Il confia donc son secret à son ami:
– Tommy, dit-il, je puis guérir Sa Majesté; je connais le moyen.
Tommy demanda stupéfait:
– Comment, toi?
– Oui, moi.
– Mais, petit serin, les meilleurs médecins n’y arrivent pas.
– Cela m’est égal, moi j’y arriverai. Je puis le guérir en un quart d’heure.
– Allons, tais-toi. Tu dis des bêtises.
– La vérité. Rien que la vérité!
Jimmy avait un air si convaincu que Tommy se ravisa et lui demanda:
– Tu m’as pourtant l’air sûr de ton affaire, Jimmy. L’es-tu vraiment?
– Parole d’honneur.
– Indique-moi ton procédé. Comment prétends-tu guérir l’empereur?
– En lui faisant manger une tranche de melon d’eau.
Tommy, ébahi, se mit à rire à gorge déployée d’une idée aussi absurde. Il essaya pourtant de maîtriser son fou rire, lorsqu’il vit que Jimmy allait le prendre au tragique. Il lui tapa amicalement sur les genoux, sans se préoccuper de la suie, et lui dit:
– Ne t’offusque pas, mon cher, de mon hilarité. Je n’avais aucune mauvaise intention, Jimmy, je te l’assure. Mais, vois-tu, elle semblait si drôle, ton idée. Précisément dans ce camp où sévit la dysenterie, les médecins ont posé une affiche pour prévenir que ceux qui y introduiraient des melons d’eau seraient fouettés jusqu’au sang.
– Je le sais bien, les idiots! dit Jimmy, sur un ton d’indignation et de colère. Les melons d’eau abondent aux environs et pas un seul de ces soldats n’aurait dû mourir.
– Voyons, Jimmy, qui t’a fourré cette lubie en tête?
– Ce n’est pas une lubie, c’est un fait reconnu. Connais-tu le vieux Zulu aux cheveux gris? Eh bien, voilà longtemps qu’il guérit une masse de nos amis; ma mère l’a vu à l’œuvre et moi aussi. Il ne lui faut qu’une ou deux tranches de melon; il ne s’inquiète pas si le mal est enraciné ou récent; il le guérit sûrement.
– C’est très curieux. Mais si tu dis vrai, Jimmy, l’empereur devrait connaître cette particularité sans retard.
– Tu es enfin de mon avis? Ma mère en a bien fait part à plusieurs personnes, espérant que cela lui serait répété, mais tous ces gens-là ne sont que des travailleurs ignorants qui ne savent pas comment parvenir à l’empereur.
– Bien entendu, ils ne savent pas se débrouiller, ces empaillés, répondit Tommy avec un certain mépris. Moi j’y parviendrais.
– Toi? Un conducteur de voitures nocturnes, qui empestes à cent lieues à la ronde?
Et à son tour, Jimmy se tordait de rire; mais Tommy répliqua avec assurance:
– Ris si tu veux, je te dis que j’y arriverai.
Il paraissait si convaincu, que Jimmy en fut frappé et lui demanda avec gravité.
– Tu connais donc l’empereur?
– Moi le connaître, tu es fou? Bien sûr que non.
– Alors comment t’en tireras-tu?
– C’est très simple. Devine. Comment procéderais-tu, Jimmy?
– Je lui écrirais. J’avoue que je n’y avais jamais pensé auparavant; mais je parie bien que c’est ton système?
– Pour sûr que non. Et ta lettre, comment l’enverrais-tu?
– Par le courrier, pardi!
Tommy haussa les épaules et lui dit:
– Allons, tu ne te doutes donc pas que tous les gaillards de l’Empire en font autant. Voyons! Tu ne me feras pas croire que tu n’y avais pas réfléchi.
– Eh bien, non, répondit Jimmy ébahi.
– C’est vrai, j’oublie, mon cher, que tu es très jeune et par conséquent inexpérimenté. Un exemple, Jimmy; quand un simple général, un poète, un acteur ou quelqu’un qui jouit d’une certaine notoriété tombe malade, tous les loustics du pays encombrent les journaux de remèdes infaillibles, de recettes merveilleuses qui le doivent guérir. Que penses-tu qu’il arrive s’il s’agit d’un empereur?
– Je suppose qu’il en reçoit encore plus, dit Jimmy tout penaud.
– Ah! je te crois! Écoute-moi, Jimmy; chaque nuit nous ramassons à peu près la valeur de six fois la charge de nos voitures, de ces fameuses lettres, qu’on jette dans la cour de derrière du Palais, environ quatre-vingt mille lettres par nuit. Crois-tu que quelqu’un s’amuse à les lire? Pouah! Pas une âme! C’est ce qui arriverait à ta lettre si tu l’écrivais; tu ne le feras pas, je pense bien?
– Non, soupira Jimmy, déconcerté.
– Ça va bien, Jimmy; ne t’inquiète pas et pars de ce principe qu’il y a mille manières différentes d’écorcher un chat. Je lui ferai savoir la chose, je t’en réponds.
– Oh, si seulement, tu pouvais, Tommy! Je t’aimerais tant!
– Je le ferai, je te le répète. Ne te tourmente pas et compte sur moi.
– Oh! oui. J’y compte Tommy, tu es si roublard et beaucoup plus malin que les autres. Mais comment feras-tu, dis-moi?
Tommy commençait à se rengorger. Il s’installa confortablement pour causer, et entreprit son histoire:
– Connais-tu ce pauvre diable qui joue au boucher en se promenant avec un panier contenant du mou de veau et des foies avariés? Eh bien, pour commencer, je lui confierai mon secret.
Jimmy, de plus en plus médusé, lui répondit:
– Voyons, Tommy, c’est méchant de te moquer de moi. Tu sais combien j’y suis sensible et tu es peu charitable de te payer ma tête comme tu le fais.
Tommy lui tapa amicalement sur l’épaule et lui dit:
– Ne te tourmente donc pas, Jimmy, je sais ce que je dis, tu le verras bientôt. Cette espèce de boucher racontera mon histoire à la marchande de marrons du coin; je le lui demanderai d’ailleurs, parce que c’est sa meilleure amie. Celle-ci à son tour en parlera à sa tante, la riche fruitière du coin, celle qui demeure deux pâtés de maisons plus haut; la fruitière le dira à son meilleur ami, le marchand de gibier, qui le répétera à son parent, le sergent de ville. Celui-ci le dira à son capitaine, le capitaine au magistrat; le magistrat à son beau-frère, le juge du comté; le juge du comté en parlera au shérif, le shérif au lord-maire, le lord-maire au président du Conseil, et le président du Conseil le dira à…
– Par saint Georges! Tommy, c’est un plan merveilleux, comment as-tu pu…
– … Au contre-amiral qui le répétera au vice-amiral; le vice-amiral le transmettra à l’amiral des Bleus, qui le fera passer à l’amiral des Rouges; celui-ci en parlera à l’amiral des Blancs; ce dernier au premier lord de l’amirauté, qui le dira au président de la Chambre. Le président de la Chambre le dira…
– Continue, Tommy, tu y es presque.
– … Au piqueur en chef; celui-ci le racontera au premier groom; le premier groom au grand écuyer; le grand écuyer au premier lord de service; le premier lord de service au grand chambellan; le grand chambellan à l’intendant du palais; l’intendant du palais le confiera au petit page favori qui évente l’empereur; le page enfin se mettra à genoux et chuchotera la chose à l’oreille de Sa Majesté… et le tour sera joué!!!
– Il faut que je me lève pour t’applaudir deux fois, Tommy, voilà bien la plus belle idée qui ait jamais été conçue. Comment diable as-tu pu l’avoir?
– Assieds-toi et écoute; je vais te donner de bons principes, tu ne les oublieras pas tant que tu vivras. Eh! bien, qui est ton plus cher ami, celui auquel tu ne pourrais, ni ne voudrais rien refuser?
– Comment, Tommy? Mais c’est toi, tu le sais bien.
– Suppose un instant que tu veuilles demander un assez grand service au marchand de mou de veau. Comme tu ne le connais pas, il t’enverrait promener à tous les diables, car il est de cette espèce de gens; mais il se trouve qu’après toi, il est mon meilleur ami, et qu’il se ferait hacher en menus morceaux pour me rendre un service, n’importe lequel. Après cela, je te demande, quel est le moyen le plus sûr: d’aller le trouver toi-même et de le prier de parler à la marchande de marrons de ton remède de melon d’eau, ou bien de me demander de le faire pour toi?
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