Stieg Larsson - La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette

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Tandis que Lisbeth Salander coule des journées supposées tranquilles aux Caraïbes, Mikael Blomkvist, réhabilité, victorieux, est prêt à lancer un numéro spécial de Millénium sur un thème brûlant pour des gens haut placés : une sombre histoire de prostituées exportées des pays de l'Est.
Mikael aimerait surtout revoir Lisbeth. Il la retrouve sur son chemin, mais pas vraiment comme prévu : un soir, dans une rue de Stockholm, il la voit échapper de peu à une agression manifestement très planifiée. Enquêter sur des sujets qui fâchent mafieux et politiciens n'est pas ce qu'on souhaite à de jeunes journalistes amoureux de la vie.
Deux meurtres se succèdent, les victimes enquêtaient pour
. Pire que tout, la police et les médias vont bientôt traquer Lisbeth, coupable toute désignée et qu'on a vite fait de qualifier de tueuse en série au passé psychologique lourdement chargé.
Mais qui était cette gamine attachée sur un lit, exposée aux caprices d'un maniaque et qui survivait en rêvant d'un bidon d'essence et d'une allumette ? S'agissait-il d'une des filles des pays de l'Est, y a-t-il une hypothèse plus compliquée encore ? C'est dans cet univers à cent à l'heure que nous embarque Stieg Larsson qui signe avec ce deuxième volume de la trilogie Millénium un thriller au rythme affolant.

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Certains cas d'espionnage industriel ou de contrebande de composants électroniques vers l'Est pouvaient se justifier, même si le marché s'était dramatiquement réduit ces dernières années.

En revanche, les putes des pays baltes étaient indéfendables d'un point de vue économique. Les putes n'apportaient que de l'argent de poche et représentaient avant tout une complication qui pouvait à tout moment déboucher sur des articles hypocrites dans les médias et des débats dans l'étrange Parlement suédois qu'on appelait le Riksdag et dont les règles du jeu, aux yeux du géant blond, étaient pour le moins peu claires. L'avantage avec les putes était qu'elles ne représentaient pratiquement aucun risque juridique. Tout le monde aime les putes — le procureur, le juge, les flics et un parlementaire par-ci, par-là. Personne n'allait creuser trop profond pour mettre un terme à cette activité.

Même une pute morte ne causait pas nécessairement des complications. Si la police réussissait à arrêter un suspect évident en quelques heures et que le suspect avait encore du sang sur ses vêtements, il était évidemment condamné à quelques années de prison ou à un internement dans un obscur établissement de soins. Mais si aucun suspect n'était trouvé dans les quarante-huit heures, le blond savait d'expérience que la police ne tardait pas à s'occuper de choses plus importantes.

Quoi qu'il en soit, le géant blond n'aimait pas le commerce de putes. Il n'aimait pas les putes avec leurs visages maquillés à outrance et leurs rires stridents d'alcooliques. Elles n'étaient pas pures. Elles étaient du capital humain du genre qui coûte autant qu'il rapporte. Et comme il s'agissait de capital humain, il y avait toujours le risque qu'une des putes pète les plombs et s'imagine pouvoir rendre son tablier ou commence à balancer aux flics, aux journalistes ou autres fouineurs. Alors il lui faudrait intervenir et punir. Et si les révélations étaient suffisamment précises, la chaîne de procureurs et de flics serait obligée d'agir — sinon ça allait gueuler dans ce foutu Parlement. Le commerce des putes signifiait des emmerdes.

Les frères Atho et Harry Ranta étaient l'exemple type des emmerdes. Deux parasites inutiles beaucoup trop au courant de l'activité. Il aurait préféré leur attacher une chaîne autour du cou et les couler au fond du port. Au lieu de cela, il avait accompagné ces messieurs au ferry pour Tallinn et patiemment attendu qu'ils embarquent. Leurs vacances forcées étaient dues à un foutu journaliste qui avait commencé à farfouiller dans leurs affaires, et la décision avait été prise de les rendre invisibles jusqu'à ce que l'alerte soit passée.

Il soupira de nouveau.

Avant tout, le géant blond n'aimait pas les jobs annexes comme Lisbeth Salander. Elle ne représentait pas le moindre intérêt en ce qui le concernait. Elle ne signifiait aucun profit.

Il n'aimait pas maître Nils Bjurman et n'arrivait pas à comprendre pourquoi on avait décidé d'accéder à sa demande. Mais la balle était lancée maintenant. Des ordres avaient été donnés, la mission avait été mise en sous-traitance chez le MC Svavelsjö.

Reste que la conjoncture actuelle ne lui plaisait pas. Il avait de mauvais pressentiments.

En jetant son mégot dans le fossé, ses yeux se portèrent sur le champ plongé dans l'ombre. Et soudain il capta un mouvement du coin de l'œil. Il se figea, tendit le regard. Il n'y avait aucun éclairage à part un mince croissant de lune, mais il pouvait quand même distinguer les contours d'un personnage sombre qui rampait vers lui à environ trente mètres de la route. L'être avançait lentement en faisant de petites pauses.

Le géant blond sentit soudain la sueur froide sur son front.

Il haïssait l'être dans le champ.

Pendant plus d'une minute, il resta quasiment paralysé, les yeux rivés sur l'avancée lente mais constante de la silhouette. Lorsque la créature fut si près qu'il put distinguer ses yeux étincelants dans le noir, il pivota sur ses talons et courut vers la voiture. Il ouvrit d'un coup sec la portière et chercha fébrilement la clé de contact. Il sentit la panique grandir jusqu'à ce qu'enfin il réussisse à démarrer et à allumer ses phares. La créature avait atteint la route et le géant blond put enfin distinguer des détails à la lueur des phares. On aurait dit une énorme raie manta qui se traînait sur le sol. Elle avait un dard comme un scorpion.

Une chose était sûre. La créature n'était pas de ce monde. Elle n'était décrite dans aucun livre connu sur la faune. C'était un monstre sorti tout droit des enfers.

Il enclencha la première et démarra sur les chapeaux de roues. Quand la voiture passa devant la créature, il la vit tenter une attaque, sans qu'elle puisse l'atteindre. Il ne cessa de trembler que plusieurs kilomètres plus loin.

LISBETH SALANDER CONSACRA la nuit à lire le résultat des recherches que Dag Svensson et Millenium faisaient sur le trafic de femmes. Peu à peu elle obtint une image assez complète, même si celle-ci était basée sur des fragments mystérieux pioches dans le courrier électronique dont elle se servait pour son puzzle.

Erika Berger envoyait une question à Mikael Blomkvist au sujet de l'avancement des confrontations ; il répondait brièvement qu'ils avaient des problèmes pour trouver l'homme de la Tcheka. Elle comprit qu'un des individus qui allaient se voir épingles dans le reportage travaillait à la Säpo. Malou Eriksson envoyait un résumé d'une recherche annexe à Dag Svensson avec copie à Mikael Blomkvist et à Erika Berger. Svensson et Super Blomkvist répondaient par des commentaires et des propositions de développement. Mikael et Dag échangeaient des mails plusieurs fois par jour. Dag Svensson rendait compte d'une confrontation qu'il avait eue avec un certain Per-Åke Sandström, journaliste.

Au vu des mails de Dag Svensson, elle put aussi constater qu'il communiquait avec un dénommé Gulbrandsen, via une adresse Yahoo. Il lui fallut un moment avant de comprendre que Gulbrandsen devait être flic et que leur échange se faisait de façon confidentielle sur une adresse neutre, au lieu de l'adresse de Gulbrandsen à la police. Ce gars-là était donc une source.

Le dossier [ZALA] était d'une minceur frustrante, il ne contenait que trois documents Word. Le plus long, 128 Ko, était nommé [Irina P.] et contenait des fragments de la vie d'une prostituée. Du compte rendu d'autopsie que donnait Dag Svensson, Lisbeth comprit que la fille était morte.

Pour autant que Lisbeth pouvait le comprendre, Irina P. avait subi des violences si extrêmes que trois de ses blessures avaient été mortelles.

Lisbeth reconnut une formulation dans le texte comme étant une citation mot à mot de la thèse de Mia Bergman. Dans la thèse, il était question d'une femme nommée Tamara. Lisbeth se dit qu'Irina P. et Tamara devaient être une seule et même personne, et elle lut attentivement le passage avec son interview dans la thèse.

Le deuxième document s'appelait [Sandström] et il était beaucoup plus court. Il contenait le même résumé que Dag Svensson avait mailé à Super Blomkvist et qui démontrait qu'un journaliste appelé Per-Åke Sandström était l'un des michetons ayant exploité une fille d'un pays balte, mais aussi qu'il avait été l'homme de la mafia du sexe et qu'il avait été payé en drogue ou en sexe. Lisbeth était fascinée de voir qu'à côté de sa production de journaux d'entreprise, Sandström avait aussi écrit plusieurs articles dans un quotidien où il condamnait avec indignation le commerce du sexe. Il révélait entre autres qu'un homme d'affaires suédois, dont il taisait le nom, avait fréquenté un bordel à Tallinn.

Le nom de Zala n'apparaissait ni dans [Sandström] ni dans [Irina P.] mais Lisbeth se dit que puisque les deux documents étaient placés dans un dossier intitulé [ZALA], il y avait forcément un lien. Le troisième et dernier document du dossier [ZALA] était aussi nommé [ZALA]. Il était bref et rédigé sous forme de liste.

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