Le Vénézuélien eut un haut-le-corps en se heurtant à Rowood.
— Oh ! excuse… Je viens de pisser.
Puis son expression se bouleversa, exprima une terreur folle lorsqu’il se sentit happé par le col de sa chemise. Kovask l’obligea à lui faire face, essuya sa main gluante de la transpiration de Martinez à son pantalon.
— Qu’as-tu raconté à Roy sur nous ?
— Moi ? Mais, rien du tout… Roy…
— Rowood, voulez-vous aller chercher un cric ? Il doit y en avoir un dans le coffre, là, tout près. Taille moyenne suffira.
— Ecoutez, je vous jure… Je ne connais pas Roy… Juste un ami commun à Caracas… Une fois, on a bu un verre et…
— Où est Marcus Clark ? Depuis la tombée du jour, tu me fuis. Tu as attendu que je me sois arrêté de tourner pour le faire. Mais avant ?
Rowood revenait, balançant un cric à losange déformable.
— A ta disposition, Kovask. J’ai un bras valide.
— Prends un pneu de bull, un réformé. Tu sépares les deux lèvres et tu mets un coin. Tu recommences un peu plus loin.
— D’accord.
Martinez essaya de fuir, mais la main de Kovask le cloua contre la pile des autres pneus.
— Doucement. Où est Marcus ?
— Je ne peux pas te dire… J’ai roulé tard, ce soir… Je suis ton ami, voyons !
— Tu nous espionnais. L’Anglais se tourna vers eux :
— C’est prêt. Mais réfléchis. Il est arrivé en même temps que vous, ce zèbre-là.
— Justement. On avait l’œil sur nous depuis le Guatemala, hein ? Mais parle, nom de Dieu !
— Je n’ai rien fait… Je travaillais dans l’Orénoque… Je suis venu ici parce que je n’avais plus de travail là-bas. Kovask le tira jusqu’au pneu géant dont les lèvres béaient sur un bon arc de cercle.
— On va te fourrer là-dedans, puis on enlèvera les coins. Tu ne pourras plus les écarter tout seul ; même si tu as un couteau dans la poche, tu l’useras avant d’avoir creusé un trou suffisant.
— A moi ! … Je…
Il lui colla une main sur la bouche, approcha la sienne de l’oreille poilue de Martinez :
— Ferme-la ! On va hisser le pneu dans mon G.M.C. et, moi, je file avec vers San Cristobal. Il paraît que c’est là-bas que Roy a emmené mon ami. En route, je te balance au fond d’une gorge. Tu finiras bien par y crever et personne ne te retrouvera.
Se tournant vers l’Anglais :
— Garde-le, je vais chercher le camion.
En moins d’une minute, il s’approchait des tas de pneus. Il ne voulut pas que Rowood reste là.
— Moi seul… En cas de coup dur, ce sera préférable.
D’un crochet, il assomma Martinez, le fourra à l’intérieur du pneu et fit sauter les coins à coups de pied, avec beaucoup de peine. Pour charger le pneu dans la benne, il dut incliner cette dernière, appuyer le pneu contre, courir inverser le vérin et pousser de toutes ses forces pour l’empêcher de glisser.
Lorsqu’il s’installa au volant, il n’y voyait plus rien, la sueur emplissant ses yeux. A tâtons, il chercha le linge de toilette toujours à poste et s’essuya. Après quoi, pied au plancher, il quitta le camp par la seule route conduisant vers le nord, vers Maracaïbo. Il ne savait pas très bien où tout ça le conduirait, mais, avant tout, il lui fallait retrouver Marcus. Tant pis si Martinez était innocent et souffrait pour rien en ce moment. Quant à Roy… Même s’il appartenait réellement à la C.I.A., il aurait sa peau, même s’il devait avoir ensuite tous les tueurs de Langley à ses trousses. Il évita soigneusement de penser à son chef, le commodore Gary Rice, qui attendait avec angoisse qu’ils réussissent cette mission.
La route ne s’était pas améliorée depuis leur arrivée et le G.M.C. sautait en l’air à tout instant, retombait lourdement sur ses roues dans un fracas terrible. A l’arrière, l’énorme pneu qui emplissait toute la benne pesait lourdement lorsque le véhicule décollait ainsi, et, à plusieurs reprises, Kovask put voir son capot se soulever dangereusement. Il sourit cruellement en pensant à Martinez qui devait croire à chaque instant sa dernière heure arrivée. Le caoutchouc trop dur ne devait pas tellement le protéger des chocs. A plusieurs reprises, le Commander crut entendre des cris ou des appels, mais il continua à la vitesse maximale. Mais il ne pensait pas être obligé d’aller jusqu’à San Cristobal. Rowood avait raison. Roy lui avait tendu certainement un piège et l’attendait à l’endroit le plus désert, là où la route traversait la sierra de Merida.
Lorsqu’il longea un ravin, il stoppa, tira son frein à main, mais laissa tourner le moteur. Une torche électrique à la main, il monta dans la benne. Le rayon lumineux se posa sur deux mains exsangues qui sortaient des lèvres du pneu, Pourtant, Martinez avait le teint presque noir.
— Alors ? Tu as compris que je ne plaisantais pas ?
— Amigo, je te jure… Je ne comprends pas pourquoi…
— Nous sommes au bord d’un ravin. Je vais manœuvrer et puis enclencher le vérin de levage. Tu glisseras doucement, et puis le pneu se mettra à rouler. Il y a bien cinquante mètres jusqu’en bas. Tu pourras gueuler à ton aise dans ta cage de caoutchouc, personne ne viendra te chercher là en bas.
— Amigo… Que le sang de ma mère me retombe…
Kovask n’entendit pas la suite. Il sauta à terre, passa le bras par la portière ouverte. La benne commença de se détacher du châssis très lentement.
— Même pas besoin de reculer, cria-t-il… Le pneu rebondira en tombant et je n’aurai qu’à le pousser avec la main. Adios, Martinez !
L’autre se contint jusqu’à ce que le pneu commence à glisser.
— Non… Je vais te dire, arrête tout !
— Tu as vraiment quelque chose à me dire ? Tu ne m’arrêtes pas pour rien ?
Le pneu glissa encore de quelques centimètres tandis que des restes de terre séchée roulaient.
— Oui… Je vous attendais à Maracaïbo… Deux étrangers venant du Guatemala avec leur G.M.C. sur un cargo suspect… Facile. Il fallait que je vous surveille. Vous n’étiez peut-être que des agents de liaison avec les castristes des deux pays.
Kovask ricana. Leur couverture avait été si habilement fabriquée que même la C.I.A. s’y était laissée prendre.
— Tu appartiens à la C.I.A. ?
— Oui. Mais, par pitié, arrête ce système.
— J’arrête, mais je n’inverse pas. Tu sais ce que ça veut dire.
Lorsqu’il revint, Martinez haletait fortement.
— J’étouffe, là-dedans… Il faudra me sortir vite, car l’air me manque.
La torche éclairait un œil exorbité entre les deux mains qui s’agitaient comme des algues.
— Roy ?
— C’est le grand patron de la C.I.A. pour toute cette zone. Je lui ai dit que vous vous intéressiez aux guérilleros… ! Et puis, aujourd’hui, Marcus discutait avec l’Anglais de la piste secrète « Fidel Castro ». J’ai entendu par hasard.
— Tu avais quitté la ronde ?
— Un moment, pour faire le plein. Et puis, j’ai eu l’idée de venir écouter. J’ai prévenu Roy. Il m’a dit qu’il allait voir ce que vous aviez dans le ventre tous les deux.
— Alors ?
— Je crois qu’il vous attend sur la route de San Cristobal… Pas très loin d’ici. Il y a une sorte de défilé, et puis la route escarpée. Le piège est là-bas, à la sortie du défilé.
— Il veut nous liquider sans savoir qui nous sommes exactement ?
Martinez n’en pouvait plus, et sa respiration était sifflante.
— C’est un homme brutal qui ne s’embarrasse pas de précautions.
Kovask se demanda s’il n’y avait pas autre chose. Le géant se faisait deux mille dollars de boni chaque jour. Peut-être craignait-il d’être espionné à son tour par un autre service secret américain ? La D.I.A., par exemple, ou le F.B.I., qui n’étaient guère portés à se montrer très tendres en pareil cas.
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