- Lukas, tu ne serais pas en train de me raconter des bobards ? demanda Sydow d'un air méfiant.
- Crois-moi, je préférerais que tout cela soit faux ! Non, Max, c'est la triste vérité, même si on pourrait se croire en plein polar. Malheureusement pour moi, j'ai été la dernière personne à qui Marlène a téléphoné. Cela a bien sûr fait de moi le suspect numéro un. La police était à mes trousses. Mais le mandat d'arrêt a finalement été levé il y a quelques jours. Je veux à tout prix faire moi-même la lumière sur cette affaire. J'imagine que tu peux le comprendre.
- Tu as avancé ?
- Penses-tu ! Plus je me suis plongé dans l'affaire et plus je m'y suis retrouvé impliqué. Parfois, je me sentais même traqué comme Richard Kimble.
- Mais tu dois bien avoir une hypothèse ?
- À ce jour, les résultats obtenus dépassent de loin l'horizon d'un simple bouquiniste. Je dois te dire aussi que, ce qui ne facilite pas les choses, c'est que je connaissais à peine Marlène, bien que nous ayons été assis sur le même banc à l'école durant deux ans.
- Et quand on se retrouve, l'interrompit Max, chacun ne parle que de lui. Du genre : ma maison, mon entreprise, ma voiture, ma maîtresse.
- Exactement. La seule qui n'a jamais rien dit d'elle, c'était Marlène.
- Maintenant que tu me le dis, c'est vrai, je me souviens. On n'a pratiquement rien appris de sa vie. Au fait, sais-tu qu'elle a une sœur, très belle, un peu plus jeune qu'elle ? Elle est hôtesse à la Lufthansa. Elle s'appelle Liane.
- C'est la première fois que j'en entends parler.
- Un jour, j'ai lu le nom de Liane Ammer sur la liste des membres de mon équipage. Je lui ai demandé si elle était parente avec Marlène Ammer. Ammer, ce n'est pas un nom très courant. Elle m'a simplement dit que Marlène était effectivement sa sœur. Mais j'ai cru comprendre qu'elles ne s'appréciaient pas trop. Ce n'est pas rare entre sœurs.
- As-tu l'adresse de cette Liane Ammer ?
- Non. Je sais seulement qu'elle vit à Francfort. Mais, pour en revenir à Marlène, il faut quand même que je te dise quelque chose. Peu de temps après notre rencontre, j'ai fait escale à Rome. J'avais du temps à perdre. J'ai recherché son nom dans l'annuaire. Je l'ai appelée pour l'inviter à dîner dans un restaurant de son choix. Elle savait mieux que moi où on pouvait bien manger, n'est-ce pas ? Elle est venue. Mais accompagnée d'un type - je dirais - particulièrement étrange.
- Un type étrange ? Qu'est-ce que cela signifie ?
- Ce type était bien plus âgé qu'elle et n'était pas vraiment le genre de l'homme rêvé, si tu vois ce que je veux dire. J'ai eu l'impression qu'il surveillait chacun des mots de Marlène. Et quand je lui posais une question, il n'y répondait pas et changeait de sujet. Je ne lui ai trouvé qu'une qualité sympathique : il était gaucher, comme Albert Einstein, comme Bill Clinton et comme moi. Inutile de te rappeler que les gauchers ont le gène de l'intelligence...
- Je sais, Max, je sais, l'interrompit Malberg. Tu nous l'as suffisamment prouvé à l'école. Génétiquement parlant, je suis plutôt un droitier. Mais revenons-en à cet homme qui accompagnait Marlène. Qu'est-il ressorti de la conversation ?
- Rien, c'était une soirée plutôt ennuyeuse.
- Qui était ce type ? Il s'est bien présenté, non ?
- Bien sûr, mais je l'ai trouvé si antipathique que, dix minutes plus tard, j'avais déjà oublié son nom.
Sydow regarda sa montre.
- Il est grand temps que j'y aille. Je suis content de t'avoir rencontré. Je crois bien que nous n'avions jamais parlé ainsi durant toute notre scolarité. Je te serais reconnaissant de me tenir au courant en ce qui concerne Marlène.
Malberg le lui promit. Ils échangèrent leurs numéros de téléphone. Max Sydow disparut par la porte réservée aux membres d'équipage. Entre-temps, le petit-déjeuner de Malberg avait refroidi.
Une annonce nasilla dans les haut-parleurs :
- Embarquement immédiat du vol Alitalia AZ 0432 à destination de Munich. Les passagers sont priés de se présenter à la porte 33.
Malberg se leva. Il était pensif. La rencontre de Sydow et de Marlène accompagnée de ce mystérieux inconnu lui trottait dans la tête.
48
Depuis son mystérieux enlèvement, qui demeurait toujours inexpliqué, le cardinal secrétaire d'État Philippo Gonzaga était resté invisible. Il en voulait au monde entier, et à Dieu lui-même. Compte tenu de son état de santé, et contrairement à ses habitudes, il refusait de célébrer la messe du matin dans la chapelle Sixtine.
Ce matin-là encore, assis à son bureau devant des piles de dossiers en attente, Gonzaga réfléchissait. Depuis que Soffici avait disparu, Gonzaga avait enfin pris conscience que son secrétaire privé lui était indispensable.
Dans de tels moments, le cardinal en venait presque à regretter d'avoir si mal traité son collaborateur.
Sur son bureau, le téléphone sonna. La mine renfrognée, le cardinal décrocha.
- Oui ?
- Suis-je bien au bureau du cardinal secrétaire d'État ? s'enquit une femme à la voix décidée.
- Qui est à l'appareil ?
- Le bureau du préfet de police.
- De quoi s'agit-il ?
- Monsieur le préfet aimerait avoir un entretien avec le cardinal secrétaire d'État. C'est urgent.
- C'est moi-même.
La voix marqua un temps d'arrêt, étonnée, semblait-il, d'avoir été mise directement en relation avec le cardinal secrétaire d'État.
- Éminence, vous serait-il possible de recevoir aujourd'hui monsieur le préfet de police ? Il s'agit de votre secrétaire, Giancarlo Soffici.
- Il n'a qu'à venir ! aboya Gonzaga dans le combiné. À la fin de l'angélus !
La secrétaire du préfet de police avait beau avoir son bac et de l'expérience, elle ignorait tout des repères temporels que le clergé utilise couramment. Elle n'osa toutefois pas demander au cardinal secrétaire d'État une traduction sécularisée de l'heure du rendez-vous. Elle espérait bien que le préfet de police saurait décrypter cette étrange instruction.
La Lancia noire du préfet de police, escortée de deux carabinieri en moto, arriva peu après 11 h devant l'entrée qui s'ouvrait sur le Cortile di San Damaso. Deux gardes suisses escortèrent le visiteur dans le palais du Vatican, jusqu'au bureau de Gonzaga.
Antonio Canella, le préfet de police, un fonctionnaire digne et bien nourri qui touchait un des plus gros salaires du service public, portait un costume noir et ployait sous son propre embonpoint.
Une mallette noire à la main et précédé par les gardes, il gravit les nombreuses marches de l'escalier en marbre qui menait au troisième étage.
Les deux gardes prirent position à droite et à gauche de la porte du secrétariat du cardinal secrétaire d'État. Conformément au règlement, ils regardaient droit devant eux lorsque Canella frappa et entra sans attendre qu'on l'y invitât.
La porte du bureau de Gonzaga était ouverte comme si le cardinal venait de s'absenter. Le préfet de police s'éclaircit bruyamment la voix, et Gonzaga s'encadra immédiatement dans le chambranle de la porte. Sans desserrer les dents, il tendit l'anneau de sa main droite vers Canella. Le préfet de police, qui avait une bonne tête de moins que Gonzaga, ne put faire autrement que de baiser furtivement l'anneau.
Canella, connu pour son attitude critique vis-à-vis de la curie, trouvait ce cérémonial plutôt niais. Mais, étant ici en mission officielle, il ne pouvait se permettre aucune maladresse.
Il fit un grand geste du bras pour désigner la pièce dans laquelle il se trouvait.
- Peut-on dire que ce lieu soit, pour ainsi dire, le bureau dans lequel travaille votre secrétaire Giancarlo Soffici ?
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