Danton - Discours civiques

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Sa métaphore, au bruit du canon et du tocsin, devient guerrière et marque le pas avec les sections en marche, avec les volontaires levés à l’appel de la patrie en danger. Elle devient audacieuse, extrême, comme le jour où, dans l’enthousiasme de la Convention, d’abord abattue par la trahison de Dumouriez, il déclare à ses accusateurs: «Je me suis retranché dans la citadelle de la raison; j’en sortirai avec le canon de la vérité et je pulvériserai les scélérats qui ont voulu m’accuser».[9] Cela, Robespierre ne l’eût point écrit et dit. C’est chez Danton un mépris de la froide et élégante sobriété, mais faut-il conclure de là que c’était simplement de l’ignorance? Cette absence des formes classiques du discours et de la recherche du langage, c’est à la fièvre des événements, à la violence de la lutte qu’il faut l’attribuer, déclare un de ses plus courageux biographes[10]. On peut le croire. Mais pour quiconque considère Danton à l’action, cette excuse est inutile. Son oeuvre politique explique son éloquence. Si elle roule ces scories, ces éclats de rudes rocs, c’est qu’il méprise les rhéteurs, c’est, encore une fois, et il faut bien le répéter, parce qu’il a la religion de l’action; et ce culte seul domine chez lui. Il ne va point pour ce jusqu’à la grossièreté, cette grossièreté de jouisseur, de grand mangeur, de matérialiste, qu’on lui attribue si volontiers. «Aucune de ses harangues ne fournit d’indices de cette grossièreté», dit le Dr Robinet[11]. Et quand même cela eût été, quand même elles eussent eu cette violence et cette exagération que demande le peuple à ses orateurs, en quoi diminueraient-elles la mémoire du Conventionnel?» Je porte dans mon caractère une bonne portion de gaieté française», a-t-il répondu[12]. Mais cette gaieté française, c’est celle-là même du pays de Rabelais. Si Pantagruel est grossier, Danton a cette grossièreté-là.

Il sait qu’on ne parle point au peuple comme on parle à des magistrats ou a des législateurs, qu’il faut au peuple le langage rude, simple, franc et net du peuple. Paris n’a-t-il point bâillé à l’admirable morceau de froid lyrisme et de noble éloquence de Robespierre pour la fête de l’Être Suprême? C’est en vain que, sur les gradins du Tribunal révolutionnaire, Vergniaud déroula les plus harmonieuses périodes classiques d’une défense à la grande façon. Mais Danton n’eut à dire que quelques mots, à sa manière, et la salle se dressa tout à coup vers lui, contre la Convention. Il fallut le bâillon d’un décret pour museler le grand dogue qui allait réveiller la conscience populaire.

Là seul fut l’art de Danton. La Révolution venait d’en bas, il descendit vers elle et ne demeura pas, comme Maximilien Robespierre, à la place où elle l’avait trouvé. Par là, il sut mieux être l’écho des désirs, des besoins, le cri vivant de l’héroïsme exaspéré, le tonnerre de la colère portée à son summum. Il fut la Révolution tout entière, avec ses haines françaises, ses fureurs, ses espoirs et ses illusions. Robespierre, au contraire, la domina toujours et, jacobin, resta aristocrate parmi les jacobins. Derrière la guillotine du 10 thermidor s’érige la Minerve antique, porteuse du glaive et des tables d’airain. Derrière la guillotine du 16 germinal se dresse la France blessée, échevelée et libre, la France de 93. Ne cherchons pas plus loin. De là la popularité de Danton; de là l’hostilité haineuse où le peuple roula le cadavre sacrifié par la canaille de thermidor à l’idéal jacobin et français.

II

La Patrie! Point de discours où le mot ne revienne. La Patrie, la France, la République; point de plus haut idéal proposé à ses efforts, à son courage, à son civisme. Il aime son pays, non point avec cette fureur jalouse qui fait du patriotisme un monopole à exploiter, il l’aime avec respect, avec admiration. Il s’incline devant cette terre où fut le berceau de la liberté, il s’agenouille devant cette patrie qui, aux nations asservies, donne l’exemple de la libération. C’est bien ainsi qu’il se révèle comme imbu de l’esprit des encyclopédistes[13], comme le représentant politique le plus accrédité de l’école de l’Encyclopédie.[14] Le peuple qui, le premier, conquit sur la tyrannie la sainte liberté est à ses yeux le premier peuple de l’univers. Il est de ce peuple, lui. De là son orgueil, son amour, sa dévotion. Jamais homme n’aima sa race avec autant de fierté et de fougue; jamais citoyen ne consentit tant de sacrifices à son idéal. En effet, Danton n’avait pas comme un Fouché, un Lebon, un Tallien, à se tailler une existence nouvelle dans le régime nouveau; au contraire. Pourvu d’une charge fructueuse, au sommet de ce Tiers État qui était alors autre chose et plus que notre grande bourgeoisie contemporaine, la Révolution ne pouvait que lui apporter la ruine d’une existence laborieuse mais confortable, aisée, paisible. Elle vint, cette Révolution attendue, espérée, souhaitée, elle vint et cet homme fut à elle. Il aimait son foyer, cela nous le savons, on l’a prouvé, démontré; il quitta ce foyer, et il fut à la chose publique. Nous connaissons les angoisses de sa femme pendant la nuit du 10 août. Cette femme, il l’aimait, il l’aima au point de la faire exhumer, huit jours après sa mort, pour lui donner le baiser suprême de l’adieu; et pourtant, il laissa là sa femme pour se donner à la neuve République. Il quitta tout, sa vieille mère (et il l’adorait, on le sait), son foyer, pour courir dans la Belgique enflammer le courage des volontaires. Dans tout cela il apportait un esprit d’abnégation sans exemple. Il sacrifiait sa mémoire, sa gloire, son nom, son honneur à la Patrie. «Que m’importe d’être appelé buveur de sang, pourvu que la patrie soit sauvée!» Et il la sauvait. Il était féroce, oui, à la tribune, quand il parlait des ennemis de son pays. Il en appelait aux mesures violentes, extrêmes, au nom de son amour pour la France. Il était terrible parce qu’il aimait la Patrie avant l’humanité.

Et pourtant, on l’a dit, cet homme «sous des formes âprement révolutionnaires, cachait des pensées d’ordre social et d’union entre les patriotes». Qui, aujourd’hui, après les savants travaux de feu A. Bougeart [15] et du Dr Robinet, ne saurait souscrire a cette opinion d’Henri Martin? Son idéal, en effet, était l’ordre, la concorde entre les républicains. Jusque dans son dernier discours à la Convention, alors que déjà à l’horizon en déroute montait l’aube radieuse et terrible du 16 germinal, alors encore il faisait appel à la concorde, à la fraternité, à l’ordre. Sorti de la classe qui l’avait vu naître, il ne pouvait être un anarchiste, un destructeur de toute harmonie. Il aimait trop son pays pour n’avoir point l’orgueil de construire sur les ruines de la monarchie la cité nouvelle promise au labeur et à l’effort de la race libérée. Était-il propre à cette tâche? L’ouvrier de la première heure aurait-il moins de mérite que celui de la dernière? «C’était un homme bien extraordinaire, fait pour tout», disait de lui l’empereur exilé, revenu au jacobinisme auquel il avait dû de retrouver une France neuve[16].

La réorganisation, l’organisation faudrait-il dire, fut son grand but.

Qu’on lise ces discours, on y verra cette préoccupation constante: satisfaire les besoins de la République, les devancer, l’organiser. Cela, certes, est indéniable.

Ainsi que Carnot organisa la victoire, il médita d’organiser la République. Ce qui est non moins incontestable, c’est que le temps et les moyens lui firent défaut, et que, lassé du trop grand effort donné, son courage fléchit. Le jour où il souhaita le repos fut la veille de sa ruine.

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