La fonda se composait de quatre bâtiments en carré avec un patio au milieu. Quelques palmiers rachitiques encadraient un jet d’eau épuisé depuis longtemps. Les chambres ouvraient là, sur la chaleur entassée dans cette cour fermée. Il y avait d’autres clients misérables, à plusieurs dans les chambres, et qui cuisinaient dans le patio. On ne savait pas ce qu’ils attendaient, de quoi ils vivaient, mais le soir, ils prolongeaient jusqu’à minuit de longues conversations bercées par une guitare malhabile.
— Mais qu’attendent-ils ? demandait Marcus au patron de la fonda, un nommé Arapel.
— Du travail.
— Quel travail ?
— La récolte du sel, la pêche, l’embauche dans les grandes fincas. De temps en temps, l’un d’eux réussit à se caser, et c’est du bonheur pour tout le monde. Il y a aussi le pétrole. Lorsqu’on fore un autre puits, ils partent tous, gagnent en quelques semaines de quoi vivre six mois et puis ils attendent à nouveau.
— C’est pas très intéressant pour vous ?
— Si, l’un dans l’autre, je m’en tire. Vous croyez que mes chambres seraient occupées, sinon ?
— Huchi embauche ?
Le visage brun d’Arapel semblait encore foncer. Il n’aimait guère parler du transporteur.
— Quelquefois, lorsqu’il connaît bien. Mais, ici, peu voudraient travailler pour lui.
— Et pourquoi ?
— C’est comme ça.
Il se butait, et on ne pouvait plus rien en tirer. On les considérait avec méfiance parce qu’ils parlaient d’Huchi et attendaient son retour.
— C’est Mc Honey qui nous envoie, expliquez-le-lui dès qu’il rentrera, avait répété deux fois Kovask au secrétaire.
— Oui, señores. De la part de Mc Honey. Je m’en souviendrai.
— Notez-le.
— Pas la peine, señores. Je me souviendrai. Ils étaient repassés deux jours plus tard.
— Oui, señores, de la part de Mc Honey, mais mon patron n’est pas encore rentré. Il a téléphoné qu’il s’attardait encore à Bogota. Il prendra l’avion pour Barranquilla.
Puis il leur avait crié :
— Inutile de repasser. Dès qu’il saura, il décidera lui-même. Moi, je ne peux rien pour vous.
Tandis qu’Arapel leur servait un énorme poisson grillé accompagné d’une sauce tomate explosive, Marcus singeait le petit secrétaire de Huchi :
— Moi, je ne peux rien pour vous, mais cet imbécile est bien capable de bouffer la consigne. Nous aurions dû lui laisser dix ou vingt dollars.
— Il se serait vexé.
— Penses-tu ! Ila l’œil cupide, et je me trompe rarement.
— Retournes-y, ce soir. Marcus grimaça.
— Pour me faire sortir… Mais on peut toujours essayer. Il y avait une jolie dactylo, dans un coin, et qui avait l’air de s’ennuyer terriblement.
Du patio leur parvenaient des pleurs de gosses et les cris des mères. Mais, dans quelques instants, la sieste apporterait deux ou trois heures de calme merveilleux. Le meilleur moment pour se reposer, les nuits étant plus bruyantes. Après les discussions du patio jusqu’à minuit, c’étaient les pêcheurs qui embarquaient et mettaient en route d’antiques moteurs à un cylindre qui martelaient la région durant des heures. Sans parler des lucioles qui tournoyaient dans la chambre en jetant des lueurs affolées. Mais il n’y avait pas de moustiques. Le pétrole abondait et on en avait recouvert tous les marécages.
Allongé sur son lit, Kovask regardait les mouches se traîner au plafond. Pas de moustiques, mais des mouches en grande quantité. Il avait tellement pulvérisé d’insecticides que les murs en étaient imprégnés et que les mouches s’y empoisonnaient rapidement.
Il sommeilla quelques instants. Marcus, dans sa chambre, ronflait plus carrément. La portière qui claqua alerta Kovask qui se dressa sur un coude. Puis il y eut quelques paroles échangées avec Arapel. Le Commander s’assit, alluma une cigarette, les yeux braqués sur le patio.
Le premier portait un veston de toile, ce qui était déjà surprenant avec cette chaleur. Sa main était glissée à l’intérieur comme pour y prendre un portefeuille. Il regarda autour de lui avec attention, puis se dirigea vers les chambres. Le second apparut à son tour, également habillé d’un veston, mais il s’immobilisa.
Celui qui entra regarda Kovask dans les yeux. Il était brun naturellement, le menton fuyant.
— C’est vous qui voulez voir Huchi ? Kovask inclina la tête.
— Pourquoi ?
— Je le lui dirai, moi-même.
— Votre copain ?
— Dans la chambre voisine.
— Dites-lui de venir.
Il se plaça de telle façon qu’il pouvait surveiller la porte-fenêtre et le lit.
— Il ne va pas m’entendre. Frappez au mur. Il n’est pas très épais.
L’autre le regarda d’un air courroucé, puis s’exécuta. Marcus réagit vite et apparut en se frottant les yeux. Ses mains s’immobilisèrent de chaque côté de son visage en découvrant le visiteur.
— Oh ! De la visite ?
— Huchi veut nous voir.
— Eh bien, on y va !
— Un instant, fit le visiteur.
Il fouilla Kovask, puis Marcus, leur fit signe de sortir. Son copain, posté de l’autre côté du patio, s’engouffra dans la salle du restaurant. Le patron et les serveuses, en train de nettoyer, s’étaient figés et attendaient leur départ pour continuer. Kovask fit un clin d’œil à Arapel qui resta impassible. Huchi devait avoir une sale réputation dans la région pour que son seul nom provoque de telles paralysies.
— Embarquez, l’un devant, l’autre derrière. Le chauffeur, un Noir, attendait au volant en se limant les ongles.
— Chouette, la Cadillac ! dit Marcus.
Il s’étala sur la banquette arrière avec un sourire béat.
— Climatisée, hein ?
Il faisait presque froid à l’intérieur de la voiture. Les deux gardes du corps s’installèrent et la Cadillac démarra en douceur en direction de San Antonio.
Le voyage fut silencieux. La grosse voiture pénétra dans l’entreprise par une porte latérale, se dirigea droit vers un atelier désaffecté.
— Venez, dit Menton-Fuyant.
L’autre, doté d’une sensationnelle paire de moustaches, fermait la marche. Ils escaladèrent un escalier de fer, pénétrèrent dans un corridor très frais. Après avoir frappé à une porte en bois noir faisant contraste avec le mur blanc, Menton-Fuyant s’effaça pour les laisser entrer dans un bureau de belle taille, meublé de façon stricte. Un homme vêtu d’un complet blanc, chauve, le visage maigre, les fixait de ses yeux sombres.
— Laisse-nous, Pedro.
Pedro referma la porte derrière eux. Huchi sourit poliment.
— Je suis rentré cette nuit d’un long voyage dans la capitale et ce n’est que ce matin que mon secrétaire m’a transmis votre message. Veuillez vous asseoir.
Ils prirent possession des deux chaises hautes de dossier qui les attendaient.
— Venez-vous vraiment de la part de Mc Honey ?
Kovask secoua la tête.
— Non, mais on nous a dit de nous recommander de ce nom.
— Qui, on ?
— Un Anglais nommé Rowood. Nous travaillions à la Marginale, côté Venezuela, et puis nous avons eu quelques difficultés avec un Américain nommé Roy. L’Anglais, un certain Rowood, nous a dit que vous embauchiez des camionneurs possédant un véhicule. Il nous a donné votre adresse et nous sommes arrivés il y a quatre jours.
— Quelles difficultés avez-vous eues avec Roy ?
Les deux amis restèrent immobiles, mais la facilité avec laquelle Huchi utilisait ce prénom laissait entendre que les deux hommes se connaissaient très bien.
— Je crois que Roy se méfiait de nous. Nous venions du Guatemala et nous avions eu des difficultés avec les Américains. Finalement, je ne sais s’il nous a pris pour des Castristes ou des provocateurs, mais nous avons été obligés de partir, mais pas aussi vite qu’il le souhaitait.
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