— Aucun mobile que nous connaissons.
— OK, Lisbeth n'aurait aucun scrupule à utiliser la violence à l'égard de quelqu'un qui le mérite. Mais je ne sais pas. J'ai mis au défi Bublanski, le flic qui tient les rênes de l'enquête. Je crois qu'il y a un motif derrière le meurtre de Dag et Mia. Et je crois que ce motif se trouve dans le reportage sur lequel travaillait Dag.
— Si tu as raison, Salander n'a pas seulement besoin de quelqu'un pour lui tenir la main quand elle sera arrêtée — il lui faut l'assistance de l'artillerie lourde.
— Je suis d'accord.
Une lueur dangereuse se mit à briller dans les yeux de Paolo Roberto.
— Si elle est innocente, elle aura été victime d'un des pires scandales judiciaires de l'histoire. Elle a été désignée comme meurtrière par les médias et la police, et toutes les saloperies qu'on a écrites...
— Je suis toujours d'accord avec toi.
— Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ? Est-ce que je peux être utile en quoi que ce soit ?
Mikael réfléchit un instant.
— La meilleure aide que nous pouvons fournir est évidemment de présenter un coupable alternatif. Je travaille là-dessus. Ensuite, pour l'aider nous devons absolument mettre la main sur elle avant qu'un flic ne la descende. Lisbeth n'est pas tout à fait du genre à se rendre de son plein gré.
Paolo Roberto hocha la tête.
— Et comment on va la trouver ?
— Je ne sais pas. Mais il y a effectivement une chose que tu pourrais faire. Un truc pratique, si tu as envie, et du temps.
— Ma femme n'est pas là et je suis célibataire pour la semaine à venir. J'ai du temps et j'ai envie.
— OK, je pensais au fait que tu sois boxeur...
— Oui?
— Lisbeth a une amie, Miriam Wu, les journaux ont parlé d'elle.
— Annoncée comme la gouine sadomaso... Oui, les journaux ont parlé d'elle.
— J'ai son numéro de portable et j'ai essayé de la joindre. Elle coupe la communication dès qu'elle entend que c'est un journaliste à l'autre bout de la ligne.
— Je la comprends.
— Je n'ai pas trop de temps pour courir après Miriam Wu. Mais j'ai lu qu'elle fait de la boxe thaïe. Je me dis que si un boxeur connu la contacte...
— Je comprends. Et tu espères qu'elle pourra nous mener à Salander.
— Quand la police l'a interrogée, elle a dit qu'elle ignorait totalement où se trouve Lisbeth. Mais ça vaut le coup d'essayer.
— Donne-moi son numéro. Je vais te la trouver.
Mikael lui donna le numéro du portable et l'adresse dans Lundagatan.
GUNNAR BJÖRCK AVAIT PASSÉ LE WEEK-END à analyser sa situation. Son avenir ne tenait plus qu'à un fil très ténu et il lui fallait jouer subtilement ses maigres cartes.
Mikael Blomkvist était un salopard de première. Le tout était de savoir si on pouvait le convaincre de passer sous silence... le fait qu'il avait eu recours aux services de ces pétasses. Ce qu'il avait fait était passible de poursuites et il ne doutait pas qu'il serait viré si cela était révélé. Les journaux le mettraient en pièces. Un agent de la Säpo qui abuse de prostituées adolescentes... si seulement ces foutues connes n'avaient pas été si jeunes.
Mais rester sans rien faire équivalait à sceller son sort. Il avait eu la sagesse de ne rien dire à Mikael Blomkvist. Il avait décrypté le visage de Blomkvist et enregistré sa réaction. Blomkvist était emmerdé. Il voulait de l'information. Mais il serait obligé de payer. Le prix était son silence. C'était la seule issue.
Zala modifiait l'équation de toute l'enquête.
Dag Svensson avait traqué Zala.
Bjurman avait cherché Zala.
Et le commissaire Gunnar Björck était le seul à savoir qu'il existait un lien entre Zala et Bjurman, ce qui signifiait que Zala était un lien commun entre Enskede et Odenplan.
Ce qui posait un autre problème dramatique pour le bien-être futur de Gunnar Björck. C'était lui qui avait fourni l'info sur Zalachenko à Bjurman — en toute amitié et sans penser au fait que cette info était toujours sous le sceau du secret. Ça paraissait minime, mais en réalité cela voulait dire qu'il s'était rendu coupable d'un délit.
De plus, depuis la visite de Mikael Blomkvist le vendredi, il s'était rendu coupable d'un autre délit. Il était flic et, s'il détenait une information relative à une enquête pour meurtre, son devoir était de le signaler immédiatement à la police. Sauf qu'en donnant cette info à Bublanski ou au procureur Ekström, il se dénoncerait automatiquement lui-même. Tout serait rendu public. Pas les putes, mais toute l'affaire Zalachenko.
Dans la journée du samedi, il avait fait une rapide visite à son lieu de travail à la Säpo à Kungsholmen. Il avait sorti les vieux dossiers sur Zalachenko et avait tout relu. C'était lui-même qui avait rédigé les rapports, mais ça datait de pas mal d'années maintenant. Les plus vieux avaient bientôt trente ans d'âge. Le dernier document en date en avait dix.
Zalachenko.
Glissant comme une saloperie de serpent.
Zala.
Gunnar Björck avait lui-même noté le surnom dans son enquête mais n'arrivait pas à se rappeler s'il l'avait jamais utilisé.
Mais le lien était clair comme de l'eau de roche. Avec Enskede. Avec Bjurman. Et avec Salander.
Gunnar Björck réfléchit. Il ne comprenait pas encore comment tous les morceaux du puzzle se tenaient, mais il croyait comprendre pourquoi Lisbeth Salander était allée à Enskede. Il pouvait également facilement imaginer que Lisbeth Salander ait été prise d'un accès de rage et ait tué Dag Svensson et Mia Bergman, s'ils avaient refusé de coopérer ou s'ils l'avaient provoquée. Elle avait un mobile que Gunnar Björck et peut-être seulement deux-trois autres personnes dans tout le pays comprenaient.
Elle est malade mentale, totale. J'espère, pour l’amour de Dieu, qu'un flic va la descendre quand elle sera arrêtée. Elle sait. Elle peut faire éclater toute l'histoire si elle parle.
Mais Gunnar Björck eut beau raisonner en long et en large, restait toujours le fait que Mikael Blomkvist était sa seule issue — ce qui, dans la situation actuelle de Gunnar Björck, était l'unique question digne d'intérêt. Son désespoir ne cessait de grandir. Il fallait amener Mikael Blomkvist à le traiter comme une source secrète et le convaincre de garder le silence sur ses... incartades coquines avec ces foutues putes. Si seulement Salander pouvait régler son compte à Blomkvist.
Il contempla le numéro de téléphone de Zalachenko et pesa le pour et le contre de l'opportunité de l'appeler. Il n'arrivait pas à se décider.
MIKAEL AVAIT TRANSFORMÉ EN VERTU le fait de constamment faire le point sur ses fouilles. Après le départ de Paolo Roberto, il y consacra une heure. C'était presque devenu un journal intime, où il laissait libre cours à ses pensées en même temps qu'il consignait minutieusement tous les entretiens, rencontres et recherches qu'il faisait. Il cryptait quotidiennement le document avec PGP et envoyait des copies par mail à Erika Berger et Malou Eriksson, pour que ses collaboratrices soient mises au courant.
Dag Svensson avait focalisé sur Zala les dernières semaines avant sa mort. Le nom avait surgi dans la dernière conversation téléphonique avec Mikael, seulement deux heures avant qu'il soit tué. Gunnar Björck prétendait qu'il avait des renseignements sur Zala.
Mikael passa un quart d'heure à faire le résumé de ce qu'il avait trouvé sur Björck, assez peu de choses en somme.
Björck avait soixante-deux ans, il était célibataire et né à Falun. Il avait travaillé comme policier depuis l'âge de vingt et un ans. Il avait débuté comme gardien de la paix, puis il avait étudié le droit et s'était retrouvé à un poste secret alors qu'il n'avait que vingt-six ou vingt-sept ans. C'était en 1969 ou 1970, vers la fin du mandat de Per-Gunnar Vinge comme chef de la Säpo.
Читать дальше