Elle éteignit l'ordinateur, s'assit dans le recoin de la fenêtre et ouvrit l'étui à cigarettes que lui avait offert Mimmi. Elle en alluma une et fixa l'obscurité dehors. Elle sentait qu'elle avait négligé le contrôle sur Bjurman. Il est plus fourbe qu'une hyène, ce salopard.
Une profonde inquiétude la gagnait. D'abord ce Foutu Super Blomkvist puis Zala et maintenant ce Foutu Salopard de Nils Bjurman en compagnie d'un mâle gonflé aux anabolisants et en relation avec un gang de bikers. En quelques jours, plusieurs couacs étaient intervenus dans l'existence organisée que Lisbeth Salander essayait de se constituer.
A 2 H 30 LA MÊME NUIT, Lisbeth Salander ouvrit la porte d'entrée de l'immeuble où habitait maître Nils Bjurman. Elle s'arrêta devant son appartement, rabattit tout doucement le volet pour le courrier et y introduisit le microphone extrêmement sensible qu'elle s'était procuré à Counterspy Shop dans Mayfair à Londres. Elle n'avait jamais entendu parler d'Ebbe Carlsson, mais c'était dans cette même boutique qu'il avait acheté le fameux matériel d'écoute qui, à la fin des années 1980, avait brusquement obligé le ministre suédois de la Justice à démissionner. Elle mit en place les écouteurs et ajusta le volume.
Elle entendit le bourdonnement sourd d'un réfrigérateur et des tic-tac sonores d'au moins deux horloges, dont l'une était une horloge murale dans le séjour à gauche de la porte d'entrée. Elle régla le volume et écouta sans respirer. Elle entendit toutes sortes de craquements et de bruissements de l'immeuble mais aucun bruit d'activité humaine. Il lui fallut une minute pour distinguer les faibles bruits d'une lourde respiration régulière.
Nils Bjurman dormait.
Elle retira le microphone et le fourra dans la poche intérieure de son blouson de cuir. Elle était vêtue d'un jean sombre et elle portait des tennis à semelle en caoutchouc. Sans faire de bruit, elle glissa la clé dans la serrure et entrouvrit la porte. Avant d'ouvrir complètement, elle sortit une matraque électrique de la poche de sa veste. Elle n'avait pas emporté d'autre arme. Elle n'estimait pas avoir besoin de davantage pour arriver à contrôler Bjurman.
Elle entra dans le vestibule, ferma la porte d'entrée et se faufila à pas de loup dans le couloir jusqu'à sa chambre. Elle s'arrêta net en voyant la lumière d'une lampe, mais à ce stade elle put entendre ses ronflements sans l'aide du microphone. Elle se glissa dans sa chambre. Sur le rebord de la fenêtre une lampe était allumée. Qu'est-ce qui far-rive, Bjurman ? Tas peur de dormir dans le noir ?
Elle approcha de son lit et le contempla pendant plusieurs minutes. Il avait vieilli et paraissait se laisser aller. Une odeur dans la pièce indiquait qu'il négligeait son hygiène.
Elle ne ressentit pas la moindre compassion. L'espace d'une seconde, une pointe de haine impitoyable étincela dans ses yeux autrement si inexpressifs. Elle remarqua un verre sur la table de chevet et se pencha pour renifler. De l'alcool.
Elle finit par quitter la chambre. Elle fit un petit tour par la cuisine, n'y trouva rien de particulier, continua par le séjour et s'arrêta à la porte de sa pièce de travail. Elle mit la main dans sa poche et en sortit une douzaine de petits bouts de biscotte qu'elle sema dans l'obscurité sur le parquet. Si quelqu'un se faufilait par le séjour, elle serait avertie par les crissements.
Elle s'installa au bureau de maître Nils Bjurman et plaça la matraque électrique à portée de main. Elle se mit à fouiller systématiquement les tiroirs. Elle examina des relevés bancaires des comptes privés de Bjurman et survola les diverses opérations effectuées. Elle remarqua qu'il était devenu brouillon et plus sporadique dans ses mises à jour mais elle ne trouva rien de digne d'intérêt.
Le dernier tiroir du bureau était fermé à clé. Lisbeth Salander fronça les sourcils. Lors de sa visite un an plus tôt, tous les tiroirs étaient ouverts. Son regard se brouilla quand elle essaya de visualiser l'image du contenu de ce tiroir. A l'époque, le tiroir contenait un appareil photo, un téléobjectif, un petit dictaphone Olympus, un album photo relié plein cuir et une petite boîte avec des colliers, des bijoux et une alliance en or avec l'inscription Tilda et Jacob Bjurman — 23 avril 1951. Lisbeth savait que c'étaient les noms de ses parents et que tous les deux étaient décédés. Elle supposa qu'il gardait l'alliance en souvenir. Des objets qui avaient une sorte de valeur affective, par conséquent. D'accord, il enferme à clé ce qu'il estime précieux.
Elle se mit à examiner le rangement à rideau coulissant derrière le bureau et en sortit deux classeurs contenant sa mission comme tuteur. Pendant un quart d'heure, elle regarda minutieusement tous les papiers, un feuillet après l'autre. Les rapports étaient impeccables et laissaient entendre que Lisbeth Salander était une fille gentille et soigneuse. Quatre mois plus tôt, il avait présenté un rapport stipulant qu'à ses yeux elle paraissait si rationnelle et compétente qu'il y avait tout lieu, lors de l'examen l'année suivante, d'entamer une discussion sur la pertinence de maintenir la tutelle. C'était élégamment formulé et constituait la première pierre dans l'annulation de sa mise sous tutelle.
Le classeur contenait également des annotations à la main indiquant que Bjurman avait été contacté par une Ulrika von Liebenstaahl, de la commission des Tutelles, pour un entretien au sujet de l'état général de Lisbeth. Les mots « nécessité d'une évaluation psychiatrique » étaient soulignés.
Lisbeth fit la moue, remit les classeurs et regarda autour d'elle.
A première vue, elle ne trouvait rien à redire. Bjurman semblait se comporter scrupuleusement selon ses instructions. Elle se mordit la lèvre. Elle avait quand même l'impression que quelque chose clochait.
Elle s'était levée et était sur le point d'éteindre la lampe de bureau quand elle s'arrêta. Elle sortit de nouveau les classeurs et les examina une nouvelle fois. Interloquée.
Les classeurs auraient dû contenir plus que ça. Un an auparavant, il y avait eu un résumé de la commission des Tutelles de son évolution depuis l'enfance. Ce rapport n'était plus là. Pourquoi Bjurman sortirait-il des papiers d'un dossier ? Elle fronça les sourcils. Elle n'arrivait pas à trouver une seule bonne raison. A moins qu'il ne garde d'autres données ailleurs. Elle jeta un regard sur le rangement à rideau coulissant puis baissa les yeux vers le dernier tiroir du bureau.
Elle n'avait pas apporté de passe et retourna à pas feutrés dans la chambre de Bjurman. Elle pécha son trousseau de clés dans la veste pendue sur un valet de nuit. Dans le tiroir, il y avait les mêmes objets qu'un an auparavant. Mais la collection avait été complétée par un carton plat avec la photo d'un Colt 45 Magnum sur le couvercle.
Son regard se brouilla de nouveau quand elle passa mentalement en revue la recherche qu'elle avait faite sur Bjurman presque deux ans plus tôt. Il pratiquait le tir dans un club. Il détenait légalement une licence pour un Colt 45 Magnum.
A contrecœur, elle en conclut qu'il avait raison de tenir le tiroir fermé à clé.
L'état des choses ne lui plaisait pas, mais pour le moment elle ne trouvait pas de prétexte pour réveiller Bjurman et lui casser la gueule.
MIA BERGMAN SE RÉVEILLA à 6 h 30. Elle entendait faiblement les infos à la télé dans le séjour et perçut l'odeur de café. Elle entendit aussi le cliquetis du clavier de l'iBook de Dag Svensson. Elle sourit.
Jamais auparavant elle n'avait vu son compagnon s'atteler ainsi à la tâche. Millenium était une bonne pioche. Dag frimait toujours un peu mais la fréquentation de Blomkvist, Berger et des autres avait un effet bénéfique sur lui. De plus en plus souvent il était rentré abattu à la maison après que Blomkvist lui avait pointé des défauts et torpillé un de ses raisonnements. Ensuite, il avait travaillé deux fois plus.
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