À 18 heures 30, un flot pêle-mêle de véhicules de la police d’Orphea et de la police d’État étaient garés le long du bâtiment de l’ Orphea Chronicle .
À l’intérieur, un officier de la brigade scientifique nous confirmait qu’il y avait bien eu cambriolage avec effraction. Michael, Anna et moi le suivîmes en procession jusque dans un local technique du sous-sol qui servait également de débarras et d’issue de secours. Au fond de la pièce, une porte donnait sur un escalier raide qui remontait vers la rue. La vitre avait été cassée et il avait suffi de passer une main à travers pour tourner la poignée de l’intérieur et ouvrir la porte.
— Vous ne venez jamais dans cette pièce ? demandai-je à Michael.
— Jamais. Personne ne vient au sous-sol. Il n’y a que les archives, qui ne sont jamais consultées.
— Et il n’y a pas d’alarme, ni de caméras ? s’enquit Anna.
— Non, qui voudrait payer pour ça ? Croyez-moi, s’il y avait de l’argent, il irait d’abord dans la plomberie.
— Nous avons essayé de relever des traces sur les poignées, expliqua le policier de la brigade scientifique, mais il y a un cumul d’empreintes et de saletés de toutes sortes, autant dire que c’est inexploitable. Nous n’avons rien trouvé non plus autour du bureau de Stephanie. À mon avis, il est entré par cette porte, il est monté à l’étage et a embarqué l’ordinateur avant de sortir par le même chemin.
Nous retournâmes à la salle de rédaction.
— Michael, demandai-je, est-ce que cela pourrait être un membre de la rédaction qui ait fait ça ?
— Non, enfin ! s’offusqua Michael. Comment pouvez-vous imaginer une chose pareille ? J’ai toute confiance en mes journalistes.
— Alors, comment expliquez-vous que quelqu’un d’étranger à la rédaction ait pu savoir quel était l’ordinateur de Stephanie ?
— Je n’en sais rien, soupira Michael.
— Qui arrive en premier ici le matin ? demanda Anna.
— Shirley. En général, c’est elle qui ouvre les bureaux tous les matins.
Nous fîmes venir Shirley. Je l’interrogeai :
— Est-ce que l’un de ces derniers matins, vous avez constaté quelque chose d’inhabituel en arrivant ?
Shirley, d’abord perplexe, fit un effort de mémoire et son regard s’illumina soudain.
— Moi, je n’ai rien vu. Mais il est vrai que mardi matin Newton, l’un des journalistes, m’a dit que son ordinateur était allumé. Il savait qu’il l’avait éteint la veille car il était parti le dernier. Il m’a fait une scène, affirmant que quelqu’un avait allumé son ordinateur à son insu, mais je pensais qu’il avait simplement oublié de l’éteindre.
— Où est le bureau de Newton ? demandai-je.
— C’est le premier à côté de celui de Stephanie.
J’appuyai sur le bouton de démarrage de l’ordinateur, sachant qu’il ne pouvait plus y avoir d’empreintes exploitables dessus puisqu’il avait été utilisé entre-temps. L’écran s’alluma :
Ordinateur de : Newton
Mot de passe :
— Il a allumé un premier ordinateur, dis-je. Il a vu le nom s’afficher et a compris que ce n’était pas le bon. Il a alors allumé le deuxième et le nom de Stephanie s’est affiché. Il n’a pas eu besoin de chercher plus loin.
— Ce qui prouve que c’est quelqu’un d’étranger à la rédaction qui a fait ça, intervint Michael, rassuré.
— Ça veut surtout dire que le cambriolage a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi, repris-je. Soit la nuit de la disparition de Stephanie.
— La disparition de Stephanie ? répéta Michael, intrigué. Que voulez-vous dire par la disparition ?
Pour toute réponse, je lui demandai :
— Michael, pourriez-vous m’imprimer tous les articles que Stephanie a écrits depuis son arrivée au journal ?
— Bien entendu. Mais allez-vous me dire ce qui se passe, capitaine ? Est-ce que vous pensez qu’il est arrivé quelque chose à Stephanie ?
— Je le crois, lui confiai-je. Et je pense que c’est grave.
En quittant la rédaction, nous tombâmes sur le chef Gulliver et le maire d’Orphea, Alan Brown, qui discutaient de la situation sur le trottoir. Le maire me reconnut immédiatement. On aurait dit qu’il venait de voir un fantôme.
— Vous ici ? s’étonna-t-il.
— J’aurais aimé vous revoir dans d’autres circonstances.
— Quelles circonstances ? demanda-t-il. Que se passe-t-il ? Depuis quand la police d’État se déplace-t-elle pour un vulgaire cambriolage ?
— Vous n’avez pas autorité pour agir ici ! ajouta le chef Gulliver.
— Il y a eu une disparition dans cette ville, chef Gulliver, et les disparitions sont du ressort de la police d’État.
— Une disparition ? s’étrangla le maire Brown.
— Il n’y a pas de disparition ! s’écria le chef Gulliver, exaspéré. Vous n’avez pas le moindre élément, capitaine Rosenberg ! Avez-vous appelé le bureau du procureur ? Vous devriez l’avoir déjà fait si vous êtes si sûr de vous ! Peut-être que je devrais leur passer un coup de fil ?
Je ne répondis rien et m’en allai.
Cette nuit-là, à 3 heures du matin, la centrale des pompiers d’Orphea fut avertie d’un incendie au 77 Bendham Road, l’adresse de Stephanie Mailer.
30 juillet 1994, le soir du quadruple meurtre.
Il était 20 heures 55 lorsque nous arrivâmes à Orphea. Nous avions traversé Long Island en un temps record.
Nous débouchâmes sirène hurlante à l’angle de la rue principale qui était fermée en raison de la première du festival de théâtre. Un véhicule de la police locale, qui stationnait là, nous ouvrit la route à travers le quartier de Penfield. Le quartier était complètement bouclé, envahi par des véhicules d’urgence venus de toutes les villes voisines. Des bandes de police avaient été tirées autour de Penfield Lane, derrière lesquelles se massaient les curieux qui affluaient depuis la rue principale pour ne pas rater une miette du spectacle.
Jesse et moi étions les premiers enquêteurs de la Criminelle sur les lieux. C’est Kirk Harvey, le chef de la police d’Orphea, qui nous accueillit.
— Je suis le sergent Derek Scott, police d’État, me présentai-je en brandissant mon badge, et voici mon adjoint, l’inspecteur Jesse Rosenberg.
— Je suis le chef Kirk Harvey, nous salua le policier, visiblement soulagé de pouvoir passer la main à quelqu’un. Je ne vous cache pas que je suis complètement dépassé. On n’a jamais eu affaire à un truc pareil. Il y a quatre morts. Une vraie boucherie.
Des policiers couraient dans tous les sens, criant des ordres et des contre-ordres. J’étais de fait l’officier le plus gradé sur place et décidai de prendre la situation en main.
— Il faut fermer toutes les routes, intimai-je au chef Harvey. Mettez des barrages en place. Je demande des renforts de la police de l’autoroute et de toutes les unités de police d’État disponibles.
À vingt mètres de nous, gisait le corps d’une femme, en vêtements de sport, qui baignait dans son sang. Nous nous approchâmes d’elle lentement. Un policier se tenait en faction à proximité, s’efforçant de ne pas regarder.
— C’est son mari qui l’a trouvée. Il est dans une ambulance, juste là-bas, si vous voulez l’interroger. Mais le plus épouvantable c’est à l’intérieur, nous dit-il en désignant la maison à côté de laquelle nous nous trouvions. Un gamin et sa mère…
Nous nous dirigeâmes aussitôt vers la maison. Nous voulûmes couper en passant par le gazon et nous nous retrouvâmes les chaussures dans quatre centimètres d’eau.
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