Hilda sourit.
« Pensez-vous que nous autres, femmes, soyons moins attachées aux biens de ce monde ? » demanda-t-elle.
Lydia haussa ses gracieuses épaules.
« Oh ! vous savez, en l’occurrence, il ne s’agit pas de notre argent… de notre bien personnel. Il existe une nuance ! »
Hilda murmura d’un air pensif :
« C’est une drôle de petite… Je veux parler de Pilar. Que va-t-elle devenir ? »
Lydia soupira.
« Heureusement, elle pourra mener une vie indépendante, grâce à l’héritage de sa mère. Elle n’aurait pu s’accommoder de la situation proposée par Alfred. Elle est trop fière et aussi… trop… trop peu Anglaise, pour accepter de vivre ici et recevoir l’argent de ses toilettes. »
Elle ajouta, rêveuse :
« Il y a quelques années, j’avais rapporté d’Égypte un collier de lapis-lazuli. Là-bas, sous le soleil brûlant, au milieu des sables, il brillait d’un bleu chaud et merveilleux. Ici, le bleu se ternit et le collier perdit tout son éclat.
— Oui, je comprends… »
Lydia dit à sa belle-sœur d’un ton aimable :
« Je suis heureuse de vous connaître enfin, vous et David. Vous avez bien fait de venir tous deux. »
Hilda soupira :
« Pour ma part, pendant ces derniers jours, j’ai bien regretté d’être venue.
— Oui, je sais. Mais rassurez-vous, Hilda. Cette affaire n’a pas ébranlé David autant qu’on aurait pu s’y attendre. Il est si sensible que le choc aurait pu l’anéantir. Au contraire, depuis le meurtre, je le trouve bien mieux… »
Hilda parut troublée.
« Vous aussi, Lydia, vous l’avez remarqué ? C’est pourtant la vérité… »
Pendant un moment, Hilda garda le silence et se rappela les paroles prononcées, la veille encore, par son mari. D’une voix ardente, rejetant en arrière ses mèches blondes, il lui avait dit :
« Te souviens-tu, Hilda, de ce passage de la Tosca … lorsque Tosca allume des cierges à la tête et aux pieds de Scarpia qui vient d’expirer : « À présent… je puis lui pardonner… » Voilà ce que j’éprouve à l’égard de père. Depuis des années, je désirais lui pardonner, cela m’était impossible. Maintenant… je ne lui en veux plus. Ma rancune a disparu. Et je me sens léger comme si on m’avait enlevé un poids des épaules. »
« Parce qu’il est mort ? » lui avait-elle demandé, en proie à une certaine crainte.
Il lui avait répliqué en bégayant un peu :
« Non, tu ne comprends pas. Ce n’est pas parce qu’il est mort, mais parce que la haine stupide qu’il m’inspirait est morte… »
Hilda se rappelait cette conversation avec David.
Elle eût aimé la répéter à la femme sympathique qui se trouvait près d’elle, mais elle crut plus sage de s’en abstenir.
À la suite de Lydia, elle quitta le salon. Dans le vestibule, elles virent Magdalene, debout, devant la table et tenant à la main un petit colis. La femme de George sursauta en apercevant ses belles-sœurs.
« Oh ! voici sans doute l’achat important de M. Poirot, dit-elle. Je viens de le voir poser ce paquet sur la table. Je me demande ce que cela peut bien être. »
Ricanant, elle regarda Lydia et Hilda, mais ses yeux trahissaient une inquiétude et démentaient la gaieté feinte de ses paroles.
Lydia leva les sourcils et dit :
« Je monte vivement me préparer pour le déjeuner. »
Toujours sur ce ton de gaminerie affectée, mais incapable de masquer son anxiété, Magdalene déclara :
« Il faut absolument que j’y jette un coup d’œil ! »
Elle déroula le papier et poussa une exclamation de surprise en regardant l’objet qu’elle tenait à la main.
Lydia et Hilda se retournèrent et ouvrirent de grands yeux.
Magdalen balbutia, intriguée :
« C’est une fausse moustache. Pourquoi ? »
Hilda répondit :
« Pour se déguiser ; mais… »
Lydia acheva pour elle :
« Mais, M. Poirot a une fort belle moustache… bien à lui ! »
Magdalen, refaisant le paquet, dit :
« Je n’y comprends rien. C’est… de la folie. Pourquoi M. Poirot a-t-il acheté une fausse moustache ? »
Pilar quitta donc le salon pendant la discussion qui suivit la lecture du testament de son grand-père. Elle traversait lentement le vestibule, lorsque Stephen Farr rentra par la porte du jardin.
« Eh bien, lui dit-il, la réunion de famille est terminée ? A-t-on lu le testament ? »
Le cœur gros, la jeune fille lui annonça :
« Je n’ai rien… rien du tout ! Ce testament date de plusieurs années. Mon grand-père avait légué une part de son argent à ma mère, mais puisqu’elle est morte, cet argent revient aux autres.
— C’est plutôt dur à digérer, dit Stephen.
— Si le vieux avait vécu, il aurait modifié son testament. Il m’aurait laissé de l’argent, à moi… beaucoup d’argent ! Peut-être que, plus tard, il m’aurait légué toute sa fortune ! »
Souriant, Stephen répliqua :
« Ce qui eût été injuste envers le reste de la famille.
— Mais non… s’il avait fini par m’aimer plus que tous les autres.
— Quelle cupidité, ma chère Pilar ! »
Plus calme, la jeune fille remarqua :
« La vie se montre cruelle envers les femmes ! Elles doivent se débrouiller de leur mieux, tant qu’elles sont jeunes. Lorsqu’elles vieillissent et deviennent laides, on les délaisse.
— Il y a un peu de vérité dans ce que vous dites, mais ne vous tracassez pas, ma jolie Pilar. Les Lee s’occuperont de vous.
— Cette perspective ne me réjouit guère, déclara Pilar, nullement consolée.
— Je comprends votre répugnance à vivre dans ce pays. Pilar, aimeriez-vous habiter l’Afrique du Sud ?
— Oui.
— Là-bas, il y a du soleil et de grands espaces, dit Stéphen, mais on y travaille beaucoup. Êtes-vous solide à la besogne, Pilar ? »
Hésitante, elle répondit :
« Je ne sais pas.
— Vous préférez demeurer assise sur un balcon et manger des bonbons à longueur de journée, n’est-ce pas ? Vous deviendrez énorme et vous aurez un triple menton. »
Pilar éclata de rire.
« Voilà qui est mieux ! déclara Stéphen. J’ai enfin réussi à vous faire rire.
— J’espérais bien rire à Noël, soupira Pilar. Dans les livres, on raconte que les Noëls anglais sont très joyeux. On parle de gâteaux bourrés de raisins, de plum-puddings entourés de flammes et de bûches de Noël.
— À condition qu’un meurtre ne vienne tout bouleverser ! Suivez-moi, Pilar. Lydia m’a montré hier ses préparatifs. Voici où se trouvent les provisions. »
Il conduisit la jeune fille dans une pièce à peine plus grande qu’un placard.
« Regardez, Pilar, ces boîtes de friandises, de pétards, de fruits confits, ces caisses d’oranges, de dattes et de noix. Et ceci…
— Oh ! s’exclama Pilar, claquant des mains. Qu’elles sont jolies, ces boucles d’or et d’argent !
— On devait les pendre à un sapin avec les cadeaux pour les serviteurs. Et voici un père Noël et des petits bonshommes couverts de neige et étincelants de givre qui devaient orner la table de la salle à manger. Tenez ! sont-ils beaux, tous ces ballons de couleurs différentes ! Il suffit de souffler dedans pour les gonfler.
— Oh ! s’exclama la jeune fille. Oh ! pourrait-on en gonfler un ? Lydia n’y verrait certes pas de mal. J’adore les ballons.
— Bébé ! s’écria Stéphen. Allons, choisissez !
— Je prends un rouge ! » dit Pilar.
Tous deux en prirent un et soufflèrent dedans, les joues rebondies. Pilar s’arrêta pour rire et son ballon se dégonfla.
« Vous avez l’air si drôle ! dit-elle à son compagnon… avec vos joues ainsi gonflées. »
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