— Je rentre chez moi, dit Mikael Blomkvist en se levant tout à coup. Je suis tellement fatigué que je ne peux plus réfléchir. Il faut que je dorme.
Il regarda Malou.
— On a du pain sur la planche. Demain c'est Vendredi saint et j'ai l'intention d'en profiter pour dormir et trier des papiers. Malou, tu pourras bosser ce week-end ?
— Est-ce que j'ai le choix ?
— Non. On commence samedi à midi. Ça te dit de venir chez moi plutôt que de rester ici à la rédaction ?
— Entendu.
— J'ai l'intention de reformuler les directives que nous nous sommes fixées ce matin. Il n'est plus seulement question d'essayer de trouver si les révélations de Dag Svensson avaient un rapport avec le meurtre. Maintenant il s'agit de trouver qui a tué Dag et Mia.
Malou se demanda comment ils allaient pouvoir faire une chose pareille, mais elle ne s'exprima pas. Mikael agita la main en signe d'au revoir à Malou et Erika, et disparut sans autre commentaire.
A 19 H 15, LE RESPONSABLE des investigations Bublanski suivit à contrecœur le chef de l'enquête préliminaire Ekström sur le podium dans le centre de communication de la police. La conférence de presse avait été annoncée pour 19 heures mais ils avaient un quart d'heure de retard. Contrairement à Ekström, ça n'intéressait pas le moins du monde Bublanski de se trouver sous les feux de la rampe devant une douzaine de caméras de télévision. Etre la star de ce genre d'attention le paniquait plus qu'autre chose, jamais il ne s'habituerait à se voir à la télé et jamais il n'y trouverait du plaisir.
Ekström en revanche était comme un poisson dans l'eau, il ajusta ses lunettes en arborant une mine sérieuse et seyante. Il laissa les photographes de presse envoyer leurs salves pendant un moment avant de lever les mains et de demander le silence dans la salle. Il parla comme s'il lisait un manuscrit.
— Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à cette conférence de presse quelque peu précipitée, relative aux meurtres qui ont eu lieu à Enskede tard hier soir et qui prend en compte de nouvelles informations que nous voudrions vous communiquer. Je m'appelle Richard Ekström, je suis procureur, et voici l'inspecteur Jan Bublanski de la brigade criminelle départementale, qui dirige les investigations. J'ai une annonce à vous lire et vous aurez ensuite la possibilité de poser des questions.
Ekström se tut et contempla cette escouade du corps journalistique mobilisée dans un délai d'une demi-heure seulement. Les meurtres d'Enskede étaient de l'actualité brûlante, et en passe de le devenir encore plus. Il constata avec satisfaction qu’’ Aktuellt, Rapport et Tv4 étaient présents, et il reconnut des reporters de TT et de divers quotidiens, du matin comme du soir. Il y avait en outre un grand nombre de reporters qu'il ne reconnaissait pas. En tout, au moins vingt-cinq journalistes se pressaient dans la salle.
— Comme vous le savez, deux personnes ont été retrouvées brutalement assassinées à Enskede peu avant minuit hier soir. Lors de l'examen du lieu du crime, une arme a été trouvée, un Colt 45 Magnum. Le Laboratoire criminologique de l'Etat a établi au cours de la journée qu'il s'agissait de l'arme du crime. Nous connaissons le propriétaire de l'arme et au cours de la journée nous l'avons recherché.
Ekström fit une pause oratoire.
— Le propriétaire de l'arme a été retrouvé mort vers 17 heures aujourd'hui à son domicile près d'Odenplan. Il a été tué par balle et il était probablement mort à l'heure du double meurtre à Enskede. La police — Ekström tourna la main en direction de Bublanski — a de bonnes raisons de croire qu'il s'agit d'un seul et même coupable, individu par conséquent recherché pour trois meurtres.
Un murmure se répandit parmi les reporters présents lorsque plusieurs se mirent à parler simultanément à voix basse dans leur téléphone portable. Ekström haussa un peu la voix.
— Avez-vous un suspect ? cria un reporter de la radio.
— Merci de ne pas m'interrompre, j'en arrive aux faits. La situation ce soir est qu'une personne a été identifiée et que la police voudrait l'interroger au sujet de ces trois meurtres.
— Qui est-ce ?
— C'est une femme. La police recherche une femme de vingt-six ans qui a un lien avec le propriétaire de l'arme et que nous savons s'être trouvée sur le lieu du crime à Enskede.
Bublanski plissa les sourcils et eut l'air sévère. Ils en arrivaient maintenant au point de l'ordre du jour où Ekström et lui n'avaient pas été d'accord, à savoir si la direction des investigations allait nommer la personne qu'ils avaient de bonnes raisons de soupçonner pour les trois meurtres. Bublanski aurait préféré différer. Ekström, lui, était d'avis qu'on ne pouvait pas attendre.
Les arguments d'Ekström étaient irréfutables. La police recherchait une femme connue, psychiquement malade et soupçonnée sur de bonnes bases de trois meurtres. Au cours de la journée, l'alerte avait été donnée au niveau départemental, puis national. Ekström affirmait que Lisbeth Salander était à considérer comme dangereuse et qu'il était par conséquent de l'intérêt de tous qu'elle soit arrêtée au plus vite.
Les arguments de Bublanski avaient été plus vagues. A son avis, il fallait raisonnablement attendre l'examen technique de l'appartement de maître Bjurman avant que la direction des investigations adhère de façon aussi univoque à une seule hypothèse.
A cela, Ekström avait répliqué que, selon tous les éléments accessibles, Lisbeth Salander était une femme psychiquement malade avec un penchant pour la violence et que quelque chose avait manifestement déclenché une folie meurtrière. Rien ne garantissait que les actes de violence allaient cesser.
— Qu'est-ce qu'on fera, si au cours des prochaines vingt-quatre heures elle entre dans un autre appartement et assassine encore des gens ? avait lancé Ekström.
Bublanski n'avait pas eu d'argument à opposer et Ekström avait constaté que ce n'était pas les précédents qui manquaient. Quand le triple meurtrier Juha Valjakkala d'Amsele avait été pourchassé dans tout le royaume, la police avait publié un avis de recherche avec son nom et sa photographie justement parce qu'il était considéré comme un danger public. On pouvait avancer le même argument au sujet de Lisbeth Salander, par conséquent Ekström avait décidé qu'elle serait nommée.
Ekström leva une main pour interrompre le brouhaha parmi les reporters. La révélation qu'une femme était recherchée pour un triple meurtre allait faire des titres énormes. Il indiqua que Bublanski allait parler. Bublanski se racla la gorge deux fois, ajusta ses lunettes et regarda fixement les papiers avec les formulations sur lesquelles ils s'étaient mis d'accord.
— La police recherche une femme âgée de vingt-six ans du nom de Lisbeth Salander. Une photo des archives des passeports sera distribuée. Nous ignorons à l'heure actuelle l'endroit où elle se trouve mais nous pensons qu'elle est toujours dans la région de Stockholm. La police sollicite l'aide du public pour trouver au plus vite cette femme. Lisbeth Salander mesure un mètre cinquante et elle est d'une constitution frêle.
Il respira à fond, nerveusement. Il transpirait et sentit qu'il était mouillé sous les bras.
— Lisbeth Salander a été soignée dans une clinique psychiatrique et on considère qu'elle peut constituer un danger pour elle-même et pour autrui. Nous voudrions souligner qu'à l'heure actuelle nous ne pouvons pas établir de façon catégorique que c'est elle la meurtrière, mais les circonstances sont telles que nous voulons l'entendre au plus vite au sujet des meurtres d'Enskede et d'Odenplan.
— C'est n'importe quoi ! cria un reporter d'un journal du soir. Soit elle est suspectée des meurtres, soit elle ne l'est pas.
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