— Viens, on remonte.
Elle le regarda, ébahie.
— On vient juste d’arriver. Remonte si tu veux, j’ai envie délire…
— Tu remontes aussi, dit Malko avec fermeté, je t’expliquerai.
Boudeuse, Irina sortit enfin du Jacuzzi et fila vers le vestiaire. Ils se retrouvèrent devant l’ascenseur, mais c’est seulement dans la cabine que Malko expliqua ce qui venait de se produire.
— L’homme qui était à côté de nous était là pour me tuer. Sans ta présence, il l’aurait fait.
— Mais comment ? Il n’avait pas d’arme.
— Si. Un faux stylo Montblanc, en réalité un projecteur de cyanure.
Irina pâlit.
— My God ! C’est horrible. Qu’est-il devenu ? Tu l’as laissé en bas ?
— Non. Il est mort. J’ai voulu le désarmer et, accidentellement, il a déclenché lui-même le mécanisme qui a libéré le poison.
À peine dans sa chambre, Malko appela Donald Red-stone et le mit au courant.
— Je l’ai laissé là où il était, annonça-t-il. Je pense que l’on conclura à un arrêt cardiaque, l’odeur du cyanure s’estompe très vite. Donc, je ne risque pas de problème. Mais je suis intrigué. J’avais déjà croisé cet homme à l’hôtel et il n’a rien tenté contre moi. Pourquoi aujourd’hui ?
— Vous avez une idée ?
— Pas vraiment, avoua Malko, sauf que je représente un risque aux yeux de ceux qui veulent toujours éliminer Viktor louchtchenko. Cette tentative de meurtre signifie deux choses à mes yeux. D’abord, qu’on va encore essayer de supprimer le candidat à la présidentielle, ce que m’a confirmé Alexei Danilovitch. Ensuite, que ceux qui se préparent à le faire ignorent qu’ils ont été trahis, et que nous sommes au courant. De toute façon, j’espère avoir d’autres informations par Alexei Danilovitch.
Après cette conversation, il ôta son peignoir et alla prendre une douche. Irina Murray le rejoignit. L’incident l’avait choquée et elle secoua la tête.
— J’admire ton sang-froid, on vient d’essayer de te tuer et tu ne réagis pas.
Malko eut une esquisse de sourire.
— Ce n’est pas la première fois et je suis vivant ! C’est ce qui compte.
* * *
Nikolaï Zabotine n’avait pas bougé de son bureau depuis le matin. L’ambassade était fermée le dimanche, il jouissait d’une parfaite tranquillité pour gérer plusieurs choses en même temps, qui étaient supposées s’enchaîner dans un rythme harmonieux. Si tout se passait bien, la nuit prochaine, il quitterait Kiev, sa mission accomplie, et laisserait d’autres personnes gérer sa victoire. Il n’était pas du genre à quêter des compliments et, de plus, Moscou lui manquait. Il avait hâte de retrouver son petit appartement, d’aller acheter à sa poissonnerie habituelle du caviar rouge de la presqu’île de Sakhaline et de le déguster sur du pain noir avec un peu de bonne vodka. Avant d’aller au Bolchoï ou au cinéma. Sa vie sexuelle était depuis longtemps réduite à peu de chose. Non qu’il n’aimât pas les femmes, mais il donnait difficilement sa confiance. Sa dernière aventure datait d’un an, avec Natalya, une des secrétaires du Kremlin qui s’était jetée à sa tête. Plutôt séduisante, pas très futée, Nikolaï s’entendait bien sexuellement avec elle, mais Natalya avait très vite dévoilé ses batteries : elle voulait se marier. Donc, Nikolaï était retourné au caviar rouge…
Il regarda la pendule en face de lui. Midi. Alexandre Peremogy aurait dû donner signe de vie, pour fixer un rendez-vous afin de lui rendre le stylo et de lui faire le compte-rendu de son action…
Peut-être avait-il eu un contretemps ? Nikolaï Zabotine ne s’inquiétait pas. Alexandre Peremogy avait toute sa confiance. Il décida de se restaurer un peu et sortit du réfrigérateur des harengs et des pommes de terre, puis remplit un petit verre de vodka et ouvrit une bière.
À une heure, Alexandre Peremogy n’avait toujours pas téléphoné. Nikolaï Zabotine se dit qu’il allait falloir modifier légèrement le cours des événements. Il avait une façon très simple de s’assurer si l’ancien du SBU avait rempli sa mission. Il prit un autre portable, ukrainien, et appela un autre de ses collaborateurs.
— Appelle-le ! dit-il simplement. Annonce-lui des informations pour tout à l’heure. Et rappelle-moi.
— Dobre, fit simplement son interlocuteur.
Lui avait une tâche précise à accomplir et ignorait le reste. Le cloisonnement. Nikolaï Zabotine se reversa un verre de vodka. Le ciel était gris et bas, il allait neiger. De rares voitures passaient sur l’avenue. Le magasin de meubles, en face, était fermé.
* * *
Le portable de Malko sonna, l’arrachant à la contemplation de CNN. Irina, elle, prenait un bain. Son pouls grimpa en entendant la voix de l’homme annoncer :
— Alexei Danilovitch, 29. C’était son correspondant du SBU.
— Vous avez du nouveau ? demanda Malko.
— J’en aurai tout à l’heure, annonça son correspondant. Je voulais m’assurer de la liaison.
— Dobre, approuva Malko. Quand vous me rappellerez, vous serez 108.
— Dobre, 108, répéta l’homme.
Malko allait se remettre à CNN quand une question insidieuse s’infiltra dans son cerveau.
Pourquoi l’agent du SBU avait-il téléphoné pour ne rien dire ? Ce n’était pas le genre de la maison…
* * *
— J’ai fait ce que vous m’avez demandé, annonça l’Ukrainien à Nikolaï Zabotine. Il m’a donné un nouveau code pour le rappeler.
— Spasiba, remercia le Russe.
Perplexe. Si l’agent de la CIA était toujours vivant, c’est qu’Alexandre Peremogy n’avait pas mené à bien sa mission. Il était presque deux heures. La limite avait été fixée à une heure. Angoissé, le Russe abandonna son bureau, enfila son manteau de cuir et coiffa sa casquette. Il devait savoir ce qui était arrivé. Et surtout, récupérer le stylo qui pouvait constituer une accablante pièce à conviction. Seuls quelques grands Services fabriquaient ce matériel.
Il se fit ouvrir par l’agent du FSB chargé de la sécurité de l’ambassade et se glissa au volant de sa Lada anonyme. Il fonça au domicile d’Alexandre Peremogy. Il eut beau frapper et sonner, personne ne répondit. De plus en plus perplexe, il s’installa dans sa voiture juste en face et attendit. Une heure plus tard, quelque chose lui dit que Peremogy ne reviendrait pas. Pour en avoir le cœur net, Nikolaï Zabotine prit le chemin du boulevard Tarass-Sevchenko.
En s’arrêtant devant le Premier Palace, il eut un petit choc. Une ambulance était arrêtée devant la porte, ses gyrophares bleus tournant silencieusement.
Il attendit un peu pour sortir de sa voiture, rassuré. Alexandre Peremogy avait enfin rempli sa mission. Il descendit et se dirigea vers l’entrée de l’hôtel, lançant au passage au portier :
— Qu’est-ce qui se passe ? Il y a eu un accident ?
Le portier chamarré hocha la tête.
— Tak. Un homme a eu une crise cardiaque au bord de la piscine.
— C’est grave ?
— Oui, plutôt. Il est mort. Tiens, voilà le corps.
Deux brancardiers descendaient l’escalier, portant une civière sur laquelle était attachée une forme humaine. Nikolaï Zabotine, en bon orthodoxe, se signa ostensiblement et lança à un des infirmiers :
— J’avais rendez-vous ici avec un ami. Je voudrais être certain que ce n’est pas lui.
L’infirmier, indifférent, souleva un coin du drap blanc qui recouvrait le visage du mort. Nikolaï Zabotine sentit le sol se dérober sous ses pieds. Alexandre Peremogy semblait dormir.
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