— Sois poli ou je te fais sauter les couilles…
L’Africaine se leva avec un petit cri, et Malko la repoussa doucement dans un coin de la pièce, avant de s’approcher de Karim Labaki.
— Mister Labaki, dit-il, je suis venu pour une raison précise. Je veux les deux terroristes que vous hébergez.
— Foutez le camp ! explosa le Libanais, je ne sais pas comment vous êtes entrés ici, mais si vous ne partez pas, je sais comment vous allez en ressortir. Morts.
Son visage de gargouille était convulsé par la rage. Il se hissa à demi hors de la baignoire, découvrant un corps musculeux et empâté, où la mousse s’accrochait à des touffes de poils noirs. Ses petits yeux allaient de Malko à Bill Hodges avec une haine indicible. Au moins égale à celle de l’Irlandais. Ce dernier se pencha en avant.
— Enculé, fit-il, motherfucker d’Arabe. C’est moi qui vais te crever tout de suite. Tu te souviens de Yassira ? C’est moi qui la baise. Et Seti ? La petite que tu as fait tuer ? Je vais te faire sauter la tête.
Il écumait. Malko se rendit compte qu’il ne se contrôlait plus. Et qu’il allait tuer le Libanais. Celui-ci le réalisa aussi et tourna la tête vers Malko.
— Il est fou votre copain ! Calmez-le. Je ne sais pas de quoi il parle.
Sa voix n’était plus qu’un croassement. Il avait peur. Vraiment. Souvent confronté à la violence, il savait la reconnaître… Malko saisit le canon du riot-gun et l’écarta.
— Nous avons à parler, mister Labaki. Allons dans votre bureau.
Sous le regard grinçant de haine de Bill, le Libanais sortit de sa baignoire et s’enveloppa dans un peignoir blanc monogrammé de fils d’or. L’autre porte donnait dans sa chambre, d’un luxe inouï, une moquette haute laine d’un blanc immaculé servait d’écrin à un magnifique lit corolle King Size habillé de soie mauve. Le tout signé Claude Dalle. Dans un coin, un empilement de télés Akaï et de magnétoscopes. Plus une radio émettrice. La moquette épaisse sur laquelle étaient jetés des tapis étouffait le bruit des pas… Malko ferma à clef. Toutes les portes étaient en bois de fer, incrochetables.
Ils pénétrèrent dans le bureau. Somptueux. Des boiseries partout et une grande baie vitrée dominant les collines, avec vue sur la baie de Freetown. Des lampes en cuivre rappelaient le Liban, des photos partout, de Labaki avec tout ce qui comptait en Sierra Leone. Plus une avec Nabil Beri, le leader chiite d’Amal.
— Regardez ! cria l’Irlandais.
Il brandissait une photo de Khomeiny en train de serrer la main de Karim Labaki qui semblait minuscule à côté de lui.
— Salope !
Il jeta la photo à terre et la piétina dans un bruit de verre brisé. Karim Labaki ne broncha pas. Le téléphone sonna et il décrocha, écouta quelques secondes avant de raccrocher. Il se tourna alors vers Malko.
— Ce sont mes gardes. Ils se sont réveillés trop tard et je les punirai. Je sais maintenant comment vous êtes entrés ici. Seulement, la sortie ne sera pas aussi facile. Vous feriez mieux de poser vos armes et de vous rendre… Nous pourrions trouver un terrain d’entente…
Bill Hodges fit un pas vers lui, avant que Malko ne puisse répondre, les yeux fous…
— Il n’y a pas de sortie pour toi, salope…
Karim Labaki tourna la tête vers Malko.
— Je voudrais vous montrer quelque chose.
— Allez-y, dit Malko, sans le quitter du canon de son arme.
Le Libanais prit une clef sur son bureau et marcha vers une des boiseries. Il écarta le panneau, découvrant un gigantesque coffre-fort. Il l’ouvrit légèrement, interdisant de voir à l’intérieur. Puis, d’une voix très calme, il annonça :
— J’ai ici plus de deux millions de dollars. Et des diamants qui en valent trois fois autant. Prenez-les et partez.
Au même moment, des coups violents furent frappés à la porte et une voix cria :
— Mister Labaki, on a prévenu le CID ! Ils arrivent.
Le Libanais eut un éclair de joie dans le regard, mais ce fut sa seule réaction. Indécis, Bill Hodges ne bougeait plus. Malko sentit que la situation allait lui échapper. Il n’était pas venu faire un hold-up, mais récupérer des terroristes. Il sentait que le Libanais reprenait du poil de la bête et gagnait du temps. Dans une demi-heure au plus, la résidence serait cernée et Malko se trouverait dans une situation impossible.
Karim Labaki insista d’une voix volontairement douce :
— Prenez ces dollars et fichez le camp. Je vous accompagne dehors. C’est un regrettable malentendu… Je ne connais aucun terroriste.
Malko fit un pas vers le coffre, posa la main sur la lourde porte. Les traits de Karim Labaki se détendirent imperceptiblement.
— Vous êtes un homme intelligent, fit-il.
Au Liban, tous les conflits pouvaient se régler avec de l’argent… Seuls les imbéciles mouraient. Malko le fixa de ses yeux dorés, froids comme la mort et rabattit la porte à toute volée.
Sur la main du Libanais.
Le hurlement du Libanais fit trembler les vitres. La porte du coffre-fort devait peser deux cents kilos. La main droite coincée entre les deux battants d’acier, le souffle coupé par la douleur, il tira de la main gauche avec précaution la lourde porte, dégageant son autre main. Son regard tomba sur les phalanges écrasées qui gonflaient déjà.
Karim Labaki tituba jusqu’au fauteuil de son bureau et s’y écroula. Le teint crayeux, il contempla sa main, eut une espèce de hoquet, son regard chavira et il se tassa sur son siège, la tête sur la poitrine.
Évanoui.
Bambé le contemplait, horrifiée. Les coups dans la porte du bureau redoublèrent. La voix du secrétaire cria à travers le battant :
— Salauds ! Qu’est-ce que vous lui faites ?
Karim Labaki gémit, se redressa un peu, poussa un cri de douleur, se tourna et vomit sur le Kirman bleu de dix millions de francs qui était sous ses pieds. Ses dents s’entrechoquaient. Il n’arrivait plus à articuler, les yeux pleins de larmes. L’Irlandais l’observait avec un sourire mauvais. Malko s’approcha de lui et il hurla :
— Ne me touchez pas !
Sa main écrasée tournait au violet, tous les vaisseaux rompus la transformaient en un énorme hématome. Son beau peignoir blanc était maculé de vomi et une aigre odeur flottait autour de lui.
— Mister Labaki, précisa Malko, je ne suis pas venu chercher de l’argent. Je veux les deux hommes que vous hébergez : Nabil Moussaui et Mansour Kadar. Tout de suite.
Karim Labaki parvint à essuyer les larmes de douleur avec sa main gauche et fixa Malko. Il avait repris sa dureté.
— Je ne sais pas de qui vous parlez, fit-il.
Ils s’affrontèrent du regard. Malko voyait les muscles de la mâchoire du Libanais trembler sous l’effort qu’il faisait pour se contrôler.
Les coups continuaient dans la porte, gardée par Bill Hodges. La situation ne pourrait pas s’éterniser. Il était déjà peut-être trop tard pour récupérer les deux terroristes. Comme le Libanais demeurait silencieux, Malko saisit de la main gauche le poignet de sa main blessée, l’appliquant sur le bureau. Karim Labaki émit un hurlement de porc qu’on égorge.
De la main droite, Malko prit un lourd presse-papier, une grenouille en malachite, et le brandit au-dessus des doigts noirâtres aux articulations brisées.
— Je vais vous écraser les os jusqu’à ce que vous parliez, annonça-t-il d’une voix glaciale.
Évidemment, ce n’était pas dans le code des samouraïs. Mais deux ou trois cents personnes qui sautent avec un avion, non plus.
Le Libanais s’accrocha à Malko de sa main valide, tentant de le repousser.
— Arrêtez ! Ils ne sont plus ici.
Читать дальше