Selon Dag Svensson, le nom de Zala avait figuré à neuf reprises en relation avec des stupéfiants, des armes ou la prostitution depuis le milieu des années 1990. Personne ne semblait savoir qui était Zala, mais différentes sources l'avaient mentionné comme étant yougoslave, polonais ou éventuellement tchèque. Tous les renseignements étaient de deuxième main ; aucune des personnes avec qui Dag Svensson avait parlé ne semblait jamais avoir rencontré Zala.
Dag Svensson avait largement discuté de Zala avec source G. (Gulbrandsen ?) et avait avancé la théorie que Zala pouvait être le responsable du meurtre d'Irina P. Si rien n'était dit sur l'avis de source G. sur cette théorie, Lisbeth apprit par contre qu'un an auparavant, Zala avait fait l'objet d'un point de discussion lors d'une réunion du « groupe spécial d'enquête sur la criminalité organisée ». Le nom avait surgi tant de fois que la police avait commencé à poser des questions et essayé de se faire une opinion sur la réalité de l'existence de Zala.
D'après ce que Dag Svensson avait pu apprendre, le nom de Zala avait surgi la première fois lors du braquage d'un transport de fonds à Örkelljunga en 1996. Les braqueurs avaient mis la main sur plus de 3,3 millions de couronnes, mais ils avaient tellement cafouillé que la police avait identifié et arrêté la bande dès les premières vingt-quatre heures. Un jour plus tard, une autre personne avait été arrêtée. Le criminel professionnel Benny Nieminen, membre du MC Svavelsjö, supposé avoir fourni les armes utilisées pour le hold-up, ce qui lui avait valu son deuxième plongeon sérieux avec quatre ans de taule.
Une semaine après le braquage du transport de fonds en 1996, trois autres personnes étaient arrêtées pour complicité. Le gang comprenait ainsi huit personnes, dont sept avaient catégoriquement refusé de parler aux flics. Le huitième, un garçon de dix-neuf ans seulement, Birger Nordman, s'était effondré et avait tout balancé lors des interrogatoires. Le procès fut une victoire facile pour le procureur, ce qui pouvait expliquer (avançait la source policière de Dag Svensson) pourquoi deux ans plus tard, après qu'il avait profité d'une permission pour se faire la belle, on trouva Birger Nordman enterré dans une sablière du Värmland.
Selon source G., la police soupçonnait Benny Nieminen d'être l'homme-clé derrière le gang. On soupçonnait également que Nordman avait été tué sur ordre de Benny Nieminen, mais rien ne venait étayer les présomptions. Nieminen était considéré comme extrêmement dangereux et sans scrupules. En taule, le lien avait été établi entre Nieminen et Fraternité aryenne, une organisation nazie dans les prisons, liée elle-même à Fraternité Wolfpack et au-delà aussi bien avec des gangs criminels dans la nébuleuse des motards qu'avec diverses organisations nazies débiles et violentes style Mouvement de résistance suédoise, etc.
Ce qui intéressait Lisbeth Salander était cependant tout autre chose. Au cours des interrogatoires, le braqueur Birger Nordman avait lâché que les armes utilisées pour le braquage provenaient de Nieminen qui lui-même les tenait d'un Yougoslave, inconnu de Nordman, du nom de « Sala ».
Dag Svensson tirait la conclusion qu'il s'agissait d'un gars très discret dans le milieu du crime. Vu que personne ne correspondait à Zala dans le registre de l'état civil, Dag se disait que Zala devait être un surnom, mais qu'il pouvait aussi s'agir d'un délinquant particulièrement avisé agissant sciemment sous un faux nom.
Le dernier point de la liste comportait un bref compte rendu des informations sur Zala données par le journaliste micheton Sandström. Ce qui était très maigre. Selon Dag Svensson, Sandström avait à une occasion parlé au téléphone avec une personne portant ce nom. Les notes ne mentionnaient pas le contenu de cet entretien.
Vers 4 heures, elle ferma son PowerBook, s'assit au coin de la fenêtre et regarda la baie de Saltsjön. Elle resta immobile pendant deux heures en fumant pensivement des cigarettes à la chaîne. Elle allait être obligée de prendre quelques décisions stratégiques et il lui faudrait procéder à une analyse des conséquences.
Elle en arrivait à se dire que l'heure était venue pour elle de trouver Zala et de mettre une fois pour toutes un terme à leurs petites affaires.
LE SAMEDI SOIR de la semaine précédant Pâques, Mikael Blomkvist rendit visite à une ancienne copine dans Slipgatan près de Hornstull. Fait rarissime, il avait accepté son invitation à une fête. Elle était mariée maintenant et pas le moins du monde intéressée par des relations plus poussées avec Mikael, mais elle travaillait dans les médias et ils échangeaient un bonjour quand ils se croisaient. Elle venait de sortir un livre en gestation pendant au moins dix ans et qui abordait le curieux sujet de la vision que le monde des médias avait des femmes. Mikael ayant un tant soit peu collaboré, elle l'avait invité.
Le rôle de Mikael s'était limité à une recherche sur une question simple. Il avait sorti des plans d'égalité des sexes que l'agence TT, Dagens Nyheter, Rapport et un certain nombre d'autres médias affirmaient respecter, puis il avait coché qui était homme et qui était femme dans les directions de ces entreprises à partir du niveau du secrétaire de rédaction. Le résultat fut pénible. PDG : homme. Président du CA : homme. Rédacteur en chef : homme. Responsable du domaine étranger : homme. Directeur de la rédaction : homme... et ainsi de suite jusqu'à ce que la première femme fasse son apparition, en général comme une exception style Christina Jutterström ou Amelia Adamo.
Ce soir, il s'agissait d'une fête privée et les invités étaient avant tout des gens ayant d'une manière ou d'une autre apporté leur contribution au livre.
La soirée avait été très gaie, la nourriture bonne et les discussions décontractées. Mikael avait pensé rentrer tôt mais la plupart des invités étaient de vieilles connaissances qui se retrouvaient rarement ensemble. Sans compter que, pour une fois, personne n'insistait pour débattre de l'affaire Wennerström. Les réjouissances s'étiraient et vers 2 heures le dimanche matin seulement, le gros de la troupe commença à partir. Ils descendirent ensemble jusqu'à Långholmsgatan où ils se séparèrent.
Mikael vit le bus de nuit passer avant d'avoir eu le temps de rejoindre l'arrêt, mais la nuit était tiède et il décida de rentrer à pied plutôt que d'attendre le bus suivant. Il suivit Högalidsgatan jusqu'à l'église, puis tourna dans Lundagatan, ce qui éveilla immédiatement de vieux souvenirs.
Depuis décembre, Mikael avait tenu sa promesse de cesser d'emprunter Lundagatan avec l'espoir de voir Lisbeth Salander resurgir. Cette nuit, il s'arrêta sur le trottoir en face de la porte d'entrée de son immeuble. Il ressentit l'envie de traverser la rue et d'essayer de sonner à sa porte, mais se dit qu'il serait trop invraisemblable qu'elle soit justement de retour et qu'elle ait à nouveau envie de lui parler.
Finalement, il haussa les épaules et continua sa promenade en direction de Zinkensdamm. Il avait parcouru une cinquantaine de mètres lorsqu'il entendit un bruit. Il tourna la tête et son cœur se mit à battre la chamade. On pouvait difficilement se méprendre sur ce corps rachitique. Lisbeth Salander venait de sortir de l'immeuble et s'éloignait dans la rue. Elle s'arrêta devant une voiture garée.
Mikael ouvrit la bouche pour l'appeler lorsque les mots se coincèrent dans sa gorge. Car, brusquement, il vit une silhouette se détacher d'une des voitures garées le long du trottoir. C'était un homme, et il se dirigeait vers Lisbeth Salander. Mikael eut l'impression de voir qu'il était grand et qu'il avait un ventre proéminent. Ses cheveux étaient serrés en une queue de cheval.
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