— Pas encore.
— Alors, allons-y voir de plus près, dit Morelli, ouvrant sa portière.
Il alla se présenter à la réceptionniste qui lui donna la clef du 17. Il frappa à deux reprises. Pas de réponse. Il ouvrit la porte. On entra.
Le lit était défait. Un sac marin était posé par terre, ouvert. Il contenait des chaussettes, des shorts, et deux tee-shirts noirs. Une chemise en flanelle avait été jetée sur le dossier d’une chaise. Dans la salle de bains, un nécessaire de rasage était posé sur le rebord du lavabo, ouvert.
— On dirait bien qu’il est parti dans la précipitation, dit Morelli. Comme s’il avait eu peur. Si tu veux mon avis, il t’a repérée.
— Impossible. Je me suis toujours garée dans le coin le plus obscur du parking. Et puis, comment aurait-il su que c’était moi ?
— Mais mon petit chou, tout le monde aurait su que c’était toi.
— C’est cette satanée bagnole ! Elle me gâche la vie ! Elle sabote ma carrière !
Je fis de mon mieux pour me donner un air altier – ce qui n’est pas de la tarte quand on claque des dents.
— Et maintenant ? dis-je.
— Maintenant, je vais aller demander à la réceptionniste de me téléphoner si Kenny revient.
Il me toisa.
— Ma parole, dit-il, on dirait que tu as dormi tout habillée.
— Comment ça s’est passé hier avec Spiro et Louie Moon ?
— Je ne pense pas que Louie Moon soit impliqué. Il lui manque ce qu’il faut.
— L’intelligence ?
— Non, les contacts. Celui qui a volé les armes doit pouvoir les écouler. Moon ne fréquente pas les bons cercles. Il ne saurait même pas où s’adresser.
— Et Spiro ?
— Il n’était pas disposé à se mettre à table, fit Morelli, éteignant la lumière. Tu ferais mieux de rentrer chez toi, de prendre une bonne douche et de te changer pour le dîner.
— Quel dîner ?
— Rôti cocotte à six heures.
— Tu veux rire ?
Morelli me servit son fameux sourire.
— Je passe te prendre à moins le quart.
— Non ! J’ai ma voiture.
Morelli ôta l’écharpe en laine rouge qu’il portait sous son blouson d’aviateur marron et me l’enroula autour du cou.
— Tu as l’air frigorifiée, me dit-il. Rentre chez toi te réchauffer.
Et le voilà parti vers la réception du motel.
Il bruinait toujours. Le ciel était d’un gris acier. Mon humeur était noire. J’avais eu un bon tuyau sur Kenny Mancuso et j’avais tout raté. Je me frappai le front du plat de la main. Conne, conne, conne ! Et j’étais restée bêtement assise dans cette grosse Buick à la noix ! Mais où avais-je la tête ?
Le motel se trouvait à une vingtaine de kilomètres de chez moi et je battis ma coulpe tout le long du chemin. Je fis un crochet rapide par le supermarché pour faire le plein d’essence, et quand j’arrivai dans mon parking, j’étais complètement écœurée et démoralisée. À trois reprises, j’avais eu l’occasion de coincer Kenny – chez Julia, à la galerie marchande, au motel – et à trois reprises, je l’avais laissée filer.
À ce stade, peut-être devrais-je m’en tenir aux délits de bas étage – vol à l’étalage ou conduite en état d’ivresse. Malheureusement, ces délits-là ne me rapporteraient pas assez pour joindre les deux bouts.
Je fis une séance supplémentaire de flagellation mentale dans l’ascenseur puis dans le couloir jusqu’à ma porte sur laquelle je trouvai un Post-it signé Dillon, mon gardien. « J’ai un paquet pour toi », y lus-je.
Je fis demi-tour et repris l’ascenseur jusqu’au sous-sol. Je débouchai dans un petit vestibule où se trouvaient quatre portes closes fraîchement repeintes en gris cuirassé. La première donnait sur des salles communes à la disposition des locataires ; la deuxième, sur la salle des chaudières avec ses grondements et gargouillements de mauvais augure ; la troisième, sur un long couloir et des pièces consacrées à l’entretien de l’immeuble ; et la quatrième, sur l’appartement de fonction de Dillon.
Cet endroit ravivait toujours mes tendances claustrophobes. Dillon, lui, disait que ça lui plaisait d’habiter ici, qu’il trouvait tous ces bruits apaisants. Un autre Post-it était collé sur sa porte, signalant qu’il serait de retour à cinq heures.
Je remontai à mon appartement, donnai à Rex quelques raisins secs et une chips, et pris une longue douche bien chaude. J’en ressortis rouge comme une écrevisse et l’esprit vaseux. Je m’écroulai sur mon lit et réfléchis à mon avenir. Une réflexion de courte durée. Quand je me réveillai, il était six heures moins le quart et quelqu’un tambourinait à ma porte.
Je me drapai dans un peignoir, gagnai ma porte sur la pointe des pieds et collai mon œil au judas. C’était Joe Morelli. J’entrouvris la porte sans retirer la chaîne de sécurité et le jaugeai.
— Tu me sors de la douche, lui dis-je.
— Je te serais reconnaissant de bien vouloir me faire entrer avant que Mr. Wolesky ne sorte me cuisiner pendant des heures.
Je libérai la chaîne et lui ouvris.
Morelli entra, un fin sourire aux lèvres.
— A faire peur, tes cheveux, me dit-il.
— Je me suis vaguement assoupie dessus.
— Pas étonnant que tu n’aies pas de vie sexuelle. C’est que ça vous découragerait n’importe quel homme de se réveiller le matin pour voir une tignasse pareille.
— Va t’asseoir au salon et ne bouge que lorsque je te le dirai. Ne touche pas à ma bouffe, ne fais pas peur à Rex et ne passe pas de coups de fil longue distance.
Lorsque je ressortis de ma chambre, dix minutes plus tard, je le retrouvai qui regardait la télévision. J’avais mis une robe grand-mère sur un tee-shirt blanc, des bottillons à lacets marron et un cardigan à grosses mailles trop grand pour moi. C’était mon look Annie Hall dans lequel je me sentais très féminine ; pourtant, il avait toujours sur les hommes l’effet opposé à celui escompté. Mon look Annie Hall décourageait les érections les plus tenaces. Encore plus efficace qu’une giclée de gaz lacrymogène sur un violeur potentiel.
J’enroulai l’écharpe de Morelli autour de mon cou, enfilai une veste et la boutonnai. Je pris mon sac. Éteignis la lumière.
— Qu’est-ce qu’on ne va pas entendre si on arrive en retard, dis-je.
Morelli me rejoignit dans le couloir.
— A ta place, je ne m’en ferais pas, dit-il. Quand ta mère va te voir dans cette tenue, elle en oubliera l’heure.
— C’est mon look Annie Hall.
— J’ai plutôt l’impression de voir un beignet à la confiture dans un sachet étiqueté muffin au son.
Je fonçai dans le couloir et pris l’escalier. En arrivant au rez-de-chaussée, je me souvins du paquet qui m’attendait chez Dillon.
— Attends une minute, criai-je à Morelli. Je reviens tout de suite.
Je dévalai les marches du sous-sol et cognai à la porte de chez Dillon.
Il ouvrit.
— Je suis en retard, je viens chercher mon paquet, lui dis-je.
Il me tendit une grosse enveloppe envoyée en express et je remontai par l’escalier en courant.
— À trois minutes près, un rôti cocotte peut être un délice ou un désastre, dis-je à Morelli, le prenant par la main et l’entraînant à travers le parking jusqu’à sa camionnette.
Finalement, je m’étais dit que je ferais mieux de monter en voiture avec lui. Si nous tombions dans des bouchons, il pourrait toujours utiliser son gyrophare.
— Tu as un gyro là-dessus ? lui demandai-je, montant à bord.
— Oui, me répondit Morelli en attachant sa ceinture, mais ne compte pas sur moi pour m’en servir pour les beaux yeux d’un rôti cocotte.
Je me retournai sur le siège pour regarder par la vitre arrière.
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