- Si je vous comprends bien, vous penchez vous aussi pour la thèse du meurtre ? Pourquoi ? Avez-vous des indices allant dans ce sens ?
Malberg sursauta. Dès le début, il avait été persuadé que Marlène avait été assassinée. Tout à coup, les deux hommes qui l'avaient bousculé dans l'escalier lui revinrent à l'esprit. Mais il ne pouvait pas en parler à la journaliste. Il la fixa sans dire un mot.
Ce n'est qu'à cet instant qu'il remarqua qu'elle était vraiment très belle. Sa tenue décontractée, pour ne pas dire négligée, l'avait peut-être empêché de s'en apercevoir plus tôt. Caterina portait un jean délavé rose et un corsage d'une couleur indéfinissable dont seuls les trois boutons à l'encolure attiraient l'attention, parce qu'ils étaient déboutonnés et qu'ils offraient une vue imprenable sur la naissance de ses seins, lesquels semblaient être de toute beauté. Caterina était grande. Et Malberg aimait les femmes grandes.
En regardant ses longs cheveux blonds noués en chignon, il douta que le blond soit leur couleur naturelle, d'autant que des sourcils bruns, presque noirs, surplombaient ses yeux en amandes.
Les sourcils et les cheveux ne sont pas toujours de la même couleur ; ce n'est pas une loi de la nature, mais quand même... Le mignon petit nez de Caterina, ses lèvres aussi pulpeuses que celles de Sophia Loren firent momentanément oublier à Malberg la raison de leur rencontre. Elle parlait vite, comme une Italienne du Nord. Malberg, qui maîtrisait bien la langue, avait néanmoins du mal à la suivre.
Les regards de Malberg n'avaient pas échappé à Caterina.
- Excusez ma tenue pour le moins décontractée, mais quand je suis sortie de chez moi ce matin, je ne savais pas que j'allais vous rencontrer.
Se sentant pris sur le fait, Malberg se tira de son embarras en répondant à sa question :
- Oui, je crois à l'hypothèse du meurtre.
- Je comprends, dit la journaliste avant de réfléchir un instant en dodelinant de la tête. Pardonnez ma curiosité, mais quelle relation entreteniez-vous avec la signora Ammer ?
- Vous voulez savoir si nous avions une liaison ? répondit Malberg en s'efforçant de sourire. La réponse est non. C'était une ancienne camarade de classe. Ça n'allait pas plus loin.
- Et elle n'a jamais été mariée ?
- Non. En tout cas, pas à ma connaissance.
- Étonnant. Il paraît qu'elle était très attirante.
- C'est vrai. Elle s'était incroyablement métamorphosée, avec le temps. Le vilain petit canard était devenu un beau cygne. Jusqu'à la fin du lycée, elle était tout, sauf jolie. Mais lorsque je l'ai revue après toutes ces années, j'en ai presque eu le souffle coupé. L'insignifiante Lénou était devenue une Marlène très séduisante.
- Marlène Ammer avait-elle encore des parents ?
- Pas que je sache. Elle m'a raconté que sa mère était décédée il y a deux ans. Son père avait trouvé la mort quelques années plus tôt dans un accident de voiture. Non, elle n'a pas laissé de famille.
- Avait-elle des ennemis ? A-t-elle fait des allusions donnant à penser qu'elle se sentait menacée ?
Malberg s'efforçait de garder la tête froide.
La touffeur du soir et les questions précises de la journaliste ne lui facilitaient pas les choses, vu la situation où il se trouvait.
- Écoutez-moi, signorina Lima : quand on se revoit après vingt ans, on a beaucoup de choses à se raconter. On ne peut pas parler de tout.
- Je comprends, s'excusa Caterina, avant de poser une autre question dans la seconde qui suivit :
- Au fait, comment avez-vous appris la mort de la jeune femme ?
Malberg tressaillit. La journaliste avait-elle remarqué sa réaction ? Il tenta de n'en rien laisser paraître :
- C'est la marquise qui m'a informé. Elle ne vous l'a pas dit ?
- Non, je ne me souviens pas qu'elle en ait parlé.
Caterina Lima posa le bout de l'index sur ses lèvres, comme si elle réfléchissait.
Malberg n'était pas du genre à se laisser cuisiner par une journaliste. D'autant qu'il n'y avait aucune raison à cela. Mais la conversation prenait lentement l'allure d'un interrogatoire. Malberg se retrouvait tout à coup dans le rôle de celui qui va devoir se défendre. Ce qui était inadmissible pour lui : il se leva.
- Je regrette de ne pas pouvoir vous être plus utile. Je vous ai dit ce que je savais de Marlène. Je vous prie de m'excuser, j'ai un rendez-vous.
- Mais non, signore , vous m'avez beaucoup aidée. Je vous prie d'excuser mes questions directes, je n'en suis qu'au début de mes investigations. Permettez que je vous laisse ma carte au cas où quelque chose d'important vous reviendrait à l'esprit.
Malberg répondit plus par politesse que par conviction :
- Cela va de soi. Je vais certainement rester à Rome quelques jours encore. Vous savez où me trouver.
Et, l'air absorbé, il glissa la carte dans la poche de son polo.
7
De grosses gouttes de pluie s'écrasaient contre les vitres du château de Layenfels. Une planche de bois et une simple couverture de laine n'offraient pas les conditions idéales pour trouver un sommeil réparateur. Soffici, le secrétaire du cardinal, fixait dans l'obscurité les poutres massives du plafond.
Alberto, qui partageait la minuscule pièce avec Soffici, se retournait d'un côté et de l'autre.
Un homme vêtu de noir les avait invités en quelques mots à s'installer pour la nuit dans cette pièce haute de plafond, d'une dizaine de mètres carrés tout au plus, dépourvue de tout mobilier, exception faite de deux grabats en bois, d'une chaise pour poser les vêtements, d'un lavabo dans un coin et, quand même, de l'eau courante.
- Vous non plus n'arrivez pas à dormir, monsignor ? chuchota Alberto dans l'obscurité.
- L'Inquisition n'était certainement pas plus sévère avec ses délinquants, bâilla Soffici, une pointe d'ironie dans la voix.
- Où est le cardinal ? Tout d'un coup, il a disparu.
- Aucune idée. Pour être franc, cela m'est plutôt égal en ce moment. Comment Gonzaga a-t-il pu en arriver là ? C'est de sa faute si nous nous retrouvons dans cette situation.
- Sauf erreur de ma part, c'est bien l'Église qui a inventé le célibat. En tout cas, on n'en trouve pas la trace dans la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
- Félicitations ! On remarque bien là que vous n'êtes pas un chauffeur ordinaire, mais que vous êtes au service d'un cardinal secrétaire d'État.
- Monsignor, renchérit Alberto avec enthousiasme, vous oubliez que j'ai fait trois semestres de théologie à la Gregoriana avant de rencontrer Elisabetta.
- Je sais, Alberto, je sais.
- C'est un peu, reprit Alberto après un moment de silence, comme si je me sentais ici en prison. Qui sont ces hommes pour avoir de tels comportements ? Des hommes ? Non, des monstres, voilà le mot qui est le plus juste.
- Chhhhut ! s'écria le secrétaire du cardinal. Vous savez que le cardinal nous a interdit de parler de notre entreprise et de ces gens. Nous devons avoir toujours présent à l'esprit que les murs ont des oreilles.
- Vous voulez dire qu'on nous surveille et qu'on nous écoute ?
Soffici ne répondit pas.
Alberto se leva et alla à tâtons jusqu'au lavabo. Il ouvrit le robinet et laissa couler l'eau.
- À quoi jouez-vous ? s'enquit le monsignor pendant qu'Alberto regagnait sa couche dans le noir.
- Monsignor, vous devriez regarder plus souvent des films policiers ! Vous sauriez comment on peut neutraliser un dispositif d'écoute.
- Ah !
- Oui. Le bruit de l'eau couvre tous les chuchotements. Et comme les micros utilisés ne transmettent que le bruit le plus intense, nous pouvons nous entretenir sans problème à voix basse. Pensez-vous que nous puissions jamais ressortir vivants d'ici ?
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