Mikael hocha la tête.
— Et ça a duré un bon moment tout ça. Finalement je l'ai attrapée et je l'ai forcée à terre et je l'ai bloquée là jusqu'à ce qu'elle cesse de gigoter. Crois-moi ou pas, mais elle avait les larmes aux yeux et elle m'a regardé avec une telle hargne que... tu vois.
— Alors tu as commencé à boxer avec elle.
— Quand elle s'est calmée, je l'ai lâchée et j'ai demandé si c'était sérieux, si elle voulait vraiment apprendre à boxer. Elle m'a lancé les gants à la tronche et s'est dirigée vers la sortie. Alors je l'ai rattrapée et je lui ai bloqué le passage. Je lui ai demandé pardon et j'ai dit que si elle était sérieuse, je lui apprendrais et que dans ce cas elle n'avait qu'à venir le lendemain à 17 heures.
Il se tut et ses yeux se perdirent au loin.
— Le lendemain soir, on avait la section des nanas et elle est réellement venue. Je l'ai mise dans le ring avec une nana qui s'appelait Jennie Karlsson, qui avait dix-huit ans et qui boxait depuis plus d'un an. Le problème était que nous n'avions personne dans la catégorie de poids de Lisbeth qui aurait eu plus de douze ans. Et j'ai briefé Jennie de simuler les coups et d'y aller doucement avec Salander, puisqu'elle était carrément novice.
— Ça s'est passé comment ?
— Sincèrement... Jennie s'est retrouvée avec une lèvre fendue au bout de dix secondes. Le temps d'un round, Salander a réussi à aligner les coups et à esquiver tout ce que tentait Jennie. Et là, je veux dire, on parle d'une nana qui n'avait jamais mis un pied dans un ring auparavant. Au deuxième round, Jennie était tellement hargneuse qu'elle frappait pour de bon, et elle n'a pas placé une seule touche. J'en étais comme deux ronds de flan. Je n'ai jamais vu un boxeur sérieux bouger aussi vite. Si j'avais la moitié de la rapidité de Salander, je m'estimerais heureux.
Mikael hocha la tête.
— Sauf que le problème de Salander, c'était évidemment que ses coups ne valaient rien. J'ai commencé à l'entraîner. Je l'ai gardée dans la section nanas pendant quelques semaines et elle a perdu plusieurs matches parce que tôt ou tard son adversaire réussissait à l'aligner et alors on était obligé d'arrêter le match, style la fourrer dans les vestiaires parce qu'elle se fâchait et commençait à balancer des coups de pied, à mordre et à cogner dans tous les sens.
— C'est du Lisbeth tout craché.
— Elle n'abandonnait jamais. Et à la fin, elle avait foutu en boule tant de nanas de la section que le coach l'a virée.
— Aïe ?
— Oui, c'était carrément impossible de boxer avec elle. Elle ne connaissait qu'une position qu'entre nous on appelait Terminator mode et qui consistait à flanquer des droites à l'adversaire, qu'il s'agisse d'un échauffement ou d'un entraînement amical. Et les nanas rentraient souvent chez elles avec des bleus parce qu'elle leur avait balancé des coups de tatane. C'est alors que m'est venue une idée. J'avais un problème avec un mec qui s'appelait Samir. Il avait dix-sept ans, originaire de Syrie. C'était un bon boxeur, bien bâti et avec du punch dans les poings... mais il ne savait pas bouger. Il restait immobile tout le temps.
— Oui.
— Alors j'ai demandé à Salander de venir au club un après-midi où je devais entraîner Samir. Elle s'est changée et je l'ai mise dans le ring avec lui, casque, protège-dents et tout le toutim. Au début, Samir a refusé le sparring avec elle parce que c'était qu'une « putain de nana » et tout ce discours macho. Alors je lui ai dit, fort pour que tout le monde entende, qu'il ne s'agissait pas d'un sparring et j'ai parié 500 balles qu'elle allait le plomber. A Salander, j'ai dit qu'elle n'était pas là pour un entraînement et que Samir allait la foutre KO pour de vrai. Elle m'a regardé avec cette expression sceptique, tu sais. Samir était encore en train de discuter quand le coup de gong a sonné. Elle s'est lancée comme si sa vie en dépendait et lui en a collé un en pleine tronche et il en est tombé sur le cul. A l'époque, ça faisait tout un été que je l'avais entraînée, et elle avait commencé à avoir un peu de muscle et de poids dans ses coups.
— Samir a beaucoup apprécié, j'imagine.
— Tu parles, pendant des mois ils ont causé de la séance. Samir s'est pris une raclée, tout simplement. Elle a gagné aux points. Si elle avait eu plus de force physique, elle l'aurait amoché. Au bout d'un moment, Samir était tellement frustré qu'il tabassait de toutes ses forces. J'ai vraiment eu peur qu'il aligne la petite, on aurait été obligé d'appeler une ambulance. Elle s'est fait des bleus en parant avec les épaules une fois ou deux et il a réussi à l'envoyer dans les cordes parce qu'elle ne résistait pas au poids de ses coups. Mais il était à dix mille lieues de la toucher pour de vrai.
— Merde alors. J'aurais bien aimé voir ça.
— Ce jour-là, les mecs du club se sont mis à respecter Salander. Surtout Samir. Et je l'ai tout bonnement mise en sparring-partner pour les mecs bien plus grands et lourds. Elle était ma botte secrète et c'a été des putains d'entraînements. On préparait des séances où Lisbeth avait pour mission de placer cinq coups à différents endroits du corps... la mâchoire, le front, le ventre et ainsi de suite. Et les mecs contre qui elle boxait avaient pour tâche de se défendre et de protéger ces endroits-là. A la fin, c'était devenu la gloire d'avoir boxé contre Lisbeth Salander. C'était un peu comme se battre contre un frelon. On l'appelait la guêpe, d'ailleurs, et elle est devenue une sorte de mascotte du club. Je crois que ça lui plaisait bien, parce qu'un jour elle est arrivée avec le tatouage d'une guêpe sur le cou.
Mikael sourit. Il se souvenait très bien de la guêpe. Elle faisait même partie du signalement dans l'avis de recherche.
— Ça a duré combien de temps ?
— Un soir par semaine pendant près de trois ans. Je n'ai assuré à plein temps qu'en été, ensuite c'était plus sporadique. C'est Putte Karlsson, l'entraîneur junior, qui s'occupait des entraînements avec Salander. Ensuite, Salander a commencé à travailler et elle n'avait pas le temps de venir aussi souvent, mais jusqu'à l'année dernière, elle se montrait une fois par mois. Je l'ai vue quatre, cinq fois dans l'année pour quelques séances avec elle. Génial, question entraînement, et je peux te dire qu'on transpirait comme il faut. Elle ne parlait presque jamais avec qui que ce soit. Quand elle n'avait pas de partenaire, elle pouvait rester deux heures à cogner sur le sac de sable, comme si ç'avait été son ennemi juré.
23
DIMANCHE 3 AVRIL — LUNDI 4 AVRIL
MIKAEL PRÉPARA DEUX AUTRES ESPRESSOS. Il s'excusa quand il alluma une cigarette. Paolo Roberto haussa les épaules. Mikael le contempla pensivement.
Paolo Roberto avait la réputation d'être une grande gueule qui disait volontiers ce qu'il pensait. Mikael réalisa rapidement qu'il était tout aussi grande gueule en privé, mais que c'était aussi un homme intelligent et humble. Il se rappela que Paolo Roberto avait également misé sur une carrière politique en étant candidat au Parlement pour le compte des sociaux-démocrates. Il apparaissait de plus en plus comme un homme avec quelque chose dans le crâne. Mikael se surprit à bien aimer le personnage, spontanément.
— Pourquoi est-ce que tu m'amènes cette histoire ?
— Salander est dans une merde totale. Je ne sais pas ce qu'on peut faire, mais je pense qu'elle a besoin d'un ami dans son camp.
Mikael hocha la tête.
— Qu'est-ce qui te fait croire qu'elle est innocente ? demanda Paolo Roberto.
— Difficile à expliquer. Lisbeth est quelqu'un de terriblement intransigeant, mais je ne crois tout simplement pas à cette histoire qu'elle aurait tué Dag et Mia. Surtout pas Mia. D'une part, elle n'avait aucun mobile...
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