Ils avouent sans se faire prier.
Par acquit de conscience, et par déformation professionnelle aussi, nous fouillons la pauvre maison délabrée. Le comte a tout bazardé. Au premier étage, seule une chambre reste meublée. Tout le reste est parti chez les marchands de vieilleries de Saint-Germain-des-Prés.
Le Gros, avant de partir, tire la conclusion qui s’impose.
— Vous voyez, déclare-t-il, vaut mieux être charcutier et avoir de l’artiche que d’être comte et claquer du bec.
Il gratte une tache de plâtre sur son costard d’un ongle qui ferait évanouir une manucure.
— Qu’est-ce qu’on branle, maintenant ?
— On va mettre les gendarmes du patelin au parfum des événements, c’est à eux de jouer.
— Ensuite, on ira casser la graine, j’espère ? demande Bérurier qui a les entrailles turbulentes lorsque l’heure de la tortore approche.
— Ça ne te coupe pas l’appétit, les cadavres de vieux nobles ?
Le Gros barrit.
— Il en faudrait beaucoup plus, mon pote ! Si tu crois que ça me dérange…
Nous évacuons le domaine de Lamain-Aupanier pour rallier celui de la maréchaussée.
La gendarmerie de Courmois-sur-Lerable est une petite construction pour rentier modeste qui ne se différencie de celles qui l’environnent que par le panneau sommant sa porte. Lorsque le valeureux trio y pénètre, le brigadier qui la dirige est occupé à s’ôter les cors au pied avec un rasoir à main. C’est un homme élégant qui ne dépasse pas les cent dix kilos, pourvu d’un visage avenant encore que violacé et qui serait tout à fait beau gosse si son nez ne ressemblait à une pomme de terre. Ses yeux injectés de sang ont une douceur quasi bovine et ses sourcils fournis (par l’intendance militaire sans doute) ne sont qu’à trois centimètres et demi de ses cheveux graisseux. A côté de lui, l’Apollon du réverbère ressemble à Michel Simon.
Il achève de cisailler son durillon et, nous ayant coulé un regard glaireux par-dessus son épaule trop enveloppée, demande :
— Ce qu’v’vlez ?
— On vient rapport à une déclaration, fais-je en m’asseyant sur le banc de bois où un client de la maison grava « Mort aux vaches » un jour de spleen.
— Vous avez perdu quèque chose ? fait le brigadier en recueillant son durillon dans le creux de la main pour le faire miroiter à la lumière.
— On aurait plutôt trouvé que perdu, rectifie mon adjoint à carreaux.
Le brigadier dépose son durillon sur un dossier, enfile sa chaussette avec une maîtrise totale qui donne un aperçu sur le parfait fonctionnement de ses réflexes et se décide à questionner :
— Vous auriez trouvé quoi ?
— Un mort, laissé-je tomber négligemment.
Pinaud qui se délecte tète son mégot éteint. Le gendarme à pied (à pied nu) soulève la visière de son képi afin de s’aérer l’Annapurna et se met à nous considérer tous trois exactement comme si nous étions des représentants en poil à gratter.
— Vous v’ foutez de ma gueule ? demande-t-il avec une espèce d’ombre d’inquiétude dans la voix.
Je me hâte de disperser son trouble.
— Absolument pas. Je peux même vous préciser qu’il s’agit du comte de Souvelle. Il s’est suicidé en s’introduisant une certaine quantité de plomb dans le temporal par le truchement d’un pistolet d’arçon.
L’autre assimile (il a la méthode) et, du bout des doigts, joue avec le superbe durillon aux tons jaspés. On dirait une eau-forte (extra-forte, bravo Amora) et je l’imagine dans la vitrine de Mme de Brelan d’As pour la semaine de la rue Saint-Honoré.
— Comment que vous savez ça ? demande-t-il encore après avoir glissé le durillon dans son étui à revolver.
— On le sait de visu, affirme Pinuchet en déposant son mégot dans l’encrier du pandore.
— Qui est Visu ? s’inquiète celui-ci.
Bérurier, que la faim tourmente et qui a hâte de conclure, me tire par la manche.
— Tu ferais bien d’incliner ton identité à môssieur pour éclairer sa lanterne.
J’admets et propose ma carte au brigadoche. L’homme lit. Puis il abaisse son képi, boutonne sa braguette et me dédie un salut militaire qui attendrirait un général de division.
— Mande pardon, comme je vous connaissais pas, je vous ai pas reconnu, s’excuse-t-il. Alors comme ça le comte s’est détruit ?
— Complètement.
Le représentant à part entière de la loi hoche sa tête d’hydrocéphale.
— Ça devait arriver, murmure-t-il sous sa moustache rasée.
Je tressaille.
— Pourquoi dites-vous ça, brigadier ?
— C’t homme-là, affirme mon interlocuteur, c’était un pauv’ homme.
— Pourquoi ?
— A cause de sa garce de fille…
Je frémis.
— Il avait une fille ?
— Pour son malheur, oui. La belle Monique, vous parlez d’un numéro.
Pinaud me regarde avec un air d’en avoir trois ou quatre.
— Tiens, tiens ! fait-il dans un français irréprochable.
Béru, qui donne des signes de fatigue, s’assied sur le bureau du brigadier.
— Mande pardon, fait celui-ci.
Le Gros se dresse, le brigadier arrache du fond de culotte de mon vaillant guerrier la tartine de rillettes qu’il s’apprêtait à consommer afin de compenser l’ablation de son durillon.
— Excuse, dit noblement Béru en raclant le reliquat de pâté du bout de ses ongles en berne.
Il dépose cet excédent de bagage sur sa cravate et finit d’essuyer ses doigts à ses revers. Moi, je reviens à mon bélier :
— Parlez-moi de Monique de Souvelle, brigadier…
Il ne demande que ça, le self-pédicure. Du moment qu’on lui donne de l’importance, il est partant. Lui, les premiers grands rôles en costumes, c’est son vice. Il doit être d’Alençon : il aime broder. Et le voilà qui démarre en rase-mottes :
— Faut dire que le vieux de Souvelle y a pris peine. Joueur que vous pouvez pas vous imaginer. Sa culotte qu’il a laissée sur les champs de courses…
Pinaud participe, vite fait.
— L’oncle de ma femme était comme ça, assure le Croulant. Brave homme, mais tout pour le cheval. Il avait une épicerie fine à Montrouge, si je vous disais…
— Non, tranché-je, ne le dis pas ; écris-le plutôt sur du papier à musique et fais-le orchestrer…
Il hausse les épaules et s’abstient. Le pandore peut continuer.
Le brigadier qui a des usages sort une bouteille de pastaga de son placard ainsi que quatre verres douteux et il prend un vieil arrosoir plein d’eau.
Il sert d’abondantes rations.
— Vous mettez de l’eau dedans ? demande-t-il.
— Une goutte, pour parfumer, dit Pinaud.
— Et moi, une goutte aussi, par hypocrisie, roucoule le gars Béru radieux comme un soleil d’Austère-Litz.
L’atmosphère est à la détente. D’ailleurs, mis en confiance, le brigadier desserre son ceinturon de deux crans afin de libérer son abdomen.
Il avale son pastis sec, claque de la menteuse, se torche les mollusques et attaque :
— Veuf de bonne heure avec une fille sur les bras. Y s’occupait pas d’elle. C’était la dégringolade au château. Monique, à peine qu’elle a eu ses dix-huit ans, elle s’est barrée, comprenez !
Un triple hochement de carafons lui indique que nous comprenons. Voyant qu’il a affaire à des psychologues convaincus, le gendarme poursuit :
— Ce qu’elle a pu maquiller, c’te gosse, j’en sais trop rien. Toujours z’est-il qu’elle a fait causer d’elle. La foiridon. La vie de barreau de chaise après la vie de château. Du coup, le vieux s’est barricadé dans sa bicoque. Il avait honte et voulait plus voir personne. Il était fauché et ne bouffait que du fromage.
— On en fait du bon, dans la région ? demande Bérurier, lequel a deux couvercles de boîte de camembert à la place des yeux.
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