au moment où celui-ci prenait congé du procureur Ekström.
— Tu aurais une minute ?
— Assieds-toi.
— Faste m'a mise tellement en colère que j'ai craqué.
— Il m'a dit que tu l'avais agressé. Je crois comprendre ce qui s'est passé. C'est pour ça que je suis entré présenter mes excuses à Miriam.
— Il a dit que je voulais me trouver seule avec Miriam parce qu'elle me branchait.
— Je préférerais qu'on n'aborde pas les détails. Mais ça remplit toutes les exigences du harcèlement sexuel. Je crois. Est-ce que tu veux porter plainte ?
— Je lui ai filé une beigne. Ça suffit.
— D'accord, si je comprends bien, il t'a poussée à bout.
— Exactement.
— Hans Faste a un problème avec les femmes de caractère.
— Je m'en suis rendu compte.
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