Elle mit la perruque d'Irene Nesser, s'habilla avec soin et fourra des vêtements de rechange et une trousse de maquillage dans un sac à dos. Ensuite, elle entreprit sa deuxième expédition hors de chez elle. Elle rejoignit Folkungagatan à pied, puis Erstagatan où elle entra chez Watski juste avant l'heure de fermeture. Elle acheta du chatterton, un palan à deux poulies et huit mètres de cordage solide en coton.
Elle prit le 66 pour revenir. A Medborgarplatsen, elle vit une femme qui attendait le bus. Tout d'abord elle ne la reconnut pas, mais une alarme tinta au fond de son crâne et elle regarda de nouveau et l'identifia comme Àsa Flemström, préposée aux salaires de la compta à Milton Security. Elle avait adopté une nouvelle coiffure plus mode. Lisbeth descendit discrètement du bus tandis que Flemström y montait. Elle regarda attentivement autour d'elle, à l'affût d'un visage qui pourrait lui sembler familier. Lisbeth passa devant l'immeuble de Bofill et rejoignit Södra Station où elle prit le train de banlieue vers le nord.
L'INSPECTRICE SONJA MODIG serra la main d'Erika Berger qui lui proposa tout de suite un café. En allant le chercher dans la kitchenette, Erika sourit devant leurs mugs dépareillés, portant tous des logos de différents partis politiques, syndicats et entreprises.
— On nous les donne dans les réunions électorales ou après des interviews, expliqua Erika Berger et elle en tendit un avec le logo des jeunes libéraux.
Sonja Modig passa trois heures devant le bureau de Dag Svensson, aidée dans sa tâche par la secrétaire de rédaction Malou Eriksson, d'une part pour comprendre de quoi parlaient le livre et l'article de Dag Svensson, d'autre part pour naviguer dans son matériel de recherche. Sonja Modig fut stupéfaite d'en découvrir l'étendue. La disparition de l'ordinateur portable de Dag Svensson avait représenté un gros handicap pour l'enquête de police, son travail leur ayant du coup paru inaccessible. En réalité, des sauvegardes de la plupart des données n'avaient pas cessé d'exister à la rédaction de Millenium.
Mikael Blomkvist n'était pas là mais Erika Berger fournit à Sonja Modig une liste des éléments qu'il avait retirés du bureau de Dag Svensson — principalement des notes concernant l'identité des sources. Modig finit par appeler Bublanski pour expliquer la situation. Il fut décidé que tout le matériel sur le bureau de Dag Svensson, y compris l'ordinateur de Millenium, serait saisi pour des raisons techniques d'investigation. Le chef de l'enquête préliminaire reviendrait pour négociation s'ils estimaient justifié d'exiger aussi les éléments mis de côté. Sonja Modig établit ensuite un protocole de saisie et se fit aider par Henry Cortez pour tout descendre dans sa voiture.
LE LUNDI SOIR, MIKAEL ressentit une profonde frustration. Depuis la semaine précédente, il avait passé en revue dix des noms que Dag Svensson avait eu l'intention de révéler. Chaque fois il s'était trouvé en face d'hommes inquiets, indignés et choqués. Il constata que le revenu moyen de ces personnes était d'environ 400 000 couronnes par an. C'était un ramassis pathétique d'hommes qui avaient peur.
A aucun moment cependant il n'avait eu l'impression que ces bonshommes lui cachaient quelque chose en relation avec les meurtres de Dag Svensson et de Mia Bergman. Au contraire ; plusieurs de ceux avec qui il avait parlé estimaient que leur situation allait plutôt devenir catastrophique quand les médias commenceraient à crier haro sur des noms, les leurs, associés aux meurtres.
Mikael ouvrit son iBook pour voir s'il avait reçu un nouveau message de Lisbeth. Ce n'était pas le cas. Par contre, dans son mail précédent elle lui avait signalé que les michetons n'avaient aucun intérêt et qu'il gaspillait son temps. Il la maudit dans des termes qu'Erika Berger aurait qualifiés à la fois de sexistes et d'innovants. Il avait faim mais n'avait aucune envie de cuisiner. Sans compter qu'à part du lait à la supérette du coin, il n'avait rien acheté à manger depuis quinze jours. Il enfila sa veste et descendit à la taverne grecque dans Hornsgatan et commanda une grillade d'agneau.
LISBETH SALANDER AVAIT INSPECTÉ la cage d'escalier, et au crépuscule avait entrepris deux tours discrets autour des bâtiments voisins. Il s'agissait de petits immeubles bas qu'elle soupçonnait fort de transmettre tous les bruits, ce qui n'arrangeait guère ses affaires. Le journaliste Per-Åke Sandström habitait un appartement d'angle au deuxième étage, c'est-à-dire le dernier. La cage d'escalier continuait jusqu'à une porte de grenier. Ça pourrait aller.
Le seul problème était que toutes les fenêtres de l'appartement étaient sombres, signe que son propriétaire n'était pas chez lui.
Elle trouva une pizzeria quelques rues plus loin et commanda une Hawaii, s'assit dans un coin et lut les journaux du soir. Peu avant 21 heures, elle acheta un caffè latte dans un Point-Presse et retourna au petit immeuble. Les lumières étaient toujours éteintes dans l'appartement. Elle entra dans la cage d'escalier et s'assit sur le palier du grenier, d'où elle voyait la porte de l'appartement de Per-Åke Sandström un demi-étage plus bas. Elle but son café en attendant patiemment.
C'EST AU STUDIO D'ENREGISTREMENT Récent Trash Records, dans un local industriel à Älvsjö, que l'inspecteur Hans Faste réussit finalement à retrouver Cilla Norén, vingt-huit ans et leader désigné du groupe de satanistes les Evil Fingers. Le choc entre les cultures fut de l'ordre de la première rencontre entre les Portugais et les Indiens caraïbes.
Après plusieurs tentatives infructueuses auprès des parents de Cilla Norén, Faste avait finalement réussi à la pister, via sa sœur, jusqu'à ce studio, où à l'en croire elle était « assistante » à la production d'un CD du groupe Cold Wax de Borlänge. Faste n'avait jamais entendu parler de ce groupe et constata qu'il semblait composé de mecs d'une vingtaine d'années. Dès le couloir précédant le studio, il fut accueilli par un raz de marée sonore qui lui coupa le souffle. Il contempla Cold Wax à travers une vitre puis il attendit qu'une brèche s'installe dans le rideau de son.
Cilla Norén avait des cheveux longs aile de corbeau avec des mèches rouge et vert, et un maquillage noir. Elle était un peu boulotte et vêtue d'un pull court qui montrait son ventre avec un piercing au nombril. Elle portait une ceinture cloutée autour des hanches et avait tout l'air d'un personnage de film d'horreur.
Faste montra sa carte de policier et demanda à avoir un entretien avec elle. Elle mâchait un chewing-gum et le regarda avec scepticisme. Finalement, elle indiqua une porte et le guida dans ce qui semblait être une sorte de kitchenette avec table et chaises, et où il manqua s'étaler sur un sac-poubelle traînant juste derrière la porte. Cilla Norén remplit d'eau une bouteille en plastique et en but à peu près la moitié, puis s'assit à la table et alluma une cigarette. Elle fixa Hans Faste de ses yeux bleu ciel. Il ne savait pas par quel bout commencer.
— Qu'est-ce que c'est, Récent Trash Records ?
Elle paraissait ennuyée à mort.
— C'est un label qui produit de nouveaux groupes de jeunes.
— Quel est ton rôle ici ?
— Je suis technicien du son.
Faste la regarda.
— Tu as une formation pour ça ?
— Non. J'ai appris sur le tas.
— On peut vivre de ça ?
— La réponse a vraiment son importance ?
— Je voulais savoir, c'est tout. Je suppose que tu as lu les articles sur Lisbeth Salander ces derniers temps.
Elle fit oui de la tête.
— On nous a informés que tu la connais. C'est vrai ?
— Ça se peut.
— Ça se peut ou ça ne se peut pas ?
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