— Elle s'appelle Lisbeth Salander, elle habite dans Lundagatan à Södermalm, à Stockholm.
— C'est noté.
— Elle se trouve probablement à l'étranger en ce moment mais elle va refaire surface à un moment ou un autre.
— On y sera.
— Mon commanditaire aimerait avoir un entretien privé avec elle sans qu'on le dérange. Il faut donc la livrer vivante. Par exemple dans ce hangar près d'Yngern. Il faudra prévoir quelqu'un pour nettoyer après l'entretien. Elle doit disparaître sans laisser de traces.
— Ça devrait être faisable. Comment est-ce qu'on sait quand elle arrive ?
— Je t'avertirai en temps voulu.
— Combien ?
— Je te propose dix patates au total. C'est pas un boulot compliqué. Tu montes à Stockholm, tu la cueilles, tu me la livres.
Ils se serrèrent la main une nouvelle fois.
A SA DEUXIÈME VISITE à Lundagatan, Lisbeth s'assit dans le canapé bouloché pour réfléchir. Elle devait prendre quelques décisions stratégiques, dont l'une était de déterminer si oui ou non elle conservait cet appartement. Elle alluma une cigarette, souffla la fumée au plafond et laissa tomber la cendre dans une canette de Coca vide.
Elle n'avait aucune raison d'aimer cet appartement dans lequel elle avait emménagé avec sa mère et sa sœur quand elle avait quatre ans. Sa mère occupait le salon tandis qu'elle et Camilla partageaient la petite chambre. Quand elle avait douze ans et que Tout Le Mal était arrivé, on l'avait d'abord placée dans une clinique pédiatrique et ensuite, à quinze ans, dans différentes familles d'accueil. Son administrateur ad hoc légal, Holger Palmgren, avait sous-loué l'appartement, et il s'était arrangé pour qu'elle puisse le récupérer à sa majorité quand elle avait eu besoin d'un toit.
Ça n'avait jamais été l'appartement du bonheur, mais il avait représenté un point fixe pendant la majeure partie de son existence. Elle n'en avait pas besoin, mais l'idée de l'abandonner et que de parfaits étrangers foulent son plancher la révoltait.
Le problème logistique était que tout son courrier officiel — dans la mesure où elle recevait du courrier — arrivait à Lundagatan. Abandonner l'appartement l'obligerait à se trouver une autre adresse. Lisbeth Salander ne tenait pas à être une personne concrètement présente dans toute sorte de fichiers. Elle fonctionnait mentalement dans la paranoïa et elle n'avait aucune raison de faire confiance aux autorités ni à qui que ce soit, d'ailleurs.
Par la fenêtre, elle vit le mur de l'arrière-cour qu'elle avait contemplé toute sa vie. Elle se sentit soudain soulagée d'avoir pris la décision de quitter l'appartement. Elle ne s'y était jamais sentie bien ni en sécurité. Sobre ou ivre morte, chaque fois qu'elle tournait au coin de la rue et s'approchait de la porte cochère de l'immeuble, elle vérifiait les alentours, les voitures garées ou les passants. Elle avait tout lieu de penser que quelque part il y avait des gens qui lui voulaient du mal et, selon toute vraisemblance, ces gens passeraient à l'attaque quand elle entrerait dans son domicile ou en sortirait.
Il n'y avait pourtant pas eu d'agression et il ne s'était jamais passé quoi que ce soit. Cela ne signifiait pas qu'elle relâchait sa vigilance. L'adresse de Lundagatan était connue dans tous les fichiers officiels et, toutes ces années durant, elle n'avait jamais eu la possibilité d'augmenter la sécurité autrement qu'en restant sur ses gardes en permanence. Aujourd'hui, la situation avait changé. Elle ne voulait surtout pas que quelqu'un connaisse sa nouvelle adresse de Fiskaregatan. Son instinct la poussait à rester aussi anonyme que possible.
Mais cela ne résolvait pas la question de ce qu'elle devait faire de l'appartement. Elle se creusa la tête encore un moment, puis elle ouvrit son téléphone portable et appela Mimmi.
— Salut, c'est moi.
— Salut Lisbeth. Tu donnes de tes nouvelles au bout d'une semaine cette fois ?
— Je suis à Lundagatan.
— Oui.
— Je me demandais si ça te dirait de reprendre l'appart.
— Comment ça, le reprendre ?
— Tu vis dans une boîte à chaussures.
— Mais je m'y sens bien. Tu comptes déménager ?
— J'ai déjà déménagé. L'appart est vide.
Mimmi hésita à l'autre bout du fil.
— Et tu me demandes si je veux le reprendre. Eh, Lisbeth, je n'en ai pas les moyens.
— C'est un bail coopératif qui est entièrement payé. Il y a 1 480 couronnes de charges par mois, ce qui est probablement moins que ce que tu paies ta boîte à chaussures. Et elles sont payées d'avance pour un an.
— Mais tu as l'intention de le vendre. Je veux dire, il doit valoir bien plus de 1 million.
— Un et demi, si j'en crois les annonces des agences.
— Je n'ai pas les moyens.
— Je n'ai pas l'intention de vendre. Tu peux emménager ici dès ce soir et tu pourras habiter ici aussi longtemps que tu voudras et tu n'auras aucune charge à payer pendant un an. Je n'ai pas le droit de sous-louer mais je peux mentionner dans le contrat que tu es ma compagne, comme ça tu éviteras tous les problèmes avec la copropriété.
— Dis donc Lisbeth, t'es en train de me demander en mariage ! rit Mimmi. Lisbeth resta sérieuse comme un pape.
— L'appartement ne me sert à rien et je n'ai pas l'intention de vendre.
— Tu veux dire que je peux y habiter gratuitement. C'est pas une blague ?
— Non.
— Pour combien de temps ?
— Aussi longtemps que tu voudras. Ça t'intéresse ?
— Evidemment. Ce n'est pas tous les jours qu'on me propose un appartement gratuit à Söder, mais habiter un quartier chic, ça me tente.
— Il y a juste un truc.
— Je l'attendais.
— Tu peux y habiter aussi longtemps que tu voudras mais ça sera toujours mon adresse, et mon courrier arrivera ici. Tout ce que je te demande, c'est de récupérer mon courrier et de me contacter s'il y a quelque chose d'intéressant.
— Lisbeth, t'es la fille la plus barge que je connaisse. Qu'est-ce que tu trafiques ? Où est-ce que tu vas habiter ?
— On en parlera plus tard, dit Lisbeth évasivement.
ELLES SE MIRENT D'ACCORD pour se retrouver plus tard dans l'après-midi afin que Mimmi puisse se faire une idée de l'appartement. Les choses ainsi réglées, Lisbeth se sentit beaucoup mieux. Elle consulta sa montre et constata qu'il lui restait plein de temps avant que Mimmi arrive. Elle se leva et rejoignit à pied Handelsbanken dans Hornsgatan, où elle prit un ticket et attendit patiemment qu'une caisse se libère.
Elle montra sa carte d'identité et expliqua qu'elle avait passé un certain temps à l'étranger et qu'elle voulait consulter le solde de son compte d'épargne. Son capital officiellement déclaré était de 82 670 couronnes. Le compte était resté en sommeil depuis plus d'un an, à part un versement de 9 312 couronnes qui avait été fait au cours de l'automne. C'était l'héritage de sa mère.
Lisbeth Salander retira en espèces la somme correspondant à l'héritage. Elle réfléchit un instant. Elle voulait utiliser cet argent à quelque chose qui aurait fait plaisir à sa mère. Quelque chose de circonstance. Elle se rendit au bureau de poste de Rosenlundsgatan et, sans trop savoir elle-même la raison de ce choix, elle fit un don anonyme au compte de SOS-Femmes en détresse.
IL ÉTAIT 20 HEURES le vendredi quand Erika arrêta son ordinateur et s'étira. Elle venait de passer neuf heures à mettre la dernière main au numéro de mars de Millenium et, compte tenu que Malou Eriksson travaillait à plein temps sur le numéro à thème de Dag Svensson, elle avait dû faire une grande partie de la rédaction elle-même. Henry Cortez et Lottie Karim lui avaient bien donné un coup de main, mais ils étaient plus correspondants et enquêteurs qu'habitués à rédiger.
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