Elle la piocha dans sa poche, souffla entre ses mains gelées et tenta : ça fonctionnait. Au moment où elle ouvrit, cinq bips retentirent, puis une alarme lui déchira les tympans. Mains sur les oreilles, Léane aperçut une console blanche bardée de boutons. L’écran réclamait un code. Elle essaya quatre ou cinq combinaisons, en vain, avant de ressortir : vu la puissance sonore, il était impossible de rester à l’intérieur.
Ils se réfugièrent dans la voiture de Colin, qui terminait une conversation téléphonique.
— J’ai appelé le numéro noté sur le boîtier de l’alarme. Un type de l’agence de surveillance était déjà au courant et va arriver d’ici à dix minutes.
Il fit tourner le moteur pour allumer le chauffage.
— Sinon, du côté de l’enquête, on a contacté le fournisseur d’accès du téléphone de ton mari et décortiqué le relevé qu’il nous a fourni pour ces trente derniers jours. Pas grand-chose à dire, mais il y a quand même eu un étrange coup de fil passé vendredi dernier. Jullian a appelé un psychiatre de Reims et a effacé l’appel de son historique, c’est pour ça qu’on n’a rien au départ.
— Un psy, à Reims ?
— Oui. J’ai pu le joindre, il s’appelle John Bartholomeus. Il m’a juste dit qu’il n’en savait pas plus : Jullian voulait un rendez-vous pour ce matin. Mais il n’y est pas allé, et pour cause…
— Jullian, consulter un psy ? Et quand bien même, pourquoi aurait-il pris un rendez-vous aussi loin ?
— C’est sûr, vu la distance, je doute que ton mari ait sollicité une séance pour un problème d’ordre psychique. Mais Bartholomeus est aussi expert psychiatrique auprès des tribunaux. Il se déplace un peu partout en France quand c’est nécessaire. J’ai demandé à tout hasard s’il travaillait sur le dossier Jeanson, ce n’était pas le cas. Mais il y a peut-être un truc à creuser de ce côté-là, je m’en occuperai.
L’alarme continuait à hurler. Léane se demanda à quoi elle pouvait servir : personne ne l’entendait et, en dix minutes, il pouvait s’en passer, des choses. Toujours est-il que le type de l’agence de surveillance finit par débarquer. Colin montra sa carte de police, Léane assura être la propriétaire des lieux, papiers d’identité à l’appui, et expliqua que son mari était absent, sans donner davantage de détails. Le technicien n’avait pas l’air trop tatillon, il mit fin aux hurlements en moins d’une minute. Léane et Colin purent se mettre à l’abri. Elle secoua ses vêtements persillés de sable.
— Depuis quand il y a une alarme ?
— Des techniciens de l’agence l’ont installée il y a environ deux mois à la suite d’un cambriolage. C’est le haut de gamme. Toutes les issues sont munies de capteurs, impossible d’entrer là-dedans sans déclencher le système. Je vais vous donner le nouveau code pour activer ou désactiver, c’est 2882 .
Léane nota l’information sur son téléphone.
— Pourquoi un nouveau code ? Vous devez le changer à chaque intervention ?
— Non, c’est à la demande de M. Morgan, après les faits de la nuit dernière.
— Qu’est-ce qui s’est passé, hier dans la nuit ?
— L’alarme s’est déclenchée, il était… environ 1 heure. J’ai appelé sur le portable de M. Morgan dans la minute. Il a répondu et a annoncé que l’alarme s’était mise en route quand il est entré. Je lui ai demandé son nom et le mot de passe comme l’exige la procédure, mais il a dit ne plus se souvenir ni du code de désactivation ni du mot de passe. Il avait l’air… plutôt guilleret.
— Il avait bu ?
— Oui, et pas qu’un peu. Alors je me suis déplacé pour constater que tout allait bien.
Colin avait sorti son carnet, les sourcils froncés. Léane, elle, se frottait les épaules. Malgré la chaleur dans la maison, elle n’arrivait pas à se réchauffer, les événements étranges s’enchaînaient plus vite que dans ses thrillers.
— Et c’était le cas ? Pas de pépin particulier ?
— Non. M. Morgan revenait sans doute d’un bar de Berck. Les issues étaient intactes, j’ai fait le tour des installations, rien ne clochait. M. Morgan a demandé que je change le code avec le nouveau numéro qu’il m’a fourni, 2882 . Il a signé un papier, avec bien du mal, puis je suis reparti. Vous voulez que je vérifie la maison ?
— Ça va aller.
Après avoir demandé une signature sur un document d’intervention, le technicien expliqua à Léane le fonctionnement de l’alarme. Au moment où il regagnait sa voiture, la romancière se précipita et s’enquit :
— Au fait, c’était quoi, le mot de passe qu’il aurait dû vous donner au téléphone ?
— « SarahPoussin ». Il a repris le même, c’est celui-là que vous nous fournirez en cas de problème.
Quand il fut parti, Léane lorgna autour d’elle, les yeux plissés. Le sable étincelait et s’envolait de la dune, comme une poignée de poussière d’or soufflée par un géant. Elle retourna dans la maison avant de refermer la porte à double tour.
Entre-temps, Colin avait fait un bref état des lieux du rez-de-chaussée.
— Tout a l’air en ordre. Tu devrais rentrer les voitures si tu veux être capable de redémarrer demain. Quelle plaie, ce sable ! Rien que pour ça, et si j’en avais les moyens, je n’achèterais jamais ta maison.
— « L’Inspirante » n’est pas à vendre, de toute façon. Bon, je vais aller voir dans le congélateur. Il y aura bien une pizza qui traîne. Ça ira ?
— Parfait.
Les pièces lui parurent trop vastes, trop vides en comparaison de son appartement. On devinait la présence de Jullian par touches subtiles — une veste abandonnée sur un fauteuil, une paire de chaussures sur un tapis, ses DVD de la danseuse de flamenco Sara Baras, en tas sur la table — mais pas de désordre, de chaos comme elle aurait pu s’y attendre. Elle se rendit compte à quel point « L’Inspirante », cette maison qui lui avait tout donné et tout pris, lui était désormais étrangère.
Elle réchauffa une pizza au micro-ondes et revint vers Colin. Il lisait la notice de l’alarme, appuyait sur des boutons. Elle lui tendit son assiette.
— Laisse, je m’en occuperai plus tard.
— Je veux être certain que tu seras en sécurité.
— T’inquiète… Les serrures ont été changées, et il y a cette sirène infernale qui découragerait même un sourd.
Ils mangèrent dans un silence qui fit du bien. Léane était de retour chez elle, dans cette villa sublime qu’elle n’arrivait plus à aimer.
— Merci, Colin. Pour tout.
— Il n’y a pas de quoi. Tu sais, à peine en congé, et je commençais à m’ennuyer.
— Ah, parce que tu…
— Pas de problème, je ne descends pas chez mes parents avant le 30, pour le Nouvel An. Je me demandais déjà comment j’allais occuper mes journées. Je n’ai pas l’intention de laisser une telle agression impunie.
Léane lui adressa un sourire. Il fallait être aveugle pour ne pas voir que Colin en pinçait pour elle, et ce depuis qu’il était arrivé dans leur vie, à la disparition de Sarah. Léane s’était abandonnée dans ses draps, une nuit, juste une nuit de désespoir. Puis elle avait lu la tristesse dans ses yeux lorsqu’elle avait annoncé son départ pour Paris et qu’elle ne reviendrait plus dans cette maison. Dans la capitale, elle disparaissait ad vitam aeternam . À Berck, elle se tenait au bras de Jullian, mais elle était là, accessible, même en rêve.
Léane voulut mettre fin à ce léger malaise qui s’insinuait entre eux. Elle se dirigea vers la bibliothèque, un ensemble de niches creusées dans la pierre au bout du salon. Sur la gauche, une grande fenêtre donnait, par temps clair, sur une partie de la baie, sa mer grise et moirée quand le soleil pointait le bout de son nez. Léane appuya sur un bouton qui fit descendre tous les volets et inspecta les étagères.
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