Le téléphone sonna. Spiro décrocha d’un geste sec.
— Stiva, annonça-t-il.
Il pinça les lèvres, et je compris que c’était Kenny.
— Tu es complètement dingue, dit Spiro. Trop de cocaïne. Trop de piquouses !
Kenny lui parla un petit moment, puis Spiro lui coupa la parole.
— Ta gueule ! fit-il. Tu ne sais pas de quoi tu parles. Et tu ne sais pas ce que tu fais en t’en prenant à moi. Si je te vois traîner dans les parages, je te bute. Et si je ne suis pas là, je chargerai la minette de le faire.
La minette ? Il voulait parler de moi ?
— Excusez-moi, lui dis-je, vous disiez ?
— Quel minable ! fit Spiro en raccrochant violemment.
Je posai mes mains à plat sur son bureau et me penchai vers lui.
— Je ne suis pas une minette. Et je ne suis pas une tueuse à gages. Et si je travaillais dans la protection, laissez-moi vous dire que je ne protégerais pas votre corps de limace. Vous êtes une moisissure, un furoncle, une merde de chien. Si vous dites encore à quelqu’un que je vais le tuer pour vous, je ferai en sorte de vous donner une voix de soprano pour le restant de vos jours !
Stéphanie Plum, docteur des menaces creuses.
— Laissez-moi deviner, fit Spiro. Vous avez vos ragnagnas, c’est ça ?
— En tout cas, une chance que je n’avais pas mon revolver sur moi, je lui aurais vidé le chargeur dessus.
— La plupart des gens ne vous paieraient pas un dollar pour avoir retrouvé de la marchandise calcinée, dit Spiro, mais étant donné que je suis un type correct, je vais vous faire un chèque. Nous considérerons que c’est un acompte. Je verrai si cela est opportun de continuer à avoir une nénette comme vous à mes côtés.
Je pris le chèque et partis. Je ne voyais pas l’intérêt de discuter ; il était clair qu’il était à côté de ses pompes. Je m’arrêtai à une station-service pour prendre de l’essence et Morelli vint se garer derrière moi.
— C’est de plus en plus bizarre, lui dis-je. J’ai l’impression que Kenny pète les plombs.
— C’est-à-dire ?
Je lui racontai la mésaventure de feu Mr. Loosey et le coup de fil de Kenny.
— Tu devrais lui donner du super à ta voiture, me dit Morelli. Tu risques de gripper le moteur.
— Dieu m’en garde.
Morelli grimaça.
— Fais chier ! dit-il.
Je trouvai que c’était une réaction un peu exagérée à mon manque de soins automobiles.
— Ce serait si grave que ça que mon moteur se grippe ?
Il s’appuya contre l’aile.
— Un flic s’est fait tuer dans le Nouveau-Brunswick hier au soir. Deux coups qui ont traversé son gilet pare-balles.
— Munitions de l’armée ?
— Oui, fit Morelli, levant les yeux vers moi. Il faut que je retrouve cette came. Je suis sûr qu’elle est sous notre nez.
— Tu crois que Kenny pourrait avoir raison au sujet de Spiro ? Qu’il aurait vidé les cercueils et m’aurait engagée pour se couvrir ?
— Je n’en sais rien. Il y a un truc qui cloche. Mon instinct me dit que tout a commencé avec Kenny, Moogey et Spiro puis qu’un quatrième larron est entré dans la danse et a brouillé les cartes. À mon avis, il leur a piqué la came et les a divisés pour mieux régner. Et ce n’est sans doute pas quelqu’un de Fort Braddock, car il revend au détail à Jersey et Philadelphie.
— Ce doit être un de leurs proches. Un confident… une petite amie.
— Ou quelqu’un qui a tout découvert par hasard, fit Morelli. Quelqu’un qui aurait surpris une conversation.
— Comme Louie Moon.
— Ouais, comme Louie Moon.
— Et c’est forcément quelqu’un qui avait accès à la clef du hangar de stockage. Comme… Louie Moon.
— Il y a sans doute pas mal de gens à qui Spiro a pu parler et qui ont accès à cette clef. En passant par sa femme de ménage et Clara. Idem pour Moogey. Ce n’est pas parce que Spiro t’a dit que lui seul avait cette clef que c’est vrai. Tous les trois devaient en avoir une.
— Si tel est le cas, qu’en est-il de la clef de Moogey ? Est-ce qu’on a pensé à regarder s’il l’avait à son trousseau quand on l’a trouvé mort ?
— Son trousseau de clefs manquait. On a supposé qu’il l’avait posé quelque part dans le garage et qu’on remettrait la main dessus tôt ou tard. Ça ne semblait pas très important à ce moment-là. Ses parents sont venus avec un double de sa clef de voiture pour la ramener chez eux. Maintenant que les cercueils ont refait surface, j’ai une bonne raison d’aller cuisiner Spiro. Et je veux aussi dire deux mots à Louie Moon. Tu crois pouvoir rester en dehors de tout ça un moment ?
— Ne t’en fais pas pour moi. Je comptais aller faire du shopping. Il faut que je me trouve une robe qui aille avec mes nouvelles chaussures.
Morelli pinça les lèvres.
— Tu mens. Tu mijotes quelque chose, non ?
— Oh, alors là, tu me vexes. Moi qui pensais t’émoustiller en te parlant de mes toilettes. Je comptais m’acheter une robe ultra-mini en fibre élastique et à paillettes.
— Je te connais, et je sens que tu ne vas pas aller faire du shopping.
— Croix de bois croix de fer, si je mens… !
Morelli eut un sourire en coin.
— Tu mentirais au pape.
Je faillis me signer, mais me retins.
— Je ne mens presque jamais, lui dis-je.
Sauf quand c’est une question de vie ou de mort. Ou dans les occasions où la vérité ne me paraît pas indispensable.
Je regardai la voiture de Morelli s’éloigner, puis je pris la direction de l’agence de Vinnie dans l’idée d’aller y pêcher quelques adresses.
À mon arrivée, Connie et Lula se chamaillaient à pleins poumons.
— Dominick Russo sert une sauce maison, criait Connie. Avec des tomates naines. Du basilic frais et de l’ail frais !
— J’ai jamais entendu parler de tomates naines, brailla Lula. Tout ce que je sais, moi, c’est que les meilleures pizzas de Trenton sont celles de chez Tiny, dans First Street. Personne ne les fait mieux que lui. Ce type fait des pizzas soul.
— Des pizzas « soul » ? Et puis quoi encore ? fit Connie.
Elles se tournèrent toutes les deux vers moi, le regard noir.
— Tu vas nous départager, me dit Connie. Dis à cette Je-sais-tout comment sont les pizzas de Dominick.
— Excellentes. Mais j’aime aussi celles de chez Pino.
— Pino ! se récria Connie, avec une moue de dégoût. Leurs sauces leur arrivent en bidons de cinq litres !
— Miam-miam ! fis-je. J’ai un faible pour les sauces toutes prêtes.
Je jetai mon sac sur le bureau de Connie.
— Ravie de voir que vous vous entendez si bien, dis-je.
— Pff, fit Lula.
Je me laissai tomber sur le canapé.
— Je cherche des adresses, dis-je. Je dois aller fureter chez certaines personnes.
Connie prit l’annuaire sur l’étagère derrière elle.
— Qui ?
— Spiro Stiva et Louie Moon.
— Je n’irais pas regarder sous les oreilles de Spiro pour tout l’or du monde, dit Connie. Ni dans son frigo.
— C’est le croque-mort, c’est ça ? fit Lula. Beurk, tu ne vas quand même pas entrer par effraction chez un croque ?
Connie nota une adresse sur un bout de papier et chercha le deuxième nom. Je lus celle qu’elle avait trouvée pour Spiro.
— Tu sais où c’est ? lui demandai-je.
— La Résidence Century Court ? Tu prends par Klockner Street jusqu’à Demby.
Elle me tendit la deuxième adresse.
— Celle-là, je ne vois pas du tout, me dit-elle. C’est dans le township d’Hamilton.
— Qu’est-ce que tu cherches ?
— Si je savais, dis-je en empochant les adresses. Une clef, peut-être.
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