Morelli alla chercher une paire de ciseaux à la cuisine. Il coupa le gros scotch et souleva le couvercle. Le chat bondit au-dehors et fonça vers la chambre. Morelli le suivit, ouvrit la fenêtre et le chat prit la poudre d’escampette.
J’inspectai la cage, mais ne vis aucun reste de hamster. Pas de poils. Pas de petits os. Pas de quenottes jaunâtres. Rien.
Morelli regarda aussi.
— Du travail soigné, dit-il.
Ce qui provoqua un nouveau sanglot de ma part.
On resta accroupis devant la cage une petite minute, fixant bêtement les copeaux de sapin et la boîte de conserve de Rex.
— À quoi sert cette boîte de soupe ? voulut savoir Morelli.
— C’était sa chambre.
Morelli tapota sur la boîte. Rex en sortit en trombe.
Je faillis m’évanouir de bonheur, à mi-chemin entre le rire et les larmes, trop émue pour dire quoi que ce soit.
Rex était manifestement dans le même état de surcharge émotionnelle. Il galopait d’un bout à l’autre de sa cage, moustaches frémissantes, ses yeux noirs en boutons de bottine lui sortant de la tête.
— Le pauvre, dis-je, plongeant la main dans l’aquarium, attrapant Rex et le soulevant jusqu’à mon visage pour le voir de plus près.
— Tu devrais peut-être le laisser se détendre un petit peu, me dit Morelli. Il m’a l’air très remué.
Je lui caressai le dos.
— Tu entends ça, Rex ? Tu serais… remué ?
Pour toute réponse, il me planta ses canines dans le bout de mon pouce. Je poussai un cri strident et retirai vivement ma main, lançant Rex en l’air comme un Frisbee. Il vola jusqu’au centre de la pièce, atterrit avec un bruit mou, resta assommé pendant cinq secondes, puis galopa derrière une étagère.
Morelli regarda les marques des deux canines dans la chair de mon pouce, puis se tourna vers l’étagère.
— Tu veux que je le descende ? me demanda-t-il.
— Non. Je veux que tu ailles à la cuisine, que tu prennes la grosse passoire et que tu attrapes Rex pendant que je vais me désinfecter et me mettre un pansement.
Quand je ressortis de la salle de bains quelques minutes plus tard, je retrouvai Rex aplati par terre aussi immobile qu’une pierre sous la passoire et Morelli attablé au salon en train de dévorer le gâteau.
Il m’en avait coupé une part et avait servi deux verres de lait.
— Je pense que nous pouvons subodorer l’identité de notre malfaiteur sans trop de risques de nous tromper, dit-il, jetant un regard en direction de ma carte de visite empalée au bout de mon couteau à viande lui-même planté au beau milieu de ma table carrée.
— Original comme chemin de table, fit-il remarquer. Tu disais que tu avais laissé ta carte à un voisin de Sandeman ?
— Ça m’a paru une bonne idée sur le moment.
Morelli finit son verre de lait, sa part de gâteau, et se carra dans sa chaise.
— Tu donnerais quelle note à ta trouille en voyant ça ? me demanda-t-il.
— Dans les six sur dix.
— Tu veux que je reste jusqu’à ce que tu aies fait réparer ta porte ?
Je m’accordai une minute de réflexion. J’avais déjà connu des cas de figure plus inquiétants par le passé, et je savais que ce n’était pas drôle du tout de rester seule avec sa peur. Le problème était que je me refusais à l’admettre devant Morelli.
— Tu crois qu’il va revenir ? lui dis-je.
— Pas cette nuit. Et sans doute jamais si tu ne le provoques plus.
Je hochai la tête.
— Ça va aller. Mais merci de ton aide.
Il se leva.
— Tu as mon numéro au cas où.
Je me gardai bien de saisir cette perche.
Il considéra Rex.
— Tu as besoin d’un coup de main pour réinstaller Dracula ?
Je m’agenouillai, soulevai la passoire, pris Rex dans le creux de la main et le remis doucement dans sa cage.
— Il ne mord jamais d’habitude, dis-je. Il était juste… excité.
Morelli me caressa le menton.
— Ça m’arrive à moi aussi de temps en temps, dit-il.
Je remis la chaîne de sécurité en place après le départ de Morelli et me confectionnai un système d’alarme de fortune en empilant des verres contre la porte. Si on l’ouvrait, la pyramide s’écroulerait et le fracas des verres se brisant sur le lino me réveillerait. Sans compter le double avantage que si l’intrus était pieds nus, il se couperait sur les bouts de verre. Évidemment, il y avait peu de chances que ce soit le cas puisqu’on était en novembre et que la température avoisinait les cinq degrés.
Je me brossai les dents, enfilai mon pyjama, posai mon revolver sur ma table de chevet et me glissai au lit en m’efforçant de ne pas penser aux graffiti sur mon mur. Première chose à faire demain matin : demander au gardien de réparer ma porte et, pendant que j’y étais, lui chiper un peu de peinture.
Je restai éveillée un long moment, incapable de trouver le sommeil. J’avais les muscles tendus et le cerveau en ébullition. Je n’en avais pas parlé à Morelli, mais je doutais que ce soit Sandeman qui ait vandalisé mon appartement. Un des messages écrits sur le mur parlait de complot et un K en lettre argentée avait été collé au-dessous. J’aurais sans doute mieux fait de le montrer à Morelli, de même que la lettre anonyme signée du même K me conseillant de prendre des vacances. Je ne savais pas trop pourquoi je n’avais rien dit. Je soupçonnais que la raison en était enfantine, dans le genre… puisque tu ne veux pas me dire ton secret, eh ben, je ne te dirai pas le mien. Na, na, na !
Mes pensées tourbillonnaient dans l’obscurité. Je me demandais pourquoi Moogey avait été tué, pourquoi Kenny demeurait introuvable, et si j’avais des caries.
Je m’éveillai en sursaut et me redressai dans mon lit. Le soleil filtrait à travers l’interstice de mes doubles rideaux, et mon cœur battait à grands coups. J’entendais un vague grattement. Mes idées s’éclaircirent peu à peu, et je me rendis compte que le bruit qui m’avait réveillée si brusquement était celui de verres se brisant par terre avec fracas.
Je me retrouvai debout, revolver en main, sans pouvoir décider ni quel parti ni quelle direction prendre. Appeler la police ? Sauter par la fenêtre ? Foncer tête baissée et tirer sur le saligaud qui avait forcé ma porte ? Heureusement, je n’eus pas à choisir car je reconnus la voix de celui qui poussa un juron dans l’entrée. Celle de Morelli.
Je regardai le réveil sur ma table de chevet. Huit heures. J’avais trop dormi. Ce sont des choses qui arrivent quand on ne ferme l’œil qu’à l’aube. Je me glissai dans mes Doc Martens et traînai des pieds jusqu’à l’entrée où des morceaux de verre étaient éparpillés sur un mètre carré. Morelli, qui avait réussi à ôter la chaîne, se tenait dans l’encadrement de la porte, contemplant le désastre.
Il me jaugea et arbora un air surpris.
— Tu as dormi avec ces chaussures aux pieds ?
Je le fusillai du regard et allai chercher un balai et une pelle à poussière à la cuisine. Je lui tendis le balai, laissai tomber la pelle sur le sol et, piétinant les morceaux de verre, je retournai dans ma chambre. Je troquai ma chemise de nuit en flanelle pour un pantalon de jogging et un sweat-shirt et faillis pousser un hurlement de terreur en voyant mon reflet dans le miroir ovale de ma coiffeuse. Pas maquillée, les yeux cernés, les cheveux en bataille. Je n’étais pas certaine que me coiffer ferait une grande différence, aussi je me vissai ma casquette Rangers sur le crâne.
Quand je retournai dans l’entrée, tous les morceaux de verre avaient disparu, et Morelli était dans la cuisine en train de faire du café.
— Jamais, tu frappes ? lui demandai-je.
— Je l’ai fait, mais tu n’as pas répondu.
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