— J'emménage ce week-end. Tu es sûre de ne pas regretter ?
— Je n'ai pas besoin de cet appartement.
— Mais c'est un appart d'enfer. Je veux dire, il en existe des plus grands et des mieux, mais dans d'autres quartiers que Söder et les charges ne représentent que dalle. Lisbeth, tu te prives d'une fortune en ne vendant pas.
— J'ai assez d'argent pour m'en tirer.
Mimmi se tut, ne sachant pas très bien comment interpréter les commentaires laconiques de Lisbeth.
— Tu vas habiter où ?
Lisbeth ne répondit pas.
— Je pourrai venir te voir ?
— Pas pour le moment.
Lisbeth ouvrit sa sacoche et sortit des papiers qu'elle tendit à Mimmi.
— Je me suis occupée du contrat avec la copropriété. Comme je te disais, je n'ai pas le droit de sous-louer. Le plus simple est donc que je déclare que tu vis avec moi et que je te vends la moitié de l'appartement. Le prix de vente est de 1 couronne. Il faut que tu signes le contrat.
Mimmi prit le stylo et apposa sa signature et sa date de naissance sur le document.
— Et ça suffit ?
— Ça suffit.
— Lisbeth, je n'ai pas mis en question ton bon sens, mais est-ce que tu réalises que tu viens de me faire cadeau de la moitié de cet appartement ? Je n'ai rien contre, mais je ne voudrais pas que tu regrettes brusquement et que ça crée des emmerdes entre nous.
— Il n'y aura jamais d'emmerdes. Je veux que tu habites ici. Ça me va.
— Mais à l'œil. Sans dédommagement. T'es cinglée.
— Tu t'occupes de mon courrier. C'est la seule condition.
— Ça me prendra quatre secondes par semaine. Tu as l'intention de passer de temps en temps pour faire l'amour ?
Lisbeth fixa Mimmi. Elle resta sans rien dire un instant.
— Mimmi, j'ai très envie de faire l'amour avec toi, mais ça ne fait pas partie du contrat. Tu peux refuser quand tu veux.
Mimmi soupira.
— Et moi qui commençais tout juste à aimer l'idée de me sentir comme une femme entretenue. Tu sais, avec une patronne qui me paie un appart et se pointe de temps en temps pour une partie de jambes en l'air. Lisbeth, tu dois bien comprendre que je te trouve complètement barge.
Lisbeth ne répondit pas. Puis Mimmi se leva résolument, passa dans le séjour et éteignit l'ampoule qui pendait nue au plafond.
— Viens ici.
Lisbeth la suivit.
— Je n'ai jamais fait l'amour par terre dans un appart fraîchement repeint où il n'y a pas un meuble. Mais un jour j'ai vu un film avec Marlon Brando, il était avec une fille, ça se passait à Paris.
Lisbeth baissa les yeux sur le parquet.
— J'ai envie de m'amuser. Et toi ?
— J'en ai envie la plupart du temps.
— Ce soir j'ai bien envie de jouer la dominatrice. C'est moi qui décide. Déshabille-toi.
Le visage de Lisbeth s'éclaira soudain d'un sourire en coin. Elle se déshabilla. Cela lui prit dix secondes.
— Allonge-toi par terre. Sur le ventre.
Lisbeth obtempéra. Le parquet était froid et elle eut tout de suite la chair de poule. Mimmi utilisa le tee-shirt de Lisbeth portant l'inscription You have the right to remain silent pour lui attacher les mains dans le dos.
Lisbeth se dit tout à coup que ce salopard de maître Nils Bjurman l'avait attachée de la même manière deux ans auparavant.
Mais là s'arrêtaient les ressemblances.
Avec Mimmi, Lisbeth ne ressentait qu'une attente bourrée de désir. Elle se laissa docilement faire lorsque Mimmi la roula sur le dos et écarta ses jambes. Dans la pénombre, elle regarda Mimmi se dévêtir à son tour, et elle fut fascinée par la courbe de ses seins. Puis Mimmi lui couvrit les yeux du tee-shirt qu'elle venait de retirer. Lisbeth entendit un froissement de vêtements quand Mimmi finit de se déshabiller. Quelques secondes plus tard, elle sentit la langue de Mimmi sur son ventre, juste au-dessus du nombril, et ses doigts à l'intérieur des cuisses. Elle fut d'un coup plus excitée qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Elle serra les yeux sous le bandeau et laissa le soin à Mimmi de déterminer le rythme.
8
LUNDI 14 FÉVRIER — SAMEDI 19 FÉVRIER
DRAGAN ARMANSKIJ LEVA LES YEUX en entendant le petit coup frappé du bout d'une chaussure sur sa porte et il aperçut Lisbeth Salander. Elle tenait en équilibre deux gobelets de la machine à cappuccinos. Il posa lentement son stylo et repoussa son rapport.
— Salut, dit-elle.
— Salut, répondit Armanskij.
— C'est une visite amicale, dit-elle. Est-ce que je peux entrer ?
Dragan Armanskij ferma les yeux pendant une seconde. Puis il indiqua le fauteuil des visiteurs. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Il était 18 h 30. Lisbeth Salander lui tendit un des gobelets et s'assit. Ils restèrent un moment à s'observer.
— Plus d'un an, dit Dragan.
Lisbeth hocha la tête.
— Tu es fâché ?
— Devrais-je l'être ?
— Je n'ai pas dit au revoir.
Dragan fit la moue. Il était soulagé de constater qu'au moins Lisbeth Salander n'était pas morte. Il ressentit aussi une violente irritation et de la fatigue.
— Je ne sais pas quoi dire, répondit-il. Tu n'as aucune obligation de m'informer de tes occupations. Qu'est-ce que tu veux ?
Sa voix sonnait plus fraîche que voulu.
— Je ne sais pas vraiment. Je crois que je suis surtout passée dire coucou.
— Tu as besoin d'un boulot ? Je n'ai plus l'intention de faire appel à toi.
Elle secoua la tête.
— Tu travailles ailleurs ?
Elle secoua de nouveau la tête. Elle semblait essayer de formuler des mots. Dragan attendit.
— J'ai voyagé, finit-elle par dire. Ça ne fait pas longtemps que je suis revenue en Suède.
Armanskij hocha pensivement la tête et l'examina. Il réalisa tout à coup que Lisbeth Salander avait changé. Il y avait une sorte de nouvelle... maturité dans son choix de vêtements et de comportement. Et elle avait rembourré son soutien-gorge.
— Tu as changé. Tu étais où ?
— Un peu partout..., répondit-elle évasivement, puis elle se reprit quand elle vit son regard irrité. Je suis allée en Italie, puis j'ai continué au Moyen-Orient et ensuite à Hong-Kong via Bangkok. Je suis restée un peu en Australie et en Nouvelle-Zélande et j'ai fait des sauts entre les îles du Pacifique. J'ai passé un mois à Tahiti. Ensuite j'ai traversé les Etats-Unis et les derniers mois, je les ai passés aux Antilles.
Il hocha la tête.
— Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas dit au revoir.
— Parce que, pour dire les choses telles qu'elles sont, tu n'en as rien à foutre des autres, dit Dragan Armanskij d'une voix objective.
Lisbeth Salander se mordit la lèvre. Elle réfléchit un instant. Ce qu'il disait était peut-être vrai mais elle ressentait quand même son accusation comme injuste.
— En général c'est plutôt les autres qui n'en ont rien à foutre de moi.
— Des conneries, répondit Armanskij. Tu as un problème d'attitude et tu traites les gens qui essaient vraiment d'être tes amis comme de la merde. C'est aussi simple que ça.
Silence.
— Tu veux que je m'en aille ?
— Tu fais comme tu veux. C'est ce que tu as toujours fait. Mais si tu t'en vas maintenant, je ne veux plus jamais te revoir.
Lisbeth Salander eut peur soudain. Elle sentit que cet homme, qu'elle respectait, était en train de la rejeter. Elle ne savait pas quoi dire.
— Ça fait maintenant deux ans que Holger Palmgren a eu son hémorragie cérébrale. Tu n'es pas allée le voir une seule fois, continua Armanskij inexorablement.
Lisbeth fixa Armanskij avec des yeux soudain choqués.
— Palmgren vit encore ?
— Tu ne sais donc même pas s'il est mort ou vivant.
— Les médecins ont dit qu'il...
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