Son repas terminé, elle prit le bus n° 4 à Vâsterbron jusqu'à Sankt Eriksplan. Elle marcha jusqu'à Odenplan et se retrouva devant l'adresse de feu maître Bjurman dans Upplandsgatan peu après minuit. Elle ne s'attendait pas à ce que l'appartement soit sous surveillance, mais elle nota qu'une fenêtre voisine au même étage était éclairée et par conséquent alla faire un tour du côté de Vanadisplan. Quand elle revint une heure plus tard, l'appartement voisin était plongé dans le noir.
SUR DES PIEDS LÉGERS COMME DES PLUMES et sans allumer la lumière, elle monta l'escalier jusqu'à l'appartement de Bjurman. Elle utilisa un cutter pour trancher joliment le ruban adhésif que la police avait mis devant la porte. Elle se glissa dans l'appartement sans un bruit.
Elle alluma la lampe du vestibule qui ne se verrait pas de l'extérieur, elle le savait, avant d'allumer une petite lampe torche et de passer directement dans la chambre. Les stores étaient baissés. Elle laissa le rayon de lumière balayer le lit qui était toujours éclaboussé de sang. L'idée lui vint qu'elle-même avait failli mourir dans ce lit et elle se sentit soudain profondément satisfaite que Bjurman soit enfin disparu de sa vie.
Le but de sa visite sur le lieu du crime était de trouver une réponse à deux questions. Premièrement, elle ne comprenait pas le lien entre Bjurman et Zala. Elle était persuadée qu'un tel lien existait forcément, mais elle n'avait pas réussi à le mettre en évidence en examinant le contenu de l'ordinateur de Bjurman.
Deuxièmement, une question n'arrêtait pas de la tracasser. Pendant sa visite nocturne quelques semaines auparavant, elle avait remarqué que Bjurman avait retiré un document la concernant du classeur étiqueté « Lisbeth Salander ». Les pages qui manquaient étaient une partie de la description de la mission qui lui était attribuée, formulée par la commission des Tutelles, dans laquelle l'état psychique de Lisbeth Salander était résumé dans des termes extrêmement brefs. Bjurman n'avait aucun besoin de ces pages et il était tout à fait possible qu'il ait simplement fait le ménage dans le classeur et jeté les pages. Contredisait cette hypothèse le fait que les avocats ne jettent jamais des documents se rapportant à une affaire en cours. Il pouvait s'agir de papiers totalement superflus — c'était quand même illogique de s'en débarrasser. Pourtant ils ne s'étaient plus trouvés dans son classeur, et elle ne les avait pas repérés non plus ailleurs autour de sa table de travail.
Elle découvrit que la police avait emporté les classeurs concernant sa petite personne et d'autres documents. Deux heures durant, elle passa l'appartement au peigne fin pour vérifier si la police aurait loupé quelque chose et elle put ensuite constater avec une légère frustration que tel n'était pas le cas.
Dans la cuisine, elle trouva une boîte contenant toutes sortes de clés. Il y avait des clés de voiture et deux clés sur un anneau dont une était une clé d'immeuble et l'autre une clé de cadenas. Elle fit un tour silencieux au grenier où elle tâtonna entre tous les cadenas jusqu'à ce qu'elle trouve le box de Bjurman. Il avait entreposé là de vieux meubles, une armoire avec des vêtements devenus superflus, des skis, une batterie de voiture, des cartons avec des livres et d'autres vieilleries. Elle ne trouva rien d'intéressant, descendit les escaliers et utilisa la clé de l'immeuble pour ouvrir le garage. Elle trouva sa Mercedes et lui consacra un petit moment pour s'apercevoir qu'elle ne contenait rien d'utile.
Elle avait négligé de visiter son bureau. Elle y avait fait une visite seulement quelques semaines plus tôt, en même temps que la visite nocturne dans son appartement, et elle savait qu'il n'avait pas utilisé son bureau depuis deux ans. Tout ce qu'il y avait, c'était de la poussière.
Elle retourna dans l'appartement et s'assit sur le canapé pour réfléchir. Quelques minutes plus tard, elle se leva et retourna voir la boîte à clés dans la cuisine. Elle prit les clés l'une après l'autre et les examina. Il y avait des clés spéciales style clés de sécurité et une clé rustique à l'ancienne, rouillée. Elle fronça les sourcils. Puis elle leva le regard vers une étagère au-dessus du plan de travail, où Bjurman avait posé une vingtaine de sachets de graines. Elle les prit et constata qu'il s'agissait de graines pour un jardin d'herbes aromatiques.
Il a une maison de campagne ! Ou un jardin potager quelque part, avec une cabane. Voilà ce que j'avais loupé.
Il lui fallut quelques minutes pour trouver un reçu vieux de six ans dans la comptabilité de Bjurman, pour le règlement de la facture d'une entreprise ayant réalisé des travaux de terrassement sur son terrain, puis une minute de plus pour trouver des quittances d'assurance concernant un bâtiment près de Stallarholmen, du côté de Mariefred.
A 5 HEURES elle s'arrêta au 7-Eleven ouvert jour et nuit en haut de Hantverkaregatan près de Fridhemsplan. Elle acheta une quantité non négligeable de Billys Pan Pizza, du lait, du pain, du fromage et autres produits de base. Elle acheta aussi un journal du matin dont la une la fascina.
LA FEMME RECHERCHÉE AURAIT-ELLE QUITTÉ LE PAYS ?
Ce journal avait choisi, pour une raison inconnue de Lisbeth, de ne pas la nommer. On parlait d'elle comme de « la femme de vingt-six ans ». Le texte indiquait qu'une source au sein de la police prétendait qu'elle aurait peut-être quitté le pays et pouvait se trouver à Berlin. Pourquoi elle se serait enfuie à Berlin n'était pas dit mais, selon la source, des tuyaux auraient mentionné sa présence dans un club « anarcho-féministe » à Kreuzberg. Le club était décrit comme un repaire pour jeunes fanatiques d'un peu tout, du terrorisme politique jusqu'à Panti-mondialisation et au satanisme.
Elle prit le bus du matin pour retourner à Södermalm, où elle descendit à Rosenlundsgatan pour rejoindre à pied son appartement. Elle prépara du café et mangea quelques tartines avant de se glisser dans le lit.
Lisbeth dormit jusque dans l'après-midi. A son réveil, elle renifla pensivement les draps et constata qu'il était grand temps de les changer. Elle passa le samedi soir à faire le ménage dans son appartement. Elle sortit les poubelles et elle mit des piles de journaux accumulés dans deux sacs en plastique qu'elle rangea dans un placard du vestibule. Elle fit la lessive, une machine de sous-vêtements et de tee-shirts, puis une machine de jeans. Elle remplit le lave-vaisselle et le mit en route, puis elle termina en passant l'aspirateur et une serpillière humide.
Il était 21 heures et elle était trempée de sueur. Elle remplit la baignoire en ajoutant généreusement de bain moussant. Elle s'y glissa, ferma les yeux et réfléchit. Quand elle se réveilla, il était minuit et l'eau était glacée. Elle sortit du bain, irritée, et se sécha avant d'aller se coucher. Elle se rendormit presque instantanément.
LE DIMANCHE MATIN, Lisbeth Salander fut emplie d'une rage soudaine en démarrant son PowerBook et en lisant toutes les conneries qu'on avait écrites sur Miriam Wu. Elle se sentit misérable et bourrée de mauvaise conscience. Elle n'avait pas réalisé à quel point on allait s'attaquer à Mimmi. Et le seul crime de Mimmi était d'être... hmm... sa copine ? son amie ? sa maîtresse ?
Elle ne savait pas très bien quel mot utiliser pour décrire sa relation avec Mimmi, mais elle comprenait que quelque forme qu'elle ait pu prendre, elle était terminée maintenant. Lisbeth serait obligée de rayer le nom de Mimmi de la liste déjà pas très longue de ses connaissances. Après tout ce que ces débiles avaient écrit, elle doutait que Mimmi ait jamais envie de fréquenter encore cette folle psychotique de Lisbeth Salander.
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