Tous les regards se tournèrent vers Giovanni Sacchi, le directeur des archives secrètes.
Celui-ci secoua la tête :
- Non, non, et non ! Que le Seigneur me préserve de la tentation. Lorsque j'ai pris mes fonctions de préfet des archives secrètes, j'ai fait devant Dieu le serment solennel de respecter toutes les lois de notre mère l'Église. Et notamment celle qui me prescrit de ne livrer à personne les secrets que je détiens. Lorsque mon heure aura sonné, j'emporterai mon savoir avec moi dans la tombe.
- Quand bien même la pérennité de notre sainte mère l'Église devrait-elle être mise en péril ?
- La loi de l'Église ne supporte pas d'exception. Éminence, ce n'est pas à vous que je vais expliquer cela. De plus, je ne faute pas si je vous dis que je sais où Gonzaga conserve les dossiers de ses comptes.
Un climat de méfiance s'installait.
Monseigneur Sawatzki lançait des regards incrédules de côté, en évitant de croiser celui du préfet des archives secrètes. Il rompit tout à coup le pesant silence :
- Qui nous dit que Gonzaga a reçu cet argent sale en contrepartie du suaire de Notre-Seigneur ? Compte tenu de la signification de cet objet, la somme de cent mille dollars relèverait du blasphème. Et Gonzaga n'est pas homme à vendre le suaire contre un plat de lentilles.
- Se pourrait-il, intervint Archibald Salzmann, que nous pensions tous la même chose ?
Le cardinal opina :
- L'argent du silence !
Et Salzmann de reprendre :
- Gonzaga voulait acheter le silence d'un complice !
John Duca acquiesça avant de poursuivre :
- Nous devrions faire surveiller le cardinal secrétaire d'État. Ses fréquents voyages, ses mystérieuses réunions au sein de la curie, tout cela fait de lui un suspect de premier ordre.
Le visage émacié de Bruno Moro grimaça.
- Mon frère, comment entendez-vous procéder ?
- Gonzaga a, de par sa fonction, la mission de maintenir le contact de la curie avec le reste du monde. Il est à la fois le ministre des Affaires étrangères de l'État de l'Église et le Premier ministre à l'intérieur des murailles léonines. Cela implique une foule de conférences, de colloques et de réunions. Comment voulez-vous faire suivre cet homme sans vous faire remarquer ?
Monseigneur Abate intervint dans le débat :
- Si je puis me permettre une remarque, il faudrait que nous tentions de gagner à notre cause Giancarlo Soffici, le secrétaire du cardinal secrétaire d'État.
La proposition rencontra un écho mitigé. Sawatzki et Salzmann jugeaient l'opération trop risquée. Monsignor Sawatzki remarqua que ce serait comme si Gonzaga avait demandé au monsignor Abate d'espionner son patron, le cardinal Moro. Abate se confierait immédiatement à Moro, cela allait de soi.
Pour sa part, John Duca considérait Soffici comme un homme martyrisé par l'arrogance et l'avidité de pouvoir dont faisait preuve le cardinal secrétaire d'État ; en dépit de la position qu'il occupait et de son âge avancé, il n'avait même pas encore réussi à devenir vicaire du Saint-Siège.
- Je pourrais bien m'imaginer... commença-t-il.
- C'est à Gonzaga qu'il revient au premier chef de proposer Soffici à la nomination de vicaire, intervint Moro, coupant ainsi court aux réflexions de John Duca.
- Éminence, répliqua ce dernier, vous n'allez quand même pas croire que sa Sainteté n'accéderait pas à votre souhait de voir Soffici promu ? On trouvera toujours une raison plausible. Ce serait même une véritable humiliation pour le cardinal secrétaire d'État Gonzaga. Et je suis absolument certain que Soffici fondrait de reconnaissance. En procédant de la sorte, nous mettrions Gonzaga dans un joli pétrin.
- L'idée n'est pas mauvaise !
Pour la première fois de la soirée, un sourire éclaira le visage de Moro. Un sourire mauvais.
Monseigneur Sacchi se leva alors et s'écria, au comble de l'agitation :
- Mes frères, êtes-vous conscients que nous sommes une fois de plus en train de guérir le mal par le mal ? N'avons-nous pas déjà accumulé suffisamment de fautes ? Nous, les hommes de l'Église dans la lignée de saint Pierre, nous nous comportons comme les Pharisiens au temple, ceux-là mêmes que Notre-Seigneur a chassés de sa maison. Nous nous intéressons plus à la turpitude et au crime qu'à la foi et à la rédemption. La soif du pouvoir et le désir d'influence sur la hiérarchie apostolique ne reculent même plus devant le crime. Que dit le prophète Jérémie ? « Je vous le dis, vous avez mis votre confiance dans des paroles mensongères et sans valeur. Et vous venez alors et entrez dans le temple qui porte mon nom, vous me regardez en face et vous dites : «Nous sommes sauvés !» Mais vous continuez vos actes immondes. Croyez-vous que cette maison soit un repaire de brigands ? »
Il était hors de lui. Il enleva ses lunettes cerclées de métal pour les nettoyer avec un mouchoir blanc. Puis il s'effondra sur sa chaise.
Le cardinal Moro dévisagea Sacchi, longuement et intensément. Il n'était pas habitué à de tels accès de colère de la part du préfet des archives secrètes, d'ordinaire plutôt effacé. Lorsque leurs regards se croisèrent, le préfet du Saint-Office commença d'une voix basse menaçante :
- Monseigneur, la noblesse de cœur et la foi en la Loi, qui vous honorent, ne doivent pas vous faire oublier que le diable s'est introduit dans nos murs et s'est emparé des plus hauts dignitaires du Vatican. Et l'histoire de l'Église nous apprend que, dans les cas extrêmes, seuls le feu et le glaive peuvent venir à bout du malin. Mes frères, comment pouvons-nous nous sortir de ces difficultés dans lesquelles l'Église s'est trouvée empêtrée par un malheureux concours de circonstances ? Voilà la question que je vous pose, continua-t-il en haussant le ton. Répondez, monsignor !
Sacchi, le regard fixe, ne répondit rien.
Le discours de Moro s'enflamma :
- Ne comprenez-vous donc pas qu'il en va de mon existence, de la vôtre, de notre existence à tous ? Et qu'il ne s'agit pas seulement de nous, mais de la pérennité de l'Église ? Le cardinal secrétaire d'État Gonzaga est une clé du problème.
- Quels sont les arguments qui s'opposent à ce qu'il soit démis de ses fonctions ? s'enquit Giovanni Sacchi prudemment.
- Éminence, vous appartenez, autant que je sache, aux vingt-cinq auditeurs de la commission ?
- Hélas, mon frère, cette solution serait bien la plus difficile à mettre en œuvre pour régler nos problèmes. La Sacra Romana Rota est composée de différents groupuscules et de multiples courants conservateurs et progressistes, élitistes et populistes. Il est donc particulièrement difficile de dégager une majorité. De plus, une telle procédure, supervisée par la Signature apostolique, sera examinée par plusieurs instances. Cela peut prendre des années, voire des décennies, avant qu'un jugement soit prononcé. Pendant ce temps-là, le diable aurait tout le temps de parachever son œuvre. Je crains qu'il ne nous faille trouver une autre solution. Je m'adresse maintenant à vous, professeur Tyson ! La raison pour laquelle je vous ai fait venir...
Le cardinal Moro se tut, le regard tourné vers la porte. Il avait reconnu le bruit que fait une poignée quand on l'abaisse. Les autres l'entendirent aussi. La tête chauve de Gonzaga apparut dans l'entrebâillement de la porte.
- J'ai vu de la lumière, expliqua le cardinal secrétaire d'État, un peu gêné. Se peut-il que le Saint-Office tienne conseil à une heure aussi tardive ?
Comme il s'avançait après avoir refermé la porte derrière lui, l'odeur entêtante de son parfum se répandait autour de lui et tout l'auditoire eut l'impression de respirer l'odeur du diable.
24
Malberg n'avait presque plus d'argent. S'il allait en tirer au distributeur avec sa carte de crédit, il laisserait des traces. Mais il n'avait pas le choix, il lui fallait du liquide. Il aurait aussi pu téléphoner à mademoiselle Kleinlein pour lui demander d'effectuer un virement sur le compte de Caterina. Mais la manœuvre était risquée. Il décida donc de se rendre en voiture à Munich, en empruntant la petite Nissan de Caterina. Il promit d'être de retour le lendemain soir.
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