Mikael fronça les sourcils.
— Malou, je sais d'une source sûre qu'il existe un rapport de police sur Lisbeth daté de février 1991, quand elle avait douze ans. Il ne se trouve pas dans le rôle. J'avais l'intention de te demander d'essayer de le trouver.
— S'il existe un rapport, il est forcément enregistré dans le rôle. Sinon ce serait hors la loi. Tu as vraiment vérifié ?
— Non, mais ma source dit que le rapport ne se trouve pas dans le rôle.
Malou resta sans rien dire une seconde.
— Et c'est une bonne source que tu as ?
— Une très bonne source.
Malou garda le silence encore un moment. Elle et Mikael arrivèrent en même temps à la même conclusion.
— La Säpo, dit Malou.
— Björck, dit Mikael.
PER-ÅKE SANDSTRÖM, journaliste free-lance, quarante-sept ans, rentra chez lui à Solna peu après minuit. Il était un peu éméché et sentait une boule de panique poindre dans son ventre. Il avait passé la journée à ne rien faire, désespérément. Per-Åke Sandström avait tout simplement peur.
Cela allait bientôt faire quinze jours que Dag Svensson avait été tué à Enskede. Sandström avait regardé les informations à la télé le lendemain, stupéfait. Il avait ressenti une vague de soulagement et d'espoir — Svensson était mort et avec lui peut-être aussi le livre sur le trafic de femmes dans lequel ce type avait l'intention de le dénoncer comme délinquant sexuel. Merde, une seule foutue pute de trop et il se trouvait dans la merde jusqu'au cou.
Il haïssait Dag Svensson. Il l'avait supplié, il avait rampé devant ce salopard.
Le premier jour après les meurtres, il avait été trop euphorique pour pouvoir penser lucidement. Le lendemain seulement, il se mit à réfléchir. Si Dag Svensson travaillait sur un livre où il allait être nommé comme violeur avec des tendances pédophiles, alors ce n'était pas invraisemblable que la police commence à fouiner dans ses petits écarts. Bon Dieu... il pourrait être suspecté pour les meurtres.
La panique s'était un peu calmée lorsque le visage de Lisbeth Salander était apparu dans tous les journaux du pays. C'est qui, celle-là, Lisbeth Salander ? Il n'en avait jamais entendu parler. Mais les flics la considéraient manifestement comme suspecte et, à en croire le procureur qu'on entendait, les meurtres étaient en passe d'être résolus. L'intérêt pour sa personne n'allait peut-être pas se matérialiser. Mais il savait par expérience personnelle que les journalistes conservent toujours leurs documents et leurs notes. Millenium. Un journal de merde avec une réputation totalement surfaite. Ils étaient comme tous les autres. Ils fouinaient et déblatéraient et portaient atteinte aux autres.
Il ignorait où en était le travail avec le livre. Il ne savait pas ce qu'ils savaient. Il n'avait personne à qui demander. Il avait l'impression de se trouver dans un vide.
Au cours de la semaine, son comportement avait oscillé entre panique et ivresse. Les flics n'étaient pas venus frapper à sa porte. Peut-être — s'il avait une chance invraisemblable — se tirerait-il d'affaire. S'il n'avait pas de chance, sa vie serait foutue.
Il glissa la clé dans la serrure et la tourna. Au moment où il ouvrait la porte, il entendit un froissement derrière lui et sentit une douleur paralysante dans le bas du dos.
GUNNAR BJÖRCK N'AVAIT PAS ENCORE EU le temps de s'endormir quand le téléphone sonna. Il était assis, en pyjama et robe de chambre, dans l'obscurité de la cuisine à ruminer son dilemme. Au cours de sa très longue carrière, jamais il ne s'était trouvé ne fût-ce qu'à proximité d'une situation aussi inextricable.
Tout d'abord, il pensa ne pas répondre au téléphone. Il regarda sa montre et constata qu'il était minuit passé. Mais le téléphone continua à sonner et, après la dixième sonnerie, il ne résista plus. Ça pouvait être important.
— C'est Mikael Blomkvist, entendit-il à l'autre bout du fil.
Merde alors.
— Il est minuit passé. Je dormais.
— Je suis désolé. Mais je m'étais dit que tu serais intéressé par ce que j'ai à dire.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Demain à 10 heures, je vais faire une conférence de presse concernant les meurtres de Dag Svensson et de Mia Bergman.
Gunnar Björck déglutit.
— J'ai l'intention de rendre compte de détails du livre sur le commerce du sexe que Dag Svensson était en train de terminer. Le seul micheton que je vais nommer, c'est toi.
— Tu m'avais promis du temps...
Il entendit la panique dans sa voix et s'arrêta.
— Plusieurs jours se sont écoulés. Tu avais promis de m'appeler après le week-end de Pâques. Demain on est mardi. Soit tu parles, soit je tiens ma conférence de presse demain.
— Si tu tiens cette conférence de presse, tu ne sauras jamais rien sur Zala.
— Possible. Mais alors ça ne sera plus mon problème. Alors il faudra que tu parles avec les investigateurs officiels de l'enquête. Et avec la totalité des médias du pays, évidemment.
Il n'y avait aucune place pour des négociations.
Il accepta de rencontrer Mikael Blomkvist mais réussit à repousser le rendez-vous au mercredi. Un petit répit. Mais il était prêt.
Il jouerait le tout pour le tout, que ça passe ou ça casse.
SANDSTRÖM N'AURAIT SU DIRE combien de temps il était resté sans connaissance, mais quand il reprit ses esprits, il était allongé par terre dans le séjour. Tout son corps était douloureux et il ne pouvait pas bouger. Il lui fallut un moment pour comprendre que ses mains étaient attachées dans le dos avec ce qui devait être du ruban adhésif, et que ses pieds étaient ligotés. Il avait un bout de ruban collé sur la bouche. Les lampes étaient allumées dans la pièce et les stores baissés. Il était incapable de comprendre ce qui s'était passé.
Il perçut des bruits qui semblaient venir de sa pièce de travail. Il resta immobile et écouta, et entendit un tiroir s'ouvrir et se fermer. Un cambriolage ? Il entendit un bruit de papier, quelqu'un fouillait dans ses tiroirs.
Une éternité plus tard, il entendit des pas derrière lui. Il essaya de tourner la tête, mais ne vit personne. Il s'efforça de garder son calme.
Tout à coup, quelqu'un passa une solide corde en coton par-dessus sa tête. Un nœud coulant serra son cou. La panique lui fit presque relâcher ses sphincters. Il leva les yeux et vit la corde courir jusqu'à un palan qui avait été suspendu au crochet auquel normalement pendait le lustre du séjour. Puis son ennemi apparut dans son champ de vision. La première chose qu'il vit fut une paire de petites boots noires.
Il ne savait pas ce à quoi il s'était attendu mais le choc n'aurait pas pu être plus grand quand il leva le regard. Tout d'abord, il ne reconnut pas la psychopathe démente dont la photo d'identité avait orné les devantures des kiosques depuis le week-end de Pâques. Elle avait des cheveux noirs coupés court et ne ressemblait pas à la photo des journaux. Elle était entièrement vêtue de noir — jean, courte veste ouverte en coton, tee-shirt et gants noirs.
Mais ce qui lui fit le plus peur fut son visage. Elle s'était maquillée. Elle avait du rouge à lèvres noir, de l'eye-liner et une ombre à paupières vert sombre vulgaire et ostentatoire. Le reste du visage était tout blanc. Barrant le visage de biais, du côté gauche du front au côté droit du menton en passant sur le nez, courait un large trait rouge.
C'était un masque grotesque. Elle avait l'air complètement folle. Le cerveau de Sandström résista. Il nageait en pleine irréalité.
Lisbeth Salander saisit le cordon et tira. Il sentit la corde s'enfoncer dans son cou et, l'espace de quelques secondes, il n'arriva pas à respirer. Puis il lutta pour prendre appui sur ses pieds. Avec ce palan elle n'avait aucun effort à fournir pour l'obliger à se mettre debout. Quand il fut bien droit sur ses pieds, elle cessa de hisser et attacha la corde en faisant quelques tours autour du tuyau d'un radiateur, qu'elle bloqua avec un nœud.
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