Gérard de Villiers - A l'ouest de Jérusalem

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A l'ouest de Jérusalem: краткое содержание, описание и аннотация

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— Pourquoi voulez-vous qu’elles vous mangent ? demanda Malko du ton le plus calme possible.

— Il y a des années que j’essaie de me suicider, répondit très sérieusement le docteur. Ne bougez pas ou je saute. On ne me prendra pas vivant.

— Personne ne veut vous prendre, fit Malko. Je veux seulement savoir où se trouve Kitty Hillman.

L’autre fit comme s’il n’avait pas entendu. Malko répéta :

— Docteur Babor, qu’avez-vous fait de Kitty Hillman ?

Cette fois, le médecin, toujours en équilibre sur le bord du bassin, répéta lentement :

— Kitty Hillman ? Je ne sais pas. Il y en a eu tellement… Brusquement, le visage tordu de haine, il hurla :

— Il faut les tuer, toutes, toutes ! Je les hais.

Il se calma. Subitement. Malko et les gorilles n’avaient pas bougé. Toute la scène avait quelque chose d’oppressant, de cauchemardesque. Malko dut se forcer pour répéter sa question :

— Où est Kitty Hillman, la jeune fille que vous avez enlevée il y a une semaine dans la clinique du docteur Soussan ?

Karl Babor eut une moue ironique :

— Ach, je vois, vous êtes les Américains ! Amusant, nicht war ? Vous cherchez la petite blonde ? Elle est partie, pfutt !

Une lueur de folie dans les yeux, il narguait les trois hommes. Sur l’air de Lili Marlène, il commença à chanter d’une voix affreusement fausse : Wohin ist Kitty, Vor die grossen Tür… C’en était trop pour Chris. Il sortit son Colt magnum et l’arma. Le docteur Babor vit le geste. D’un mouvement théâtral il écarta les deux bras et cria :

— Tirez. Mais tirez donc.

Il y avait quelque chose de si désespéré dans sa voix que Malko en frissonna. Quel était le terrifiant secret de cet homme qui appelait la mort de toutes ses forces ?

Malko hésitait. Soudain, le docteur Babor tituba, recula, les épaules affaissées, prêt à s’effondrer.

En un clin d’œil les gorilles furent sur lui. Mais il ne chercha même pas à lutter, et leva un regard atone sur Malko en murmurant :

— Ils m’ont laissé. Ces Arabes sont des chiens. Des… il chercha le mot – des unterhund – des sous-chiens. Lâches et peureux. Et cela fait seize ans, monsieur, que je suis avec eux, que je subis leur contact ignoble.

L’expression de son visage avait changé : il s’attendrissait sur lui-même. Il regarda Malko avec un intérêt nouveau et demanda :

— Vous êtes Allemand ?

— Autrichien.

— Vienne est une belle ville, remarqua le docteur, très mondain.

— Docteur Babor, répéta Malko toujours en allemand, où se trouve Kitty Hillman ?

Il y eut un silence interminable. Cette fois le docteur ne se mettait pas en colère.

Une lueur rusée passa dans ses yeux gris. Il attrapa Malko par le revers de son veston et lui souffla dans une haleine de whisky :

— Si je vous le dis, vous me ferez une petite faveur, mon cher camarade ?

Malko le regarda froidement. Faire une faveur à l’homme qui avait torturé Kitty Hillman était au-dessus de ses forces.

— Que voulez-vous ?

Babor se pencha encore plus et dit d’un ton suppliant :

— Que votre ami me tire une balle dans la tête… Je vous ai dit que j’aimais mes bêtes, mais elles me font peur au fond, et puis ce n’est pas propre…

— Mais…

Babor leva l’index.

— Attention, pas de faveur, pas de Kitty…

La scène aurait été grand-guignolesque s’il n’y avait eu cette atroce lueur de désespoir dans les yeux de l’homme. Malko sentit qu’il ne bluffait pas. Il voulait vraiment mourir. Et l’on n’a aucun moyen de pression contre quelqu’un qui veut mourir.

— Est-ce vous qui avez amputé Kitty Hillman, demanda-t-il ? Babor eut un geste désinvolte.

— Petite opération ! Dix minutes. J’étais très habile, avant… Malko le regarda avec dégoût puis dit :

— D’accord, docteur Babor. Vous aurez votre faveur. Où est Kitty ? Babor le regarda, très grave tout à coup et dit :

— Merci. Elle se trouve maintenant en Sardaigne, dans la propriété de l’émir…

— Mais comment l’ont-ils embarquée ? Le docteur eut un rire aigrelet.

— Dans une malle. C’est une idée d’Aziz.

Maintenant, il semblait très détendu, parlait d’une voix normale. Seuls ses yeux démesurément agrandis inquiétaient.

— Qui est Aziz ?

— Une ordure égyptienne venue pour superviser l’opération. Ces unterhund n’ont même pas confiance les uns dans les autres.

Il était intarissable, maintenant, le bon docteur Babor. Ses yeux brillaient de mépris en parlant de ses amis arabes.

— À quelle opération faites-vous allusion, docteur ? demanda Malko. L’Allemand émit un petit rire satisfait :

— Une idée des Services spéciaux égyptiens. La guerre contre Israël n’est pas finie, mon cher. Mais je ne vous en dirai pas plus, ce n’est pas dans nos conventions.

L’Egypte ! Brutalement, Malko comprit. Il examina attentivement les traits de son interlocuteur. En même temps, d’autres visages défilaient dans sa prodigieuse mémoire. Comme tous les agents de la C.I.A., il avait eu devant les yeux les photos des criminels de guerre en fuite, les plus importants. Seulement, lui ne les avait pas oubliés. Il suffisait qu’il voie un visage dix secondes pour s’en souvenir dix ans après. Il passait et repassait dans son cerveau des visages, tout en fixant celui de son vis-à-vis. Et soudain, le déclic se fit :

— Vous vous appelez Heinrich Weisthor, dit Malko. Vous étiez médecin SS à Birkenau, n’est-ce pas ?

L’Allemand leva ses yeux atones sur lui et répondit machinalement.

— Jawohl.

Comme si c’était la fin d’un long supplice.

Il y eut un grand silence. L’humidité qui venait du lac de Genève fit frissonner Malko. L’homme qui se tenait devant lui, au centre de cette pelouse impeccable, était recherché depuis vingt-deux ans. Pour des crimes tellement atroces qu’ils défiaient l’imagination. Sa fiche revenait à la mémoire de Malko : Weisthor avait été un des grands spécialistes des exterminateurs scientifiques de jumeaux.

— Alors ? fit l’Allemand d’une voix soudain anxieuse. Malko s’écarta légèrement de lui.

— J’avais promis de tuer le docteur Karl Babor, dit-il, pas Heinrich Weisthor. Vous ne m’appartenez pas.

Déjà, il faisait demi-tour, suivi des deux Américains qui n’avaient rien compris. Une seconde, l’Allemand demeura immobile. Puis il fit un pas en avant, franchit le rebord du bassin et pataugea lentement dans l’eau boueuse, marchant vers ses chers crocodiles. Lorsqu’il eut de l’eau à la poitrine, il s’arrêta et attendit.

En tournant le coin de la maison, Malko se retourna. Il vit Heinrich Weisthor dans l’eau. Presque aussitôt un cri inhumain fit sursauter les trois hommes. Une seconde la tête du docteur surnagea, puis il disparut dans un bouillonnement glauque.

Ironie du sort : si Kitty était sauvée, ce serait grâce aux milliers de fantômes assassinés par le bon docteur Heinrich Weisthor, vingt-quatre ans plus tôt, au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau.

8

Le petit Fokker « Friendship » se posa dans un nuage de poussière ocre, faisant fuir une douzaine de moutons paisiblement occupés à brouter l’aire d’atterrissage. Chris et Milton ouvrirent de grands yeux et demandèrent à Malko :

— On est en Afrique ou quoi ?

— Non, en Sardaigne. Mais c’est à peu près la même chose. Effectivement l’aéroport d’Olbia se composait en tout et pour tout d’une baraque en bois servant à tous les usages et d’un bout de champ occupé en permanence par un troupeau de moutons, très bien dressés puisqu’ils s’écartaient devant les avions.

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