« Mais qu’aperçoit-il en déboulant dans sa chambre ? Non pas son épouse, mais sa maîtresse ! Du coup, l’univers bascule ! Il pantelle, il est dépassé, abasourdi, vidé ! Je savais bien que sa stupeur n’était pas feinte !
« La suite ? C’est un cadeau pour vous, ma jolie. Elle ressortit de votre job. Ce que je pense, grosso, et même modo, c’est, dans les grandes lignes : que Maryse est partie après son altercation avec sa rivale. Peut-être s’est-elle réfugiée dans quelque petit hôtel de province ? Le lendemain, elle apprend par les médias ce qui s’est passé et, du coup, comprend tout, car elle était pas manchote du bulbe. Elle pige qu’il s’est agi d’un gai tapant et qu’elle y a échappé grâce au retour inattendu d’Aline. Son mari l’avait priée d’aller au studio. Et puis ce meurtre. Elle entrevoit tout, elle se terre, elle me prévient d’aller la rejoindre chez ses beaux-parents. Elle espère en moi. Les mecs de la bande pigent qu’il y a eu une moche maldonne.
« Alors c’est la chasse à la femme. On place du renfort chez les parents Lainfame. Les autres chocotent car souvenez-vous que Michel a assuré que son épouse savait tout de leurs combines. Il faut retrouver Maryse, coûte que coûte, très vite. Mais la belle-mère n’adhère pas tout à fait à cet hallali. Elle sait bien que son vieux kroum est un forban, elle l’aide à chiquer les paralytiques, mais de là à vouloir la mort de sa belle-fille… Alors, elle ne dit rien lorsque Maryse passe devant leur maison, mieux : elle m’en informe… Vous voyez que toutes les belles-doches ne sont pas les affreux dragons qui font la pâture des chansonniers.
« Le reste vous l’avez suivi, peu ou prou, compris ou non, vécu ou subodoré. Je mène mon enquête. L’état d’alerte est proclamé dans le clan Moulayan. On m’épie. On trouve que je brûle. On veut me supprimer en douceur ; d’où le coup du verre enduit d’acide prussique. C’est le sauve-qui-peut ! Tonio est là, et la saleté s’en va. Moulayan saute dans le premier vol venu. Sa gonzesse fonce alerter Van Delamer mouillé à Villefranche. Du coup, le Hollandais plie bagage ! Le bateau n’allant pas assez vite et étant facilement repérable, les yachtmen s’enfuient en bagnole. Avant de filer, comme le marin sait des choses, on piège le barlu… histoire de neutraliser un témoin gênant. Ah ! vous allez pouvoir vous amuser, ma chère âme ! Il va y en avoir des commissions rogatoires, des convocations, des arrestations ! L’affaire est énorme ! Je pense que Michel Lainfame complétera l’histoire que son croquant de père a racontée, sans trop de résistance, à mon éminent collaborateur, l’officier de police Bérurier. »
— Si qu’il ferait des réticeries, prévenez-moi, ma gosse, déclame le Mélodieux, j’sus t’à vot’ dispose pour ouvrir l’clapet des calcitrants. Quand tonton Béru pose des questions, on lu répond, c’est recta !
Je soupire.
— Franchement, juge, on va stopper là l’entretien, je vous ai offert un beau bouquet de renseignements, non ?
— Je mettrai cela en clair, fait le juge.
— Vous trouvez que ça ne l’est pas ?
— Beaucoup de points restent obscurs. Par exemple, vous êtes-vous demandé pourquoi Lainfame prétendait avoir revolvérisé sa femme ?
— Elle devait l’être par les tueurs, pardine !
— Mais la maîtresse qu’ils ont soi-disant prise pour elle a été poignardée ! Vous galopez trop vite, commissaire, moi, je réfléchis et je me demande : et si c’était M’m Lainfame qui avait assassiné Aline Sambois ? Les tueurs à gage, trouvant le travail accompli n’ont qu’à apporter le cadavre rue de Rennes. En outre, cela expliquerait mieux la fuite de notre amie Maryse. Il me reste à vérifier tout cela, commissaire.
— Non, rétorqué-je, il reste autre chose à faire, d’extrêmement mieux, Hélène, mais pour cela j’aimerais que nous demeurions en tête-à-tête !
Elle balbutie :
— Oh ! Com… commissaire…
Et moi, péremptoire, à Roupille et Béru :
— Si vous voulez bien nous laisser, messieurs, c’est confidentiel.
— Je ne sortirai que si le juge Favret m’en donne l’ordre ! déboute le squale avarié.
D’un pas lent et noble de paysan arpentant son domaine, Béru va à lui.
— On t’a dit qu’y faut qu’on va sortir, bout d’homme. Tu veux pas qu’on t’le r’demande par lettre recommandée av’c accusé d’déception, non ?
Il l’empoigne par le colback et l’emporte, comme l’ogre emportait j’sais plus qui, mais il avait raison. Roupille glapit, trépigne, en appelle à la loi, à la force publique.
— Te fais pas péter les ficelles, l’Ancêtre, morigène le Gros, la force publique, c’est moi, d’allieurs, je viens juste pour t’offrir un pastaga. Sans eau.
Et ils sortent.
Par acquit de conscience, je vais bloquer la lourde à l’aide d’un dossier… de chaise.
Puis je reviens au juge. Elle est écarlate et respire à grand-peine.
— Tu te souviendras de l’année de la moule, ma chérie ? lui chuchoté-je. Allons, ne regimbe plus, je t’aime. Tu es jolie, il fait beau. Ecoute le gazouillis des marteaux piqueurs niçois ! L’air sent le mimosa, et toi tu sens la femme. Laisse-moi te prouver que la vie est belle. Tu ne me crois pas ? Tiens, touche !
CHAPITRE PREMIER
Eburné : qui a la couleur, la consistance de l’ivoire.
Ne rectifiez pas, amis correcteurs, c’est moi dont je veux employer cette maltournure de phrase, histoire de me biscorner les méninges.
San-A.
Phrase sotte, beaucoup trop longue à mon goût, mais dans laquelle tu peux biffer à loisir, ma prose étant à la pleine disposition de qui l’achète.
La fameuse obsession sexuelle san-antoniaise, dont il était question au Conseil des ministres de mercredi dernier.
Ceci est un mot d’esprit très représentatif de celui de San-Antonio.
Renan