Lisbeth soupira.
— Allez, dit Miriam Wu en tripotant le bijou dans le nombril de Lisbeth. Tu fais une fixation sur le sexe. Mais on peut revenir ici après le bar.
Lisbeth soupira de nouveau, posa un pied par terre et se tendit pour attraper sa culotte.
DAG SVENSSON ÉTAIT INSTALLÉ devant le bureau qu'on lui prêtait dans un coin de la rédaction de Millenium, lorsque soudain il eut la surprise d'entendre le cliquetis de la serrure de la porte d'entrée. Il regarda sa montre et réalisa qu'il était déjà 21 heures. Mikael Blomkvist fut tout aussi surpris de découvrir quelqu'un à la rédaction.
— Eh ben, tu fais des heures sup ? Salut Micke. Moi, à force de bosser sur mon livre, je ne vois pas l'heure passer. Qu'est-ce qui t'amène ?
— Je passe juste chercher un livre que j'ai oublié. Tout se passe comme tu veux ?
— Oui, bof, non... Voilà trois semaines que j'essaie de pister ce connard de Björck de la Säpo. On dirait qu'il a été enlevé par des services de renseignements étrangers. Plus aucune trace de lui.
Dag raconta ses revers. Mikael prit une chaise, s'assit et réfléchit un instant.
— Tu n'as pas essayé le truc de tirage gagnant ?
— Quoi ?
— Invente un en-tête ronflant, écris une lettre annonçant qu'il a gagné un téléphone portable avec GPS ou ce que tu veux. Tu la sors proprement sur l'imprimante et tu l'envoies à son adresse — dans le cas présent à sa boîte postale. Et l'astuce, c'est de lui dire qu'il a déjà gagné le téléphone portable. Tout ce qu'il lui reste à faire, c'est préciser où il veut le chercher. Et comme il a droit au bonus, il est l'une des vingt personnes qui peuvent continuer et gagner 100 000 couronnes. On lui demande seulement de participer à une enquête sur différents produits. L'enquête se fait en une heure et elle est réalisée par un enquêteur professionnel. Et ensuite... bon, tu m'as compris.
Dag Svensson fixa Mikael bouche bée.
— Tu es sérieux ?
— Pourquoi pas ? Tu as tout essayé, et même un gros bonnet de la Säpo devrait être capable de comprendre que la chance de gagner 100 000 couronnes est assez honnête s'il est un des vingt sélectionnés.
Dag Svensson découvrit soudain qu'il était plié de rire.
— Tu es complètement fou. C'est légal ?
— J'ai du mal à croire que ce serait illégal de faire cadeau d'un téléphone portable.
— Putain ! T'es vraiment incroyable, toi.
Dag Svensson rit encore un moment. Mikael hésita. En fait, il rentrait chez lui, et ce n'était pas son habitude de fréquenter les bars, mais il aimait bien la compagnie de Dag Svensson.
— Qu'est-ce que tu dirais d'une bière ? demanda-t-il. Dag Svensson consulta sa montre.
— Ça me tente, dit-il. Pourquoi pas ? Mais rapidos. Je passe un coup de fil à Mia. Elle est de sortie avec quelques copines, elle devait me prendre au retour.
ILS ALLÈRENT AU MOULIN, surtout parce que c'était commode, tout près. Dag Svensson pouffait régulièrement de rire en composant mentalement la lettre à Björck. Mikael jeta en douce un regard sceptique sur son collaborateur si facile à amuser. Un couple s'en allait au moment où ils arrivaient et ils purent prendre leur table tout près de l'entrée. Ils commandèrent chacun un demi, rapprochèrent leurs têtes et se mirent à discuter du sujet qui pour l'instant accaparait la vie professionnelle de Dag Svensson.
Mikael Blomkvist ne vit pas Lisbeth Salander au bar avec Miriam Wu. Lisbeth fit un pas en arrière de sorte à placer Mimmi entre elle et Mikael. Elle l'observa par-dessus l'épaule de Mimmi, le visage neutre.
C'était la première fois qu'elle sortait depuis son retour en Suède, et il fallait évidemment qu'elle tombe sur lui. Foutu Super Blomkvist.
C'était la première fois depuis plus d'un an qu'elle le voyait.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? demanda Mimmi.
— Rien, dit Lisbeth Salander.
Elles continuèrent à parler. Ou plutôt Mimmi continua à raconter l'histoire d'une fille qu'elle avait rencontrée au cours d'un voyage à Londres quelques années auparavant. Il y était question d'une visite dans une galerie d'art et d'une situation de plus en plus cocasse à mesure que Mimmi essayait de la draguer. Lisbeth hocha la tête de temps en temps et loupa comme d'habitude le clou de l'histoire.
Mikael Blomkvist n'avait pas beaucoup changé, put-elle constater. Il était terriblement beau ; décontracté et bien dans ses baskets mais l'air sérieux quand même. Il écoutait ce que disait son voisin de table et hochait régulièrement la tête. Ça n'avait pas l'air marrant, comme conversation.
Lisbeth déplaça son regard sur le copain de Mikael. Un garçon blond aux cheveux coupés très court, plus jeune que Mikael de quelques années, qui parlait avec un air concentré et semblait expliquer quelque chose. Elle n'avait jamais vu ce type auparavant et ignorait totalement qui il était.
Brusquement, un groupe de personnes s'approcha de la table de Mikael pour lui serrer la main. Une des femmes lui donna une petite tape amicale sur la joue et dit quelque chose qui les fit tous rire. Mikael eut l'air embarrassé, mais il rit avec les autres. On le traitait manifestement comme une célébrité depuis son succès dans l'affaire Wennerström.
Lisbeth Salander fronça un sourcil.
— Tu n'écoutes pas ce que je dis, dit Mimmi.
— Mais si, je t'écoute.
— Tu es nulle comme compagne de bar. J'abandonne. Tu veux qu'on rentre baiser ?
— Dans un moment, répondit Lisbeth.
Elle se plaça un peu plus près de Mimmi, posa une main sur sa hanche et glissa discrètement un index sous son pull pour lui tripoter le ventre. Mimmi baissa les yeux sur elle.
— J'ai envie de t'embrasser sur la bouche.
— Ne fais pas ça.
— Tu as peur que les gens te prennent pour une gouine ?
— Je ne veux pas attirer l'attention juste maintenant.
— On n'a qu'à rentrer alors. J'ai envie de m'amuser.
— Pas tout de suite. Attends un peu.
ELLES N'EURENT PAS A ATTENDRE LONGTEMPS. Vingt minutes après leur arrivée, l'homme qui accompagnait Mikael reçut un appel sur son portable. Ils vidèrent leurs verres de bière et se levèrent en même temps.
— Hé, regarde ce mec, dit Mimmi. C'est Mikael Blomkvist. Il est devenu plus célèbre qu'une star du rock après l'affaire Wennerström.
— Ah bon, fit Lisbeth.
— Tu as loupé ça. C'était à peu près au moment où tu t'es tirée à l'étranger.
— J'en ai entendu parler.
Lisbeth attendit encore cinq minutes avant de regarder Mimmi.
— Tu voulais m'embrasser sur la bouche.
Mimmi la regarda, toute surprise.
— C'était pour te taquiner.
Lisbeth se dressa sur la pointe des pieds, attira le visage de Mimmi à sa hauteur et lui roula un patin qui dura deux minutes. Les gens les applaudirent.
— T'es complètement fêlée, dit Mimmi.
LISBETH SALANDER NE RENTRA chez elle que vers 7 heures. Elle tira sur son tee-shirt pour se renifler sous les bras, envisagea de prendre une douche mais laissa tomber. Elle abandonna ses vêtements en tas par terre et alla se coucher. Elle dormit jusqu'à 16 heures, se leva et alla prendre un petit-déjeuner aux Halles de Söder.
Elle réfléchissait à Mikael Blomkvist et à la réaction qu'elle avait eue confrontée à lui. Sa présence l'avait fortement agacée, mais elle constata aussi que ça ne faisait plus mal de le voir. Il s'était transformé en un petit point sur l'horizon, une légère perturbation dans l'existence.
Il y avait des perturbations bien pires dans la vie.
Mais elle regretta soudain de ne pas avoir eu le courage d'aller le saluer.
Ou à l'extrême de ne pas l'avoir assommé.
Elle hésitait entre les deux possibilités, mais elle fut tout à coup très curieuse de savoir sur quoi il travaillait. Dans l'après-midi, elle fit quelques courses, rentra vers 19 heures, alluma son PowerBook et démarra le programme Asphyxia 1.3. L'icone MikBlom/laptop s'affichait toujours sur le serveur en Hollande. Elle double cliqua et ouvrit une copie du disque dur de Mikael Blomkvist. C'était sa première visite dans son ordinateur depuis son départ de Suède plus d'un an auparavant. Elle nota avec satisfaction qu'il n'avait pas encore fait la mise à jour de la dernière version de MacOS, ce qui aurait signifié l'élimination d'Asphyxia et plus de piratage possible. Elle se dit aussi qu'elle devait réécrire le logiciel pour empêcher qu'une mise à jour ne le détruise.
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