Frédéric Dard - Du brut pour les brutes

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Boris Alliachev, vous connaissez ?
Espion international…
Recherché dans une tripotée de pays…
Enfin le genre de mec que tout flic normalement constitué rêve d'agrafer à son palmarès !
Figurez-vous que je l'ai précisément sous les yeux, en ce moment…
Il est assis dans un restaurant russe et il jaffe du caviar comme un qui aurait la conscience tranquille et le larfouillet bourré.
Seulement voilà qu'un pastaga démarre dans les parages : un jules, laid comme un dargif de singe, entreprend de dérouiller sa poule, une ravissante môme de vingt berges.
Mais ce n'est pas le genre de chose qu'on fait devant S. -A, pas vrai ?
Alors je sors mon uppercut des grands jours…
Et pendant la bagarre, le Boris, lui, il prend la tangente !
Vilaine affure, les gars, mais cette brute de S. -A. n'a pas dit son dernier mot !

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— Tiens, monsieur le commissaire, gazouille la veuve. Du nouveau ?

— Vous sortiez ? m’effaré-je.

— J’allais à Paris, oui. Mais rien ne presse…

Elle s’efface pour me laisser entrer. Je pénètre dans la mystérieuse crèche. J’aime assez ce nid pour femmes fatales.

— Votre bonne est sortie ? dis-je nonchalamment.

— Elle est partie pour Marseille, fait mon interlocutrice en ôtant posément ses gants, on lui a téléphoné à midi que sa mère avait eu un accident…

— Elle va vous manquer…

— Il me reste Ferdinand…

— C’est le mari de votre bonne ?

— Non.

Elle sourit.

— Mais quelque chose me dit qu’il le deviendra.

Dans ma Ford intérieure, je pense que la gosse Annette n’a pas beaucoup de goût pour marida un échalas comme le Ferdinand. Lui, ça ne sera jamais Ferdinand le taureau, je vous le promets ou faudra qu’il force sur la cantharide ! Il a autant de sex-appeal qu’un écheveau de fil de fer barbelé.

Mais qu’importe des goûts et des couleurs, comme dit Félicie, ma brave femme de mère.

Visiblement, la ravissante veuve attend mes explications. En voilà une qui n’aura pas de mal à se refaire un blaze ! Avec des formes pareilles, un sourire aussi aguichant et des yeux aussi ardents, n’importe quel bonhomme normalement constitué se porterait acquéreur, quand bien même il aurait déjà douze femmes et une pleine école maternelle de lardons.

— Madame Godemiche, je suis venu vous poser différentes questions… Votre intérêt est d’y répondre, sinon il pourrait vous arriver des choses fort désagréables…

Son regard enjôleur s’emplit de nuées funestes. Elle me jette des éclairs que j’attrape les uns après les autres à la volée, car j’ai fait un numéro de jongleur, naguère, au gala de l’Urbaine.

— Monsieur, renaude la beauté, je n’apprécie guère ce langage…

— Il faudra pourtant bien vous y faire, ma petite dame !

J’ai tort de m’emporter. La voilà en plein suif ! Ça complique la situation. Ou alors ça va peut-être l’éclaircir…

Au lieu de faire machine en arrière et de lui débiter des excuses à charnières montées sur subjonctif, je fonce in the brouillard. Gare aux taches ! Quand le San-Antonio des familles bouscule les convenances, on peut s’attendre à tout.

— Je n’ai plus le temps de m’exprimer en alexandrins, madame Godemiche. Je tiens à vous dire que je suis au courant de tout et que cette visite pourrait bien se terminer par une arrestation.

— Vous prétendez m’arrêter, moi !

— Vous, oui, chère madame.

Elle manque d’air, la souris. Elle fait des bulles en parlant, on dirait un moteur Johnson.

— Sortez, monsieur !

— Pas sans vous !

— Partez immédiatement, sinon je vous fais jeter dehors.

— Par qui ? rigolé-je. Par votre virtuose du plumeau ? Ma pauvre chérie, vous pouvez m’en envoyer une douzaine à la fois des comme lui. Je m’amuserais à en faire des fagots…

Elle reste silencieuse un instant, étourdie par la colère et la stupeur.

— Puis-je connaître les raisons de votre attitude ?

— Je préfère vous les donner à mon bureau…

— Vous avez un mandat d’amener ?

Je me mords moralement la langue.

— Madame Godemiche, je n’ai qu’un coup de téléphone à passer et dans l’heure qui suit, on m’en amène un, en bonne et due forme. Seulement ce serait pour vous le scandale immédiat, alors qu’il y a peut-être moyen de l’éviter…

— Très bien, fait-elle d’une voix tellement glacée que je regrette de ne pas avoir mis un pull à col roulé. Très bien, je vous suis… Mais je vous préviens, commissaire, que j’ai les bras longs et qu’il vous en cuira…

— Merci, chère madame, un homme averti en vaut deux.

A cet instant on frappe à la porte du salon. Sans attendre, le larbin paraît.

— Madame, fait-il, Monsieur votre père vous appelle au téléphone…

La veuve me considère avec mépris.

— Je suppose que je n’ai plus le droit de parler à mon père ?

— Mais si, voyons, me poiré-je, à condition toutefois que ce soit en ma présence…

Nous sortons à la file indienne. Une fois dans le hall, la veuve se dirige vers le bigophone décroché et s’empare du combiné.

— Allô ! fait-elle, j’écoute…

Elle répète plusieurs fois allô ! Secoue la fourche de l’appareil et, se tournant dans ma direction, dit à Ferdinand, lequel se tient derrière moi :

— On a coupé la communication ?

C’est tout ce que je perçois. Le Ferdinand que j’ai nettement sous-estimé vient de m’octroyer un coup de goumi au bas de la rotonde, qui disperse ma lucidité.

J’ai à peine eu le temps de percevoir le sifflement de sa matraque. Comme je commençais à me retourner, le bâton de réglisse m’est arrivé sur la nuque… Le bath tapis d’Orient se précipite à ma rencontre et nous faisons connaissance brutalement.

Ma communication aussi est coupée. Inutile de vous escrimer sur l’interrupteur, mes agneaux, me voilà en dérangement pour un bout de moment.

Je pense au tennisman borgne qui venait de prendre la balle dans son lampion valide.

Et puis je ne pense plus à rien…

N’ayant pas consulté ma montrouze au moment du coup, je ne puis vous dire combien de temps je me baguenaude au pays du cirage. Ce sont des évaluations durailles à faire lorsqu’on se trouve dans ma situation. Toujours est-il que c’est le mal de bol qui me réveille. Ma tronche ressemble au clocher de Notre-Dame au moment où l’on sonne la Libération de Paname. Je regarde un long moment les motifs tortueux du tapis… Mes idées se rassemblent pour un grand meeting mais sans ordre. Elles sont follement indisciplinées. Je pense à Félicie qui, hier matin, épluchait des oignons dans sa cuisine, au beau costume de Bérurier, au comte de Souvelle et à sa fille qui, j’oubliais de vous le signaler et je m’en excuse, possède un grain de beauté sur la fesse droite. Je pense aussi à la mort de Louis XVI qui a dû ressentir un peu de ce que je ressens… Puis au numéro de téléphone de M. Jean Mineur car les choses importantes de la vie sont toujours celles qui s’imposent à vous dans les cas d’urgence… Enfin le tocsin diminue d’intensité et j’arrive à m’agenouiller sur le tapis. Ma tête pèse une tonne. J’ai le plafard en plomb. Décidément, je l’avais sous-estimé, le Ferdinand. Pour un gnace qui manipule les plumeaux, il ne se défend pas trop mal. Il fait des poids et haltères par correspondance, c’est pas possible autrement. Oh ! ma douleur ! Il n’a pas pleuré le sirop de muscle, le frère ! Je porte la main à ma nuque. C’est tout poisseux. Décidément, il va falloir que je me fasse blinder la tourelle, ou que je ne sorte pas sans un casque à pointe…

J’arrive à me lever… Je déniche la cuisine et je fais couler de l’eau froide sur ma bouille endolorie. Ça ranime. Une bouteille de rhum providentielle achève de me redonner une allure humaine.

Naturlich je fouille toute la strasse sans rencontrer âme qui vive. Je redescends dans le hall afin de téléphoner, mais je m’aperçois qu’on a sectionné le fil du biniou.

Je me traîne hors de la cambuse. Le portail est grand ouvert et le garage jouxtant la demeure est vide. Ces foies-blancs se sont tirés. Je me sens gonflé de rancœur. Entre nous et la baisse des prix, je m’y suis pris comme un manche. Ce qu’il fallait, c’était embarquer la veuve d’autor jusqu’à la Maison Viens Poupoule et, là, lui sortir le grand jeu sur canapé. Je vous parie un séjour à la tour de Londres contre un déjeuner à la Tour d’Argent qu’elle aurait mis les pouces…

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