Puis elle conduisit la Honda à Lundagatan et frappa chez Mimmi pour déposer des doubles des clés. Mimmi pourrait évidemment utiliser la voiture si elle prévenait en avance. Comme la place de parking ne serait disponible qu'au début du mois, elles garèrent la voiture dans la rue en attendant.
Mimmi était en partance pour un rendez-vous et un cinoche, occupation aussi excitante pour Lisbeth qu'un débat budgétaire au Parlement. De plus, elle sortait avec une amie dont Lisbeth n'avait jamais entendu parler. Mimmi étant maquillée à outrance, vêtue d'un ensemble trash et affublée d'une sorte de collier de chien autour du cou, Lisbeth supposa qu'il s'agissait d'une de ses dulcinées, et bien que Mimmi lui ait proposé de venir, elle dit non. Elle n'avait aucune envie de se retrouver dans un drame triangulaire avec l'une des copines de Mimmi aux longues jambes, probablement super-sexy et qui la ferait se sentir comme une idiote. Elles allèrent ensemble jusqu'au métro de Hötorget où elles se séparèrent.
Lisbeth fit à pied le trajet jusqu'à OnOff dans Sveavägen et entra dans la boutique deux minutes avant la fermeture. Elle acheta une cartouche pour son imprimante laser et demanda qu'on lui enlève l'emballage pour qu'elle puisse la fourrer dans son sac à dos.
En sortant de la boutique, elle avait un petit creux. Elle gagna Stureplan où elle entra, pur hasard, dans le café Hedon, un endroit branché où elle n'avait jamais mis les pieds auparavant. Elle reconnut immédiatement maître Nils Erik Bjurman, de trois quarts dos, et fit volte-face à la porte. Elle se plaça près de la grande fenêtre donnant sur le trottoir et tendit la nuque pour pouvoir observer son tuteur à l'abri d'un comptoir.
La vue de Bjurman n'éveilla pas d'émotions particulières en Lisbeth Salander. Elle ne ressentit ni colère, ni haine, ni peur. Four ce qui fa concernait, te monde serait sans attestation un meilleur endroit sans ce type, mais il vivait parce qu'elle avait décidé qu'il lui était plus utile ainsi. Elle déplaça le regard vers l'homme en face de lui et sursauta quand brusquement il se leva.
Clic.
L'homme était particulièrement grand, au moins deux mètres, et très bien bâti. Exceptionnellement bien bâti même. Son visage était délicat, ses cheveux blonds coupés ras sur les tempes et en courte frange sur le front, mais l'impression générale était celle d'une forte virilité.
Lisbeth vit le géant blond se pencher et dire quelque chose à voix basse à Bjurman, qui hocha la tête. Ils se serrèrent la main et Lisbeth vit que Bjurman retirait vivement la sienne.
Tiens, tiens, qui t'es, toi ? Et qu'est-ce que tu fous avec Bjurman ?
Lisbeth Salander descendit rapidement un peu plus bas dans la rue et se posta dans l'entrée d'un tabac. Elle contemplait les titres de la presse quand le blond sortit de chez Hedon et prit à gauche sans se retourner. Il passa à moins de trente centimètres du dos de Lisbeth. Elle lui laissa une avance de quinze mètres avant de le suivre.
LA BALADE A PIED NE DURA PAS. Le géant blond descendit tout de suite au métro dans Birger Jarlsgatan et prit son ticket à un distributeur. Il attendit sur le quai direction sud — ce qui était de toute façon la direction de Lisbeth — et monta dans la rame pour Norsborg. Il descendit à Slussen et prit direction Farsta, mais descendit dès Skanstull et rejoignit à pied le café Blomberg dans Götgatan.
Lisbeth Salander resta dehors. Elle examina pensivement l'homme avec qui s'installa le géant blond. Clic. Lisbeth lui donna le profil mauvaises nouvelles. Un gros type, avec un visage maigre et un bide de buveur de bière. Il avait des cheveux blonds ramassés en catogan et une moustache blonde. Vêtu d'un jean noir, d'une veste en jean et de boots à talons. Sur le dos de la main droite, il avait un tatouage dont Lisbeth n'arrivait pas à distinguer le motif de si loin. Il avait une gourmette en or au poignet et il fumait des Lucky Strike à en juger par le paquet sur la table. Lisbeth nota son regard errant, ce qu'elle associait aux gens qui se défoncent. Elle nota aussi qu'il portait un gilet sous la veste de jean. Elle fit immédiatement l'association avec les motards.
Le géant blond ne commanda rien. Il paraissait s'exprimer à voix basse. Il expliquait quelque chose. L'homme à la veste en jean hochait régulièrement la tête mais ne semblait pas contribuer à la conversation. Bon Dieu, pourquoi j'ai pas mon micro ultrasensible ?!
Au bout de cinq minutes, le géant blond se leva et quitta le café Blomberg. Lisbeth se retira vivement, mais il ne regarda même pas dans sa direction. Il marcha sur une quarantaine de mètres et monta les escaliers d'Allhelgonagatan, où il s'avança et ouvrit la portière d'une Volvo blanche. Il démarra et s'engagea doucement sur la chaussée. Lisbeth était si près qu'elle eut le temps de noter le numéro d'immatriculation avant qu'il disparaisse au coin de la rue.
Lisbeth resta pensivement quelques secondes à regarder la place où la Volvo avait été garée. Puis elle fit demi-tour et se dépêcha de retourner au café Blomberg. Elle s'était absentée moins de trois minutes, mais la table était déjà vide. Elle pivota sur ses talons et regarda dans les deux sens sur le trottoir sans voir l'homme avec la queue de cheval et la veste en jean. Puis elle regarda de l'autre côté de la rue et l'aperçut qui poussait la porte du McDonald's.
Elle fut obligée d'entrer pour le voir de nouveau. Il était assis au fond en compagnie d'un autre homme qui portait des vêtements semblables et très nettement connotés. Celui-là portait le gilet par-dessus la veste en jean. Lisbeth lut l'inscription, MOTO-CLU B SVAVELSJÖ. Avec une roue de moto stylisée qui ressemblait à une croix celtique ornée d'une hache.
Lisbeth sortit dans Götgatan et resta indécise pendant une minute avant de partir vers le nord pour rentrer chez elle. Elle marchait avec la sensation que tout son système d'alerte s'était soudain allumé.
LISBETH S'ARRÊTA dans Götgatan au 7-Eleven faire ses courses pour la semaine : un grand pack de pizzas surgelées, trois gratins de poisson cuisinés, trois tartes au bacon, un kilo de pommes, deux pains, un gros morceau de fromage, du lait, du café, une cartouche de Marlboro light et les journaux du soir. Elle prit Svartensgatan pour monter vers Fiskaregatan et regarda attentivement autour d'elle avant de pianoter le code de son immeuble. Elle fourra l'une des tartes au bacon dans le micro-ondes et but à même la brique de lait. Elle lança la cafetière électrique et s'installa ensuite devant son ordinateur, cliqua sur Asphyxia 1.3 et entra sur le serveur hollandais et sur le reflet du disque dur de maître Bjurman. Elle passa au peigne fin le contenu de son ordinateur.
Elle ne trouva absolument rien de digne d'intérêt. Bjurman semblait rarement se servir de son courrier électronique et elle ne trouva qu'une douzaine de mails brefs et personnels échangés avec des amis. Rien dans son courrier n'avait de rapport avec Lisbeth Salander.
Elle trouva un nouveau dossier avec des photos pornos hard qui indiquaient qu'il s'intéressait encore aux femmes rabaissées dans des situations sadiques. Son regard se durcit un peu mais cela ne constituait pas une transgression formelle de la règle qui lui interdisait de fréquenter des femmes.
Elle copia le dossier qui contenait les documents concernant la mission de Bjurman comme tuteur de la dénommée Lisbeth Salander et lut attentivement ses rapports mensuels. Chacun correspondait scrupuleusement aux copies qu'elle lui avait ordonné d'envoyer par mail à l'une de ses nombreuses adresses hotmail.
Tout était parfaitement normal.
Sauf peut-être un tout petit écart... Quand elle vérifia le listing, elle constata qu'en général il créait les documents tout au début du mois, qu'il consacrait en moyenne quatre heures à rédiger chaque rapport et qu'il l'envoyait ponctuellement à la commission des Tutelles le 20 de chaque mois. On était maintenant mi-mars, et il ne s'était pas encore attelé au rapport du mois. Négligence ? Retard ? Occupé ailleurs ? Quelque chose de louche qui se trame ? Une ride se creusa sur le front de Lisbeth Salander.
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