Frédéric Dard - Emballage cadeau

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Généralement, l'éditeur demande à l'auteur de pondre un texte vachement alléchant pour placarder à cet endroit.
Moi, à force, ça me fait tarter, ce batelage de foire. Que si ça continue, je te vous fous la photo en couleurs de mon scoubidou-verseur à la place du bla-bla demandé. Pas grandeur nature, évidemment, le format permettrait pas !
Si vous avez pas confiance dans la munificence de ce livre, si vous êtes pas intim'ment con-vingt-cul que l'histoire ci-devante est pleine de coups de théâtre, de gonzesses habillées d'un timbre-poste, de descriptions à la mords-moi le neutron et de calembredouilles, alors finissez de me tripoter avec vos mains sales, reposez-moi sur le rayon où que vous m'avez pris et foncez dans le fond du magasin acheter la vie de sainte Tignasse de Loyola.
Je veux plus mettre ma prose en vitrine, moi !
J'ai ma dignité, moi ! Ou en tout cas je fais comme si !

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Tout en parlant, le père Léveillé est parvenu à remettre le teuf-teuf épuisé de son barlu en marche. Ça pétouille lamentablement. On se croirait transporté à l’âge d’or du moteur à explosion. Dans un vieux seau de plastique, quelques poissecailles argentés convulsent en paumant leurs écailles.

— J’ai péché ça en vous attendant, nous dit le bonhomme. On les fera au feu de bois.

Il tient d’une main ferme le gouvernail vermoulu de son rafiot et pique droit sur l’île que nous avons brièvement aperçue avant d’amerrir.

— Va falloir vous planquer sous cette bâche, déclare-t-il. Les douaniers sont des gens de couleur, et ils sont peu nombreux, mais ils sont anglais.

Là-dessus, le v’là qui entonne un cantique par lequel il affirme sa foi en la religion catholique et déclare à Dieu qu’il Lui fait confiance pour ce qui est d’assurer son futur.

In petto je me joins à lui.

CHAPITRE V

Le moteur du barlu pétarade au ralenti. Le père Léveillé rabat alors la bâche qui nous dissimule et déclare.

— Terminus !

Allongé contre la môme Farragus, je me laisse aller à de savoureuses béatitudes. Chose surprenante, je n’ai pas l’impression d’avoir kidnappé cette jouvencelle. Elle coopère si aimablement à son rapt, elle est si docile, si discrète qu’il me semble avoir plutôt affaire à une complice qu’à ma « victime ».

Le vieux Canadien nous désigne le rivage proche.

— Il faut que j’aille m’amarrer au port, de l’autre côté de l’île, car cette plage n’est pas abordable. J’habite la petite maison blanche, droit devant vous, derrière le boqueteau de bananiers. Installez-vous en m’attendant.

Il nous aide à enjamber son bord et repart en vaporisant une âcre fumée huileuse.

La plage de Bimini est belle et angoissante. Belle parce que composée d’un sable fin et doré qui scintille à perte de vue, loin dans la mer verte ; angoissante parce qu’elle est rigoureusement vide. D’énormes coquillages la constellent. De ces testacés tarabiscotés qui semblent sortis d’une toile de Dali et qu’on vous vend une fortune quai de la Mégisserie.

— Je vas en rapporter une à ma bergère, déclare le Gros en emparant une coquille grosse comme sa tronche. J’y ferai écouter le bruit de la mer, à la place de son transiteur dont les conseils de la mère Soleil finissent par m’émietter les valseuses.

Lui-même file la carapace à volutes de nacre contre son tiroir à sornettes. Illico il pousse un hurlement. La coquille hébergeait un bernard-l’ermite de forte taille qui, se trouvant soudain en présence d’un nouveau coquillage, a décidé d’y porter ses pénates.

Le bruit de la mer excepté (et accepté) le silence de la petite île est entier, féroce. Le dernier rivage, mes frères ! Une alignée de cocotiers immobiles parcourt Bimini de bout en bout. Ce côté-ci du littoral paraît abandonné. La cahute du père Léveillé est la seule trace humaine qu’on trouve dans ce coin perdu. Nous nous y rendons en pataugeant dans l’eau couleur d’émeraude.

Il a fait ce qu’il a pu pour la rebecqueter, la masure, le bien cher Père. Pourtant elle ne parvient pas à rivaliser avec les établissements Sofitel. Il a réparé les murs de brique écroulés avec des planches déjà pourries, et le toit au moyen de tôles rouillées. La porte ne tient à la verticale que par son loquet, car elle est sortie de ses gonds depuis longtemps. Il ne reste plus qu’une vitre à une fenêtre. Les autres carreaux ont été remplacés par des rectangles de mica opaques qui maintiennent l’intérieur de la demeure dans une lumière trouble.

Deux pièces, assez vastes : une salle de séjour et un dortoir.

Ce dernier comporte une dizaine de lits de camp séparés l’un des autres par de la toile de sac coulissant sur un fil de fer. Des clous fixés dans les murs pour servir de portemanteaux composent le reste de l’ameublement.

La salle de séjour est beaucoup mieux équipée puisqu’elle dispose d’un vieux fourneau, d’une table flanquée de deux grands bancs, d’un placard sans portes, d’un crucifix d’un mètre de long sur un mètre cinquante d’envergure et, tenez-vous bien (et ne vous laissez pas tomber, ce serait dommage car vous êtes déjà suffisamment abîmé comme ça), d’un appareil téléphonique. À tout hasard je décroche. La tonalité me confirme que le turlu est en état de marche, ce qui ne laisse pas de me combler d’allégresse.

Lorsque nous déboulons dans la demeure de les clés s’y astiquent [2] Celle-là je l’ai lue, y a vingt-deux ans, dans un almanach de province. une vieille dame noire qui ressemble à ce que nos salauds de pères appelaient une négresse est en train de confectionner un frichti bizarre tout en fumant la pipe. Cette digne personne porte une longue robe imprimée, dans les teintes lit devin, avec, pour l’agrémenter, un petit transistor en guise de médaillon. L’appareil est fiché entre ses mamelles traînantes, ce qui feutre considérablement la diffusion. Pourtant, un spiqueur [3] J’aime mieux l’écrire en français. à la voix bien timbrée (mais sans surtaxe) parvient à nous communiquer les prévisions météorologiques qui ne me font, si vous acceptez de me passer l’expression (en même temps que la salière, merci) ni chaud, ni froid.

— Chère maâme, gazouille Béru en fonçant sur le brouet de la vieille harde, que préparez-vous nous là ? Ça sent un tantinet la merde, mais c’est appétissant nez en moins !

La fumeuse de pipe lui décoche un sourire niais purement gingival car il y a plusieurs centuries qu’elle a largué son dernier chicot dans le gras de la cuisse d’une banane.

— Oh, je vois, c’te petite mère cause que bougnoule, note l’infâme. Ça n’a au trou ducune importance, vu que je m’esprime aussi volontiers que couramment dans c’te langue. Y en a quoi donc miam-miam, ça ? traduit-il aussitôt.

Et de désigner le plat où des morceaux de je ne sais quoi baignent dans du machin que j’ignore.

— Stew ! déclare la vieille personne.

— Mande pardon ?

— Du ragoût, traduis-je.

L’Enflure trempe son doigt dans le plat et se pourlèche la phalangette.

— Pas ragoûtant, le ragoût, déclare-t-il. La dégustation confirme la reniflance. Pour en être ç’en est, mais elle est pas seule ; et je m’intrigue à savoir ce dont qui l’accompagne.

On se laisse aller sur les bancs. Ils vermoulent et geignent sous le dargif béruréen. Je bigle ma montre (étanche). Elle annonce six heures. Je tends l’oreille pour capter l’émission accrochée au cou de la cuisimerde du père Léveillé. Le journalparleur ne dit pas une broquette de l’affaire. Alors là, mes gueux, on vadrouille en plein cibroque. Je doute de tout. De moi, de vous (ce qui est la prudence même) de mes sens, de l’identité de Pearl Farragus. Un tourment affreux me turlupafe. Et s’il y avait eu gourement, dites, mes jolies chaglates ? Supposons que je me soye trompé de fille ? Imaginons que j’aie kidnappé la femme de chambre ? La demoiselle de compagnie ? La petite amie du maître d’hôtel venue se prélasser à la « Résidence » en l’absence des patrons ? Je frémis à cette perspective. Certes j’ai longuement examiné des photographies de miss Farragus, mais rien ne ressemble plus à la photo d’une fille blonde de vingt ans aux yeux bleus, qu’une fille blonde de vingt ans aux yeux bleus.

— Pearl ! lâché-je brusquement.

La môme se retourne.

Ouf ! C’est bon signe.

— Car vous êtes Pearl Farragus, n’est-ce pas ?

Elle me décerne son adorable sourire.

— Naturellement, j’espère que vous n’en doutez pas ?

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