Pour lui, c'était maintenant que la véritable investigation du lieu du crime commençait. Les corps des deux victimes avaient été enlevés. Jerker Holmberg était seul sur les lieux, après le départ des deux techniciens. Ils avaient photographié les victimes, mesuré des éclaboussures de sang sur les murs et débattu des zones éclaboussées et de la vitesse des gouttes. Holmberg connaissait ce genre de cogitations mais il n'avait accordé qu'un intérêt distrait à l'investigation technique. Le travail des techniciens allait aboutir à un rapport volumineux qui révélerait par le détail où le meurtrier s'était tenu par rapport à ses victimes et à quelle distance, dans quel ordre les coups étaient partis et quelles empreintes digitales pouvaient avoir de l'importance. Pour Jerker Holmberg, cela ne présentait cependant aucun intérêt. L'investigation technique ne contiendrait pas un mot quant à l'identité du meurtrier ni sur le mobile qu'il ou elle — puisqu'une femme était le suspect principal — avait eu pour commettre ces crimes. C'étaient ces questions-là qu'il avait pour mission d'élucider.
Jerker Holmberg commença par la chambre. Il posa un porte-documents râpé sur une chaise et en tira un dicta-phone, un appareil photo numérique et un bloc-notes.
Il commença par ouvrir les tiroirs d'une commode placée derrière la porte. Les deux tiroirs du haut contenaient des sous-vêtements, des pulls et un coffret à bijoux qui avait manifestement appartenu à Mia Bergman. Il tria les objets sur le lit et examina minutieusement le coffret, mais put constater qu'il ne contenait rien d'une grande valeur. Dans le tiroir du bas il trouva deux albums de photos et deux classeurs avec des budgets ménagers. Il alluma le dictaphone.
« Compte rendu de saisie du 8b, Björneborgsvägen. Chambre à coucher, tiroir inférieur de la commode. Deux albums de photos reliés de format A4. Un classeur, dos noir, marqué " Ménage " et un classeur, dos bleu, marqué " Certificats de propriété " avec des documents concernant les emprunts et les amortissements d'un appartement. Un petit carton avec des lettres manuscrites, des cartes postales et des objets personnels. »
Il porta les objets dans le vestibule et les mit dans un sac de voyage. Il poursuivit avec les tiroirs des tables de chevet de part et d'autre du lit double mais ne trouva rien d'intéressant. Il ouvrit les penderies et tria les vêtements, il tâta chaque poche et farfouilla dans les chaussures à la recherche d'un objet oublié ou caché, puis il tourna son attention vers les étagères tout en haut des penderies. Il ouvrit des cartons et de petites boîtes de rangement. Çà et là il trouva des papiers ou des objets que pour différentes raisons il inclut dans le compte rendu de saisie.
Dans un coin de la chambre, on avait réussi à caser un bureau. C'était un tout petit poste de travail avec un ordinateur Compaq et un vieux moniteur. Sous le bureau se trouvait un meuble de rangement sur roulettes et à côté du bureau une étagère basse. Jerker Holmberg savait que c'était au poste de travail qu'il ferait vraisemblablement les trouvailles les plus importantes — dans la mesure où trouvailles il y aurait — et il se le réservait pour la fin. Il retourna donc dans le séjour et continua l'examen du lieu du crime. Il ouvrit la vitrine et vérifia minutieusement chaque bol, chaque boîte et chaque étagère. Ensuite son regard convergea vers la grande bibliothèque qui formait un angle avec le mur extérieur et le mur de la salle de bains. Il prit une chaise et commença par vérifier si quelque chose avait été dissimulé en haut du meuble. Ensuite il inspecta les étagères une par une, en sortant des livres et en les feuilletant rapidement, et en vérifiant qu'il n'y avait pas quelque chose de caché derrière. Une bonne demi-heure plus tard, il remit le dernier voulume dans la bibliothèque. Sur la table à manger se trouvait maintenant une petite pile de livres qui pour une raison ou une autre l'avaient fait réagir. Il enclencha le dictaphone et parla.
« De la bibliothèque du séjour. Un livre de Mikael Blomkvist, Le Banquier de la mafia. Un livre en allemand intitulé Der Staat und die Autonomen, un livre en suédois intitulé Terrorisme révolutionnaire ainsi que le livre anglais Islande Jihad. »
Il ajouta machinalement le livre de Mikael Blomkvist, compte tenu que l'auteur avait été mentionné dans l'enquête préliminaire. Les trois autres semblaient plus obscurs. Jerker Holmberg ignorait totalement si les meurtres avaient une quelconque relation avec une activité politique — il n'avait en sa possession aucun élément indiquant que Dag Svensson et Mia Bergman avaient été politiquement engagés — et ces livres pouvaient simplement exprimer un intérêt général pour la politique ou même s'être trouvés sur les rayons parce que nécessaires à un travail journalistique. En revanche il se dit que s'il y avait deux cadavres dans un appartement avec des bouquins sur le terrorisme politique, il y avait tout lieu de noter le fait. Les livres furent donc fourrés dans le sac de voyage d'objets saisis.
Ensuite, il consacra quelques minutes à examiner les tiroirs d'une petite commode ancienne assez abîmée. Sur le dessus il y avait un lecteur de CD et les tiroirs contenaient une grande collection de disques. Jerker Holmberg passa trente minutes à ouvrir chaque pochette de CD pour établir que le disque correspondait à la pochette. Il en trouva une dizaine qui n'étaient pas imprimés, donc gravés maison ou peut-être piratés ; il plaça chacun de ces CD dans le lecteur et constata qu'ils ne contenaient rien d'autre que de la musique. Il s'arrêta un long moment devant le meuble télé à côté de la porte de la chambre, bourré d'une collection de vidéocassettes. Il en testa plusieurs et nota qu'il y avait de tout, depuis des films d'action copiés jusqu'à un méli-mélo d'émissions d'actualité et de reportages, Les faits parlent, Insider et Contre-enquête. Il plaça trente-six cassettes dans le compte rendu de saisie. Ensuite il se rendit dans la cuisine, ouvrit un thermos de café et fit une courte pause avant de poursuivre l'examen.
D'une étagère dans un placard de cuisine, il prit un certain nombre de flacons et de petites boîtes qui manifestement constituaient la réserve de médicaments de l'appartement. Ils furent tous placés dans un sac en plastique puis allèrent rejoindre les autres objets saisis. Il sortit des denrées alimentaires du garde-manger et du réfrigérateur, et il ouvrit chaque pot, chaque boîte à café et chaque bouteille rebouchonnée. Dans un pot de fleurs sur le rebord de la fenêtre il trouva 1 220 couronnes et des tickets de caisse. Il supposa que c'était une sorte de caisse pour les achats courants. Il ne trouva rien d'un intérêt capital. Dans la salle de bains, il ne fit aucune saisie. En revanche, le panier à linge sale débordait et il vérifia tous les habits. Du placard du vestibule il sortit les manteaux et les vestes, et en examina les poches.
Il trouva le portefeuille de Dag Svensson dans la poche intérieure d'une veste et il l'ajouta au compte rendu de saisie. Il y avait une carte d'accès à l'année à un club de gym, une carte de crédit de Handelsbanken et pas tout à fait 400 couronnes en liquide. Il trouva le sac à main de Mia Bergman et passa quelques minutes à en parcourir le contenu. Elle aussi avait une carte d'accès au même club de gym, une carte bancaire de retrait, une carte de membre des magasins Konsum et d'un club baptisé Horisont avec un globe terrestre comme logo. Elle avait en outre un peu plus de 2 500 couronnes en liquide, ce qu'il fallait considérer comme une somme relativement importante mais pas aberrante vu qu'ils avaient projeté un long week-end hors de chez eux. Le fait que l'argent soit encore dans son portefeuille réduisait cependant la vraisemblance d'un meurtre crapuleux.
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