« Soyez assez réservés. Style : gravité, courtoisie, tu vois ?
— Comme si t’avais besoin de me fout’ les points sur les « t ». M… ! gronde Béru… Depuis le temps qu’on se connaît, bor… de D…, tu dois savoir que du côté des convenances je crains personne !
Comme il saisit la poignée de la portière, à ma grande inquiétude du reste, car tout ce que le Gros touche a tendance à se transformer en produits de poubelles, il demande :
— Et toi, San-A. ? Pourquoi que tu ne viens pas à la relance avec nous ?
— Tu sais bien que je me suis présenté sous un prétexte bidon. Elle me prend pour le gérant de sa garderie.
— Je sais ; mais justement, pense à l’effet philojolique.
— Psychocolique, rectifie pertinemment Alfred dont d’érudition est patronnée par la brillantine Jora.
J’appuie sur la patte de plantigrade du Gros, achevant ainsi d’ouvrir la porte. Puis je le pousse fermement hors de ma guinde.
— Écoute, bonhomme, tranché-je, moi je suis le cerveau et toi le membre. Et même un membre très inférieur. Alors te pose pas de problème, ça fait tomber tes pellicules.
En ronchonnant, il s’éloigne, escorté de son camarade de régiment (ne servent-ils pas dans le même corps ?)
Dès que la cloche fêlée des Veaupacuit tintinnabule dans le silence entier de la nature éteinte (quand on a des lettres il faut faire sa distribution, tous les facteurs vous le diront) je quitte à mon tour l’auto. Mais, au lieu de m’en éloigner, je retire mes chaussures, je les attache par leurs lacets et me les colle sur l’épaule. Ensuite de quoi je grimpe sur le toit de mon véhicule. Un élan et je réussis à cramponner une branche de chêne qui dépasse le faite de la grille. Je constitue un drôle de gland, soit dit en passant.
Cette branche opportune me permet de passer au-delà de la rébarbative clôture. Je me laisse tomber au pied de l’arbre et je remets mes pompes à mes nougats, ce qui, à vrai dire, est la façon la plus rationnelle de coltiner une paire de souliers.
Coupant à travers le parc, je contourne la maison. Sur le perron il y a de la lumière. Je vois sortir la môme Estella, dans une robe de chambre qui couperait le souffle à un asthmatique. Elle tient une torche électrique à la main et se dirige vers la grille. Vous reconnaîtrez avec moi, même si vous ne l’avez jamais vue, que cette bergère n’a pas de l’eau de Javel dans les veines. Parce qu’enfin, tout à fait entre nous et le pôle d’Émile Victor, elles sont pas nombreuses les pin-up capables de traverser un parc à quatre plombes du mat pour répondre à un coup de sonnette, alors que les chouettes du patelin ululent à qui mieux mieux.
Je me manie le prose de manière à entrer dans la maison sitôt que la fille est hors de vue.
Les pièces du bas, je les ai déjà inventoriées naguère. Pourtant j’y cloque un petit regard vite fait. Ensuite je m’élance vers les étages. Il est temps. Un bruit de conversation se rapproche à l’extérieur, marqué par le timbre oblitéré du Gros vendant ses salades d’hors saison.
Au first étage, les pièces sont également désertes… L’une est la chambre d’Estella. Une lumière rose y brille doucement. Je vois ses fringues sur un dossier de chaise, son dodo défait et je salue respectueusement ce panorama émouvant pour tout homme normalement constitué.
Ensuite je me farcis le deuxième étage. Les chambres d’ici sont vides également. De plus en plus, j’admire le cran de ma petite Suissesse. Pour être capable d’habiter seule cette immense bâtisse perdue, faut avoir des nerfs, et des chouettes qui aient été éprouvés au banc d’essais.
Ces investigations nocturnes sont aussi négatives que les diurnes et Maisons-Laffitte commence à me casser les claouis. Je redescends à pas de loup l’escadrin conduisant au premier. Maintenant, va falloir que je ressorte en tapis noir. Pour cela je dois attendre que la nurse raccompagne mes camarades d’expédition.
Dans une encoignure propitiatoire, embusqué contre une glace à trumeau dont la peinture représente une Fantasia marocaine et dont la glace constitue un water à mouches idéal, je prête l’oreille.
J’entends le Gros qui baratine en se donnant de l’importance et en cherchant des subjonctifs vicelards…
Il en ajoute, il en déverse, il en remet… Il explique qu’il n’est pas prudent à une jeune fille de vivre seule en ce lieu désert. Il demande si la maison recèle des valeurs importantes… Et je sens qu’il pense à sa Berthe comme à une valeur qui aurait attendu le nombre des années. Bref, c’est le grand jeu. Estella a dû se sentir un peu décontenancée au début, mais la voilà qui reprend le dessus. Elle commence à trouver saumâtre cette visite de nuit. Et elle le dit véhémentement. Les Laurel et Hardy de l’amour battent en retraite. La souris les raccompagne en rouscaillant. Je décale le dernier étage. Il serait bon que je les misse pendant sa courte absence. Mais, réflexion faite, je préfère attendre encore un peu.
Bien m’en prend !
Voilà ma gosse Estella qui regagne sa base, ferme la porte à double tour, met le verrou, atteint le perron et reste un instant immobile, comme quelqu’un qui est dans l’expectative.
Votre San-Antonio se trouve maintenant à quatre pattes derrière une banquette Louis Machin. Estella gagne l’escalier, non pas dans une tombola, mais d’un pied décidé. Décidé en apparence only car elle stoppe, une pogne sur la rampe, Un instant je crains qu’elle n’ait décelé ma présence, les femmes ayant l’ouïe munie d’une tête chercheuse. Mais non. C’est seulement la voix de son âme qu’elle écoute…
Elle va au bigophone, décroche et compose un numéro. M’est avis que ça devient intéressant. J’ai eu raison de patienter…
Il se passe un bout de moment avant que le correspondant d’Estella décroche. Sans doute est-il dans les bras de l’orfèvre ? Enfin il se produit un déclic.
— Hôtel Carlton ? fait la nurse.
On lui confirme le fait.
— Je veux parler à Mrs Loveme !
On doit lui objecter que l’heure n’est pas propice à une conversation téléphonique. En effet, si on peut appeler quelqu’un à une plombe du mat à la rigueur, il est de mauvais goût de le relancer à quatre.
— C’est très grave, tranche Estella d’un ton autoritaire.
Le zig qui épousera cette petite fera bien de ne pas oublier sa bonbonne de neuro-vitamine avant de l’emmener en voyage de noces.
— De la part de Miss Estella !
Subjugué, le ou la standardiste du Carlton fait fissa pour sonner la légitime du most famous actor of the world.
On met les deux gonzesses en ligne et voilà que ça jacte en amerlock à toute vibure, tant et si bien que je n’arrive pas à filer le train de la conversation.
Tout ce que je peux glaner, au vol, ce sont des mots. Je reconnais « police » puis « baby » et enfin « morning ». Avant que j’aie fini d’identifier ce dernier mot, Estella a raccroché.
Elle éteint le hall et grimpe finir cette nuit tumultueuse dans son dodo pas encore refroidi. La veinarde !
J’attends un moment, puis, estimant qu’elle ne peut plus m’entendre, je sors de ma planque.
Le Mahousse et sa roue de secours doivent commencer à se faire vieux dans ma charrette fantôme. Il est temps que j’aille les rejoindre…
Je délourde en souplesse. Lorsque je me mets à tutoyer les serrures, vous pouvez faire jouer du Brahms en solo de violon, et l’écouter sans crainte…
Je retrouve la chouette noye vaporeuse, irisée, dérapante, et supraterrestre. Le plus duraille c’est pour repasser out mais la branche de chêne est là pour un nouveau coup.
J’atterris près de l’auto. Un filet de fumée s’échappe par les vitres baissées. Le Gros et son aide de camp fument pour essayer de se tenir éveillés.
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