— Est-il possible de monter sur la vedette ? demanda Malko qui avait suivi la conversation.
Le Danois secoua la tête.
— Non. C’est réservé aux officiels.
Malko n’insista pas. Ce serait tout aussi efficace de recueillir l’agneau égaré sur la terre ferme. Surtout avec la mer qu’il y avait. Il faisait signe à Lise de le suivre quand le Danois laissa tomber :
— Qu’est-ce que vous lui voulez tous à ce type ?
Malko resta, la main sur la poignée de la porte, croyant avoir mal compris.
— Tous ?
L’autre consentit à retirer son cigare pour préciser.
— Vous êtes le troisième depuis hier à vouloir aller sur la vedette. Sans compter les journalistes.
Les journalistes, Malko les avait vus à l’hôtel. Maintenant, en groupe compact, ils attendaient près de la cabane de la douane. Mais les autres ?
Ses yeux dorés virèrent au vert. Voilà qui n’était pas prévu au programme sans histoires de David Wise. Malheureusement, après la publicité donnée à l’histoire, il fallait s’attendre à une mauvaise surprise.
Ravi, le Danois compta sur son mégot :
— Ben oui, le grand type à cheveux blancs, le curé, la petite dame et vous. Ça fait même quatre…
— Mais qu’est-ce qu’ils vous ont dit ? insista Malko voulant encore espérer.
L’autre cligna de l’oeil.
— Juste comme vous. Mais ils ne sont pas venus ensemble…
Après un léger silence, il ajouta :
— Notez bien que j’aurais pas la radio à m’occuper, j’irais. J’en ai encore jamais vu des vrais espions…
Apparemment, il n’était pas le seul de cet avis. Lise, innocente, ne voyait rien de mal à tout cela.
Elle se contentait de dévorer Malko des yeux. Les Danois étaient blonds mais ils n’avaient ni ses yeux ni son élégance.
— Où peut-on trouver un bateau ? demanda Malko.
Le Danois désigna le port.
— Là-bas. Les chalutiers ne sortent pas aujourd’hui. La mer est trop mauvaise.
Malko entraîna Lise et dégringola le perron puis s’engouffra dans la Ford. Cent mètres plus loin, ils atteignirent le wharf où se trouvaient les chalutiers. L’odeur était proprement inhumaine. Comme si de rien n’était, les équipages s’affairaient à de menus travaux d’entretien.
Le premier marin à qui Lise s’adressa refusa tout net. Il venait de repeindre son bateau et ne se souciait pas de le salir avec une mer pareille.
Elle n’eut pas plus de succès avec les deux suivants. Purement et simplement, ils lui tournèrent le dos, faisant semblant de ne pas la comprendre.
Trois autres chalutiers étaient vides. Malko regarda sa montre. Le minéralier serait là dans une heure et demie. Il n’y avait plus de temps à perdre. Soudain, un grand Danois aux cheveux presque blancs, chevauchant une bicyclette du siècle dernier, s’arrêta près d’eux et s’enquit du but de leurs recherches.
— J’ai besoin d’aller en mer, tout de suite, expliqua Malko. Avec un bateau rapide.
L’autre hocha la tête et désigna un chalutier beaucoup plus grand que les autres.
— Prenez le Sandfjord , c’est le plus rapide du port. Il appartient à mon oncle. Si vous voulez, je vais lui demander…
L’oncle, grisonnant et massif, ravaudait une épissure, assis sur une bitte d’amarrage, en face de son bateau. Il écouta la proposition de Malko d’un air rusé et répliqua en un patois incompréhensible pour lui. Lise traduisit :
— Il dit qu’il n’a pas très envie d’aller en mer avec ce temps.
Malko dut lui faire expliquer qu’ils devaient partir tout de suite, beau temps ou pas, pour aller au-devant d’un bateau.
Il y eut un silence lourd de relents de poisson, puis l’oncle laissa tomber deux mots incompréhensibles pour Malko. Le neveu traduisit.
— Alors, il veut cinq cents dollars.
C’était réconfortant de constater que la renommée du dollar avait atteint ce port perdu de la Baltique.
— Si nous appareillons immédiatement, demanda Malko, peut-il aller au-devant du Ragona de façon à l’intercepter le premier ?
Va-et-vient de traduction. Il ressortit des explications du Danois qu’à part le Queen-Elisabeth , il n’existait pas de bateau plus rapide dans cette partie du monde que le Sandfjord.
— Quatre cents dollars et on part immédiatement, offrit Malko en sortant une liasse de billets de sa poche.
Le viatique de la brebis galeuse allait être sérieusement écorné, si cela continuait. Le Danois hésita imperceptiblement puis tendit la main vers les billets. C’est ce qu’il gagnait en une semaine de pêche.
Malko s’engagea sur la passerelle.
— Nous partons tout de suite, ordonna-t-il. Lise, il vaut mieux que vous retourniez à l’hôtel. Prévenez Copenhague que notre ami semble très demandé.
La jeune Danoise aurait bien suivi Malko, mais était trop intimidée pour discuter ses ordres. Elle prit la place de Krisantem dans la voiture.
Maugréant, l’oncle rameuta trois marins, le neveu, et commença à se battre avec le gros diesel. Krisantem regardait d’un oeil torve le chalutier.
— Viens Elko, fit Malko. Je risque d’avoir besoin de toi.
Déjà verdâtre, le Turc obéit et alla s’installer à l’avant, étreignant le bastingage à deux mains. Malko aurait donné cher pour savoir qui étaient ses quatre concurrents et surtout, où ils se trouvaient. Il expliqua au Danois ce qu’il désirait. L’oncle hocha la tête et déplia une carte crasseuse dans la minuscule cabine de commandement.
— Voilà l’endroit où le bateau pilote va aller, dit-il. Nous, nous allons à une quinzaine de mille à l’ouest. Là, les autres ne peuvent pas nous suivre. Il y a trop de mer. Ça va secouer, je vous préviens.
— Tant pis, fit Malko, héroïque.
Cinq minutes plus tard, ils larguaient les amarres. À petite vitesse le chalutier manoeuvra dans le port. Ils longèrent une des conserveries et Malko dut se boucher le nez. Livide, Krisantem ne disait plus un mot. Tant qu’ils furent protégés par le cap de Skagen, cela ne fut pas trop dur. Le chalutier tanguait raisonnablement et, dans la cabine, Malko tenait le coup, à condition de garder la tête dehors.
Soudain, il eut l’impression que le chalutier était pris dans un maelström. L’avant plongea de deux mètres, la cabine semblait se décrocher, le bruit du diesel augmenta.
À la barre, l’oncle grogna :
— Ça commence…
Effectivement ça commençait. Comme si une main géante s’amusait à secouer la coque dans tous les sens. En cinq minutes Malko avait le coeur sur les lèvres. À tâtons, il tira la porte et s’accrochant un peu partout, se plaça au centre du pont. Au moins l’air était frais.
Le premier paquet de mer le prit par surprise et il manqua passer par-dessus bord. Trempé, il hésita à remonter à l’intérieur. Mais la seule idée de l’odeur dégagée par le chandail de l’oncle lui arracha un haut-le-coeur. Il valait encore mieux attraper une congestion pulmonaire…
— Il y en a pour combien de temps ? hurla-t-il.
Le Danois leva le pouce :
— Une petite heure…
C’est le moment que choisit Krisantem pour commencer à se vider l’estomac. Toujours accroché à l’avant, il était trempé comme une soupe, secoué d’effroyables hoquets. Il tourna des yeux désespérés vers Malko et celui-ci eut honte.
— Il n’y en a pas pour longtemps, cria-t-il au Turc.
Krisantem ne réagissait plus. On aurait pu le prendre et le jeter par-dessus bord, sans qu’il opposât la moindre résistance. D’ailleurs, il souhaitait en cette minute même un naufrage instantané.
Tout, plutôt que ce roulis et ce tangage.
Malko scruta la mer autour d’eux. Pas un bateau. Lorsque le chalutier montait sur la crête d’une vague la visibilité était de plus d’un mille. S’ils arrivaient vivants, ils seraient les premiers.
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