— C'est ça, répète le jeune homme.
— Vous l'avez tué avec une hache que vous avez dérobée chez Aimé, le contremaître du Pinson-Tournan ? interviens-je.
— C'est ça, dit encore Godemiche junior.
Je décide de lui mettre la pression.
— Vous êtes également le meurtrier de Mélanie ?
— Bien sûr.
— Parce qu'elle vous faisait chanter ?
— Bien sûr.
— Avec ce cliché ?
Je lui tends la photo compromettante. Il n'y jette même pas un œil et se contente de murmurer : « Vous avez réussi à la trouver ? Pas moi ! »
A son tour, la juge observe le tirage et ses pommettes de cochonne s'empourprent légèrement.
— Pourquoi avoir tué Suzie ? à-brûle-pourpointé-je.
Nicolas paraît soudain désemparé.
— Parce que… parce qu'elle avait découvert la photo et me faisait chanter à son tour.
— Bien.
Je marque un temps et repars à l'assaut.
— Je comprends mal le meurtre de Juliette. Cette fille vous aidait, elle vous cachait, n'est-ce pas ?
— Elle semblait craquer, elle allait me trahir.
— Votre sentiment, madame le juge ?
La femme hésite à peine.
— Je prononce la mise en examen de M. Nicolas Godemiche pour homicide volontaire sur les personnes de Mélanie Godemiche, Suzie Morrand, Albert Collot et Juliette Blondeau.
Elle demande à Roykeau et aux deux autres poulets qui l'accompagnent d'évacuer l'inculpé. Nous nous retrouvons seuls, elle et moi. Calmement, Mme le juge va donner deux tours de clé à la porte de son bureau. Puis elle revient à sa table de travail, la balaye d'un revers de bras et s'y assoit jambes ouvertes.
Tu me crois si je te dis qu'elle n'a pas de culotte ?
* * *
— Sur le palier, Anatole désigna une porte à Béru.
— Tu couches là [35] Gnole + Calva = tutoiement.
.
Le Gravos fit la moue.
— Et ta chambre, c'est laquelle-t-est-ce ?
— L'autre.
Alexandre-Benoît se frictionna le menton.
— C'est pas prudent que tu dormasses dans ta piaule, rapport à l'assassin qui rôde. Faudrait mieux que tu prisses la chamb' d'amis et que moi je monte la garde dans ta carrée.
— Tu crois ?
— J' suis sûr !
— Mais ma femme ?
— J' vais m'faire tout p'tit pour pas la déranger.
Lorsque Martha se réveilla, il était trop tard. L'anaconda de Bérurier l'avait investie jusqu'en des profondeurs qui constituent un point de non-retour. Elle prit le parti de jouir en silence, mais ses ébats firent néanmoins chuter le téléphone qui se décrocha.
Ce petit incident ne fut pas sans conséquences.
* * *
Tu sais à quoi je gamberge en fonçant pied au plancher en direction de la Vieille-Nave ? Pas à la troussette sur le burlingue de la belle Annick ! C'est pourtant une mouilleuse d'exception. Je parie que la greffière, demain, va se faire un sandwich avec le buvard de son sous-main.
Non, je repense aux trois gros mensonges du fils Godemiche ! Tu veux que je les énumère où tu les as pointés toi-même ? Bon, alors, j'y vais. Pour assister ma mémoire, j'ai pris la précaution d'enregistrer l'interrogatoire, ce qui est strictement interdit dans le bureau d'un juge d'instruction. Mais tu ne crois pas qu'après une fourrée pareille, Miss Hatouva risque de porter le pet ?
Ecoute l'enregistrement en remontant de la fin vers le début.
Question posée par le gars moi-même : « Je comprends mal le meurtre de Juliette. Cette fille vous aidait, elle vous cachait, n'est-ce pas ? »
Réponse de Nicolas : « Elle semblait craquer, elle allait me trahir. »
Comment croire cette baliverne ? Si Juliette voulait dénoncer Nicolas, elle l'aurait fait en la présence de ses parents. Elle aurait appelé la police et ne lui aurait pas porté un plateau-repas dans la grange. Tu me suis ?
Autre question : « Vous l'avez tué (on parle du Dr Collot) avec une hache que vous avez dérobée chez Aimé, le contremaître du Pinson-Tournan ? »
Réponse de Godemiche junior : « C'est ça ! »
Faux, archi-faux ! Aimé m'a certifié avoir prêté cette hache à Nicolas l'hiver dernier. Le jeune homme ne l'a donc pas volée. En fait, il ne sait pas de quelle hache il s'agit. Ce qui prouve qu'il n'a pas assassiné le toubib, contrairement à ses aveux.
Troisième question de ma part : « Pourquoi avoir tué Suzie ? »
Réponse de l'inculpé : « Parce que… parce qu'elle avait découvert la photo et me faisait chanter à son tour. »
Encore un mensonge. Le cliché, nous l'avons trouvé Béru et moi, dans le freezer dégivré bien après la mort de Suzie.
J'ai la ferme conviction que Nicolas n'est pas le psychopathe que nous traquons.
Alors ?
Un étrange gargouillis parcourt mon œsophage.
Antoine aurait-il pu m'abuser à ce point ?
* * *
Quand je pénètre dans la cour en faisant crisser les gravillons, le château de la Vieille-Nave baigne dans le silence et la solitude. Le disque lunaire blanc et glacial propage une lueur macabre sur la vaste demeure.
La BMW de Jacquemart-André n'est pas là. Je me précipite à l'entrée principale. Je frappe, sonne, braille. Aucune réponse. Dommage, car j'aurais voulu l'interroger sur un point qui me turlupine et me tord la pine. Il prétend avoir vu le roller-man, donc Antoine, lesté d'un sac à dos et de haches. Mon fils nie le sac à dos et les haches.
Qui ment ?
Les deux admettent que la rencontre a eu lieu à 20 heures, le soir du meurtre de Suzie. Ce que corrobore le reçu de péage du vieux Godemiche.
Un truc me frappe soudain. Jacquemart est absent. Comme il était absent le soir de la rave-party et l'après-midi de l'assassinat de Suzie. Je sors mon téléphone et me lance dans une recherche simple : où se trouvait Jacquemart-André lorsqu'il m'a rappelé soi-disant depuis le salon agricole de la porte de Versailles ? Trois minutes plus tard, j'ai la réponse. L'appel de Godemiche father a été transmis par la borne de Chartres-Cathédrale. Cet enfoiré n'était pas à Paris, mais bien dans la région du meurtre de Suzie !
Ma tête chavire. J'ai du mal à rassembler les pièces de ce macabre puzzle. Je n'ai jamais suspecté Jacquemart grâce à son abord sympathique, et à cause de ce ticket de péage qu'il ne m'a pas présenté spontanément. C'était magnifiquement joué, de me le laisser découvrir par hasard. Un chef-d'œuvre psychologique ! S'il m'avait brandi le reçu sous le nez, j'aurai vérifié son alibi avec davantage de minutie.
En vérité, il a eu le temps nécessaire pour éventrer Suzie, fendre le crâne du docteur Collot, repartir pour Saint-Arnoult par la nationale 10 et reprendre l'autoroute en direction de Chartres. Ticket acquitté à 19 h 48, sans bavure !
Plus question de tergiverser. Je sors mon sésame et crochète la serrure du château en moins de temps qu'il ne t'en faut pour contourner l'élastique du slip de ta secrétaire.
Je trace direct à la chambre de Nicolas et me plante devant le coffre. Ma boîte à idées est en ébullition. Je me concentre pour retrouver le code d'ouverture du coffiot.
« Souviens-toi, mec ! m'exhorté-je. La date de la mort de Mme Godemiche. C'était un jour funeste… le 13 ! Je suis sûr que c'était le 13. »
Je compose ces deux chiffres sur la molette et gamberge à nouveau. Elle est morte il y a sept mois, m'a dit Jacquemart. Compte à rebours… ce devait être en Avril… 04. Bingo ! La porte blindée pivote.
Je plonge la main et happe le dossier médical entr'aperçu naguère. Je le feuillette en mouillant mes doigts, comme lorsque tu es parvenu à l'intérieur de la culotte de la même secrétaire (ou d'une autre, c'est ta vie privée, mon pote !).
Même si je n'ai pas fait chirurgie en première langue, je pige tout de suite que le cancer de l'épouse Godemiche a nécessité l'ablation de l'utérus et des ovaires, ainsi que le retrait des glandes mammaires.
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