— Où sont-ils ?
— Partis.
— Où ? Quand ?
De nouveau, le Libanais demeura muet. Malko appuya légèrement la grenouille en malachite sur les doigts déjà affreusement enflés. Karim Labaki eut un cri déchirant de chiot écrasé.
— L’hélico… Tout à l’heure…
Un comble ! S’il avait su cela, une rafale de riot-gun dans l’appareil et le problème était réglé.
— Où allaient-ils ? demanda-t-il.
— Rejoindre un taxi-brousse, près de Longi.
— Et ensuite ? Ils quittent le pays clandestinement ?
— Je ne sais pas… Je ne crois pas.
Karim Labaki ignorait les aveux de Forugi, concernant le but des deux terroristes chiites. En trente-six heures, même par la piste, ils avaient largement le temps d’atteindre Abidjan. Le passage de la frontière ivoirienne se faisait plus facilement en brousse que dans un aéroport. Mais s’il pouvait en savoir plus…
La grenouille de malachite appuya sur les phalanges brisées, déclenchant de nouveaux hurlements du Libanais auxquels firent écho des imprécations en arabe de l’autre côté de la porte. Une voix hystérique glapit :
— Laissez Mr Labaki ! Salauds !
Celui-ci était blême, regardant sa main coincée sous le presse-papier de malachite. De la sueur coulait sur son visage livide. Malko se dit qu’il n’était plus en état de mentir. Il lui redemanda où ils allaient et le Libanais murmura :
— Je ne sais pas, je vous le jure, ils ne me l’ont pas dit… Je les ai seulement hébergés.
Malko n’avait pas le temps de vérifier. Retrouver deux terroristes au milieu de l’Afrique n’était pas évident, même si on connaissait leur destination finale, ce qui était le cas. Il fallait un peu plus.
— Ils ont des passeports sierra-leonais ?
— Oui, avoua le Libanais dans un souffle.
— À quels noms ?
Les muscles de la mâchoire inférieure de Karim Labaki saillirent sous la peau comme s’il s’empêchait de répondre. Sans hésiter, Malko pesa sur la grenouille de malachite. Cette information était vitale. Eddie Connolly était mort pour avoir tenté de se la procurer.
La bouche du Libanais s’ouvrit d’un coup sur un cri atroce qui se confondit avec une forte explosion venue de l’extérieur. La porte vola en éclats. Grâce à une petite charge explosive posée contre le battant de l’autre côté. Dans la fumée, Malko aperçut des uniformes et des Palestiniens. Bill Hodges s’était retourné à la vitesse d’un cobra… Le not-gun cracha ses huit cartouches à une vitesse hallucinante. Il y eut des cris, une bousculade et, à travers le battant éventré, Malko aperçut un corps ensanglanté couché en travers du hall de marbre.
Les autres s’étaient abrités.
Seulement la situation devenait intenable. Une voix cria avec un fort accent arabe :
— Jetez vos armes. Rendez-vous.
Fiévreusement, Wild Bill rechargeait son riot-gun. Il se rapprocha de Malko, le visage soucieux.
— Faut filer. Ces cons de Noirs, je les connais, ils vont se mettre à tirer dans le tas…
Malko regarda le visage livide du Libanais. En dépit de la douleur de sa main, il s’était un peu repris et il ne sortirait plus rien de lui. Maintenant, il fallait sauver sa peau.
— On s’en va, annonça-t-il à Labaki. Ne cherchez pas à vous enfuir ou je vous abats. Bill, donnez-moi le riot-gun et occupez-vous de lui.
Ils firent l’échange. Avec un sourire mauvais, Bill Hodges enfonça le canon du 45 dans le cou du Libanais, lui tordant son bras valide derrière le dos. Malko s’était approché de la porte. Collé au mur, il cria :
— Nous allons sortir avec Mr Labaki. Dégagez le hall. Au premier coup de feu, il prendra une balle dans la tête.
Pas de réponse. Il se retourna vers le Libanais.
— Confirmez-leur. En anglais et en arabe…
Le Libanais se gratta la gorge et lança un appel. Terminé par une version créole. Il tenait à sauver sa peau… Dans le hall, il y eut tout un remue ménage. Malko attendit quelques instants et s’y glissa le premier, riot-gun au poing. Personne, sauf un mort – un Palestinien – et des traînées de sang un peu partout.
Il traversa le hall en courant, arrivant à la porte donnant dans la cour. Abrité, il aperçut des têtes qui dépassaient de tous les coins. La grille était fermée et une Range Rover stationnée devant la bloquait… Il fit le tour des possibilités. La falaise était inaccessible. S’ils s’enfuyaient à pied dans le bois de Hill Station, ils seraient extrêmement vulnérables. Il regarda vers le garage, aperçut, devant les Mercedes, un camion tout neuf, un neuf tonnes Leyland.
Revenant à l’intérieur, il vit, debout dans une embrasure, le secrétaire libanais qui contemplait avec horreur son patron tenu en respect par Bill Hodges. Il avait le visage en sang, suite au coup de crosse de l’Irlandais.
— Je vous en prie, balbutia-t-il, ne faites pas de mal à Mr Labaki. C’est un homme si bon.
— Cela dépend de vous, fit Malko sautant sur l’occasion. Je veux que tous les soldats dégagent. S’il y a une bavure, il mourra le premier.
— Mais où allez-vous ? Vous ne pourrez jamais sortir…
— C’est mon problème, coupa Malko, faites ce que je vous dis.
Le secrétaire traversa le hall, rejoignit un officier du SSD [42] Special Security Department.
et commença à parlementer… Toute l’armée sierra léonaise était là…
Malko croisa le regard de Bambé. Ravie. À peine inquiète. Inconsciente du danger, la jeune Noire suivait calmement. Il se maudit de l’avoir entraînée dans cette galère…
Le secrétaire réapparut, essoufflé.
— Ça y est ! Vous pouvez sortir. Personne ne tirera.
Karim Labaki intervint brutalement en arabe. Le secrétaire ponctua ses réponses de aiwa [43] Oui en arabe.
. Apparemment le Libanais n’avait qu’une confiance modérée dans les Noirs. Nouvel aller-retour. Cette fois, c’était bon. Malko sortit dans la cour, dans un silence impressionnant et se dirigea vers le camion.
Bill progressa dans le hall, prêt à sortir à son tour.
Malko ouvrit la portière du camion et s’installa au volant. La clef était sur le contact. Il mit en route, recula et vint se garer sous l’auvent. De sa cabine, il apercevait les soldats planqués un peu partout. Il y en avait même dans la piscine… dont seule la tête était visible. Pourvu que l’un d’entre eux ne veuille pas faire du zèle ! Ce serait le massacre. Dont ils ne réchapperaient pas… Se penchant, il ouvrit la portière du camion, apercevant Bill et son prisonnier dans l’ombre du hall.
— Bill ! Venez. Sans vous presser.
L’Irlandais sortit avec lenteur, précédé de Bambé et collé à Karim Labaki. Il lui fallut d’interminables secondes pour atteindre le camion où il fit grimper le Libanais. Ce dernier heurta sa main blessée et poussa un hurlement, vacillant sur ses jambes. Le cœur de Malko grimpa à 160 pulsations. Tout s’arrêta. Puis la tension redescendit. Karim Labaki se traîna dans la cabine. Il sentait mauvais. Bill grimpa à son tour et s’accroupit, invisible de l’extérieur. On ne voyait de lui que son bras gauche avec le Christ en croix prolongé par le gros pistolet, le canon planté dans la gorge du Libanais. Bambé se faisait toute petite entre Malko et Labaki.
— Accrochez-vous ! dit Malko.
Passant la première, il écrasa l’accélérateur. Le lourd véhicule bondit en avant. Son pare-chocs heurta d’abord l’arrière de la Range Rover. Une fraction de seconde plus tard, il faisait voler en éclats le portail. Malko allait si vite qu’il manqua basculer dans le ravin d’en face. Il freina, puis effectua une courte marche arrière. Par la vitre ouverte, il entendit le secrétaire qui s’égosillait.
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