— Je n'en sais rien. Pas encore.
Son regard avait la stabilité de la certitude. Sonja Modig sourit tout à coup. Elle savait qu'on le surnommait Super Blomkvist. Elle comprit soudain pourquoi.
— Mais vous avez l'intention de l'apprendre ?
— Si je peux. Vous pouvez dire cela à Bublanski.
— Je n'y manquerai pas. Et si Lisbeth Salander vous donne de ses nouvelles, j'espère que vous nous le ferez savoir.
— Je ne compte pas sur elle pour donner signe de vie et reconnaître qu'elle est coupable des meurtres, mais si elle entrait en contact, je ferais tout pour la convaincre d'abandonner la partie et de se rendre à la police. Dans ce cas, je ferai aussi tout ce que je peux pour l'aider — elle aura besoin d'un ami.
— Et si elle dit qu'elle n'est pas coupable ?
— Alors j'espère qu'elle sera en mesure de nous éclairer sur ce qui s'est passé.
— Monsieur Blomkvist, entre nous et sans en faire grand cas. J'espère que vous réalisez que Lisbeth Salander doit être arrêtée, et j'espère aussi que vous ne commettrez pas de bêtise si elle donne de ses nouvelles. Si vous vous trompez et qu'elle est coupable, il peut s'avérer extrêmement dangereux de ne pas prendre la situation au sérieux.
Mikael hocha la tête.
— J'espère que nous n'aurons pas à vous placer sous surveillance. Vous êtes conscient qu'il est contraire à la loi d'aider une personne recherchée. Dans le cas qui nous occupe, vous pourriez être condamné pour protection de criminel.
— Et de mon côté j'espère que vous consacrerez quelques minutes à réfléchir à des coupables alternatifs.
— Nous le ferons. Question suivante. Avez-vous la moindre idée du type d'ordinateur que Dag Svensson utilisait pour travailler ?
— Il avait un Mac d'occasion, un iBook 500, blanc avec un écran de 14 pouces. Comme le mien mais avec un écran plus grand.
Mikael montra sa bécane qui trônait sur la table à manger.
— Savez-vous où il gardait cet ordinateur-là ?
— En général, Dag le transportait dans un sac à dos noir. Je suppose qu'il se trouve encore chez lui.
— Il ne s'y trouve pas. Est-ce qu'il peut être sur son lieu de travail ?
— Non. J'ai vérifié le bureau de Dag et il n'y est pas.
Ils restèrent un moment sans rien dire.
— Dois-je en tirer la conclusion que l'ordinateur de Dag Svensson manque ? finit par demander Mikael.
MIKAEL ET MALOU AVAIENT IDENTIFIÉ un nombre considérable de personnes pouvant théoriquement avoir une raison de tuer Dag Svensson. Chaque nom avait été marqué sur quelques grandes feuilles de brouillon que Mikael avait scotchées sur le mur du séjour. La liste de noms était composée exclusivement d'hommes qui étaient soit des clients de prostituées, soit des maquereaux et qui figuraient dans le livre. A 20 heures, ils disposaient d'une liste de trente-sept noms dont vingt-neuf pouvaient être identifiés et huit figuraient seulement sous des pseudonymes dans la présentation de Dag Svensson, Vingt des hommes identifiés étaient des michetons qui à différentes occasions avaient utilisé l'une ou l'autre des filles.
Ils avaient aussi discuté de l'aspect purement pratique de la publication du livre de Dag Svensson. Le problème résidait dans le fait qu'un très grand nombre d'affirmations était basé sur les informations que Dag ou Mia détenaient personnellement et qu'eux seuls pouvaient écrire, mais qu'un auteur moins au courant du sujet se devait de vérifier ou d'approfondir davantage.
Ils constatèrent qu'environ quatre-vingts pour cent du manuscrit présent pourraient être publiés sans grand problème, mais qu'il faudrait pas mal de recherches pour que Millenium ose publier les vingt pour cent restants. Leur hésitation ne découlait pas d'un doute sur la véracité du contenu, mais uniquement du fait qu'ils n'étaient pas suffisamment informés du sujet. Si Dag Svensson avait été en vie, ils auraient pu publier sans la moindre hésitation — Dag et Mia auraient su prendre en main et rejeter d'éventuelles objections et critiques.
Mikael regarda par la fenêtre. La nuit était tombée et il pleuvait. Il demanda à Malou si elle voulait encore du café. Elle n'en voulait plus.
— D'accord, dit Malou. Nous avons le manuscrit sous contrôle. Mais nous n'avons pas trouvé la moindre trace du meurtrier de Dag et Mia.
— Ça peut être l'un des noms sur le mur, dit Mikael.
— Ça peut être quelqu'un qui n'a rien à voir avec le livre. Ou ça peut être ta copine.
— Lisbeth, dit Mikael.
Malou le regarda en douce. Cela faisait dix-huit mois qu'elle travaillait à Millenium et elle avait commencé en plein chaos pendant l'affaire Wennerstròm. Après des années de remplacements et de missions intérimaires, le boulot à Millenium était le premier emploi fixe de sa vie. Elle s'y plaisait énormément. Travailler à Millenium signifiait un statut social de marque. Elle entretenait de bonnes relations avec Erika Berger et le reste du personnel mais s'était toujours sentie vaguement mal à l'aise en compagnie de Mikael Blomkvist. Il n'y avait pas de véritable raison à cela, mais de tous les collaborateurs, Mikael était celui qu'elle ressentait comme le plus fermé et inaccessible.
Au cours de l'année, il était souvent arrivé tard dans la journée et il était resté tout seul dans son petit bureau ou chez Erika Berger. Il était régulièrement distrait et, pendant les premiers mois, Malou avait eu l'impression de le voir plus fréquenter les studios de télé que la rédaction. Il était souvent en voyage ou apparemment occupé ailleurs. Sa compagnie était tout sauf conviviale et, à en juger par les commentaires qu'elle avait glanés auprès d'autres collaborateurs, Mikael avait changé. Il était devenu plus silencieux et plus inaccessible.
— Si mon boulot est de chercher pourquoi Dag et Mia ont été tués, il me faut en savoir davantage sur Salander. Je ne sais pas par quel bout commencer, si je ne...
Elle laissa sa phrase en suspens. Mikael la regarda du coin de l'œil. Finalement, il s'assit dans le fauteuil qui formait un angle droit avec le siège de Malou et posa ses pieds à côté des siens.
— Est-ce que tu te plais à Millenium ? demanda-t-il de façon inattendue. Je veux dire, ça fait dix-huit mois que tu travailles chez nous, mais j'ai tellement cavale au cours de l'année qu'on n'a jamais vraiment eu le temps de faire connaissance.
— C'est génial de travailler à Millenium, dit Malou. Est-ce que vous êtes contents de moi ?
Mikael sourit.
— Plus d'une fois, Erika et moi, on a constaté que jamais on n'a eu une secrétaire de rédaction aussi compétente. On trouve que tu es une vraie perle. Et pardon de ne pas l'avoir dit avant.
Malou sourit, satisfaite. Les louanges du grand Mikael Blomkvist étaient plus que les bienvenues.
— Mais ce n'était pas tout à fait ça que je demandais, dit-elle.
— Tu te poses des questions sur la relation de Lisbeth Salander avec Millenium.
— Erika et toi, vous êtes très économes en information.
Mikael hocha la tête et croisa son regard. Erika comme lui avaient entièrement confiance en Malou Eriksson, mais il y avait des choses dont il ne pouvait pas discuter avec elle.
— Je suis d'accord avec toi, dit-il. Si nous devons fouiller les meurtres de Dag et de Mia, il te faut plus d'infos. Je suis une source de première main et je suis aussi le lien entre elle et Dag et Mia. Vas-y, pose tes questions, et j'y répondrai dans la mesure de mes possibilités. Et si je suis dans l'impossibilité de répondre, je le dirai.
— Pourquoi toutes ces cachotteries ? Qui est Lisbeth Salander et quel est son rapport avec Millenium ?
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