Fortuné du - Double-Blanc

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Il n’y était pas tombé du ciel.

Qui l’y avait mis?

Et comment avait-on pu l’y mettre, sans qu’il s’en aperçût?

Les filous à Paris sont d’une dextérité sans égale, mais ils emploient leur adresse à vider les poches et non pas à les emplir.

Hervé s’épuisait à chercher l’explication de ce phénomène.

Il alla jusqu’à se demander si ce n’était pas le domino blanc qui avait exécuté ce tour de passe-passe. Dans quel but? Il ne s’en doutait pas et il allait se décider à en finir avec les suppositions en ouvrant tout bonnement le carnet, lorsque le souvenir de la bousculade du corridor des troisièmes loges lui revint tout à coup à l’esprit.

Ce fut un trait de lumière.

Hervé se rappela que le voleur poursuivi s’était jeté sur lui en le prenant à bras le corps, et que l’étreinte avait duré quelques secondes.

Il comprenait maintenant que cet homme avait profité de ce contact prémédité pour se défaire de l’objet qu’il venait d’escamoter dans la poche d’un monsieur.

Le drôle, s’attendant à être pris, s’était débarrassé du corps du délit. Si on l’eût arrêté, il aurait nié et ceux qui l’auraient fouillé n’auraient rien trouvé sur lui.

Le truc est connu, mais il peut réussir, surtout quand celui qui l’emploie n’a pas d’antécédents judiciaires.

Et c’était peut-être le cas.

– Parbleu! dit entre ses dents Hervé, voilà un habile coquin et encore plus hardi qu’habile, puisqu’il a eu l’audace de me guetter à la sortie du bal et de me suivre jusqu’à ma porte. Il avait résolu de me reprendre le butin dont il m’avait chargé, sans ma permission, et je commence à croire que si ce brave Alain n’était pas survenu j’aurais passé un mauvais quart d’heure.

Mais tout est bien qui finit bien, et il ne me reste plus qu’à aller conter ma mésaventure au commissaire de police en lui remettant ce carnet en cuir de Russie… à moins que je n’y trouve l’adresse du propriétaire… Mais quel singulier portefeuille!… il n’est pas de taille à contenir beaucoup de billets de mille et, avec ses fermoirs d’argent, il a plutôt l’air d’un carnet de boursier… ou d’un simple agenda… je m’étonne qu’il ait tenté un voleur à la tire… Il est vrai que ces messieurs-là pêchent au hasard et prennent ce qu’ils trouvent… et puis, c’est peut-être un livret de chèques…

Nous allons bien voir, conclut Hervé en décrochant les agrafes qui bouclaient cette espèce d’étui, relié comme un bouquin précieux.

C’était bien un carnet, formé par une série de feuilles collées les unes aux autres et dorées sur tranche, entre deux pochettes de cuir.

Cela ne ressemblait pas du tout à un livret de chèques et Hervé se dit: «Le voleur aurait été volé. Il croyait avoir mis la main sur une somme et il n’aurait trouvé que du papier blanc. J’imagine que le monsieur qu’il a dévalisé ne pleurera pas la perte de cet agenda… et me voilà dispensé de faire une visite au commissaire de police. L’objet ne vaut pas que je prenne la peine de me déranger… à moins que je n’y trouve l’adresse de son propriétaire… auquel cas, je le lui renverrai par la poste.»

Et il se mit à feuilleter les pages.

Sur quelques-unes étaient inscrits des chiffres alignés comme des lettres et séparés par des points ou par des signes, absolument comme dans les annonces qu’insèrent certains journaux et qui ne peuvent être comprises que par la personne qui possède la clef de cette cryptographie.

– À coup sûr, pensa Hervé, ce n’est pas un homme d’affaires qui a pris ces notes. Ces gens-là ne perdent pas leur temps à combiner des écritures incompréhensibles. Mais je commence à croire que je ne découvrirai pas ce que je cherche.

En continuant à tourner les pages, Hervé en trouva deux où on avait tracé des lignes qui avaient l’air de former des plans topographiques.

Ces lignes s’entrecroisaient à angle droit comme les rues qu’elles figuraient sans doute, et elles étaient accompagnées de légendes écrites en caractères intelligibles, mais très incomplètes.

Ainsi, sur l’un des plans, on lisait ces mots tronqués: Zach. – Huch, et sur l’autre: Bagn. Pl. -Eg.

Sur un troisième et un quatrième feuillet, il y avait deux dessins au trait représentant, l’un l’intérieur d’une chambre, l’autre un jardin planté d’arbres.

Une petite croix était marquée à la plume sur chacun des croquis, et certainement ces croix n’avaient pas été mises là pour rien. Hervé supposa qu’elles indiquaient des places où on avait caché quelque chose; mais quoi?… et où étaient situés cette chambre et ce jardin? Impossible de le deviner, et comme d’ailleurs il ne songeait pas à se mettre en quête de ces cachettes hypothétiques, il allait refermer ce carnet plein de problèmes qui ne l’intéressaient pas, lorsqu’il avisa, dans une des poches de cuir, un bout de papier qu’il n’avait pas aperçu tout d’abord et qu’il eut quelque peine à en extraire.

Ce papier était une lettre pliée en quatre et écrite en très bon français, d’une écriture très fine et très nette.

Le secret devait y être et Hervé ne se fit aucun scrupule d’en prendre connaissance.

Il lut ceci:

«Mon cher associé – le mot associé était souligné – vous m’avez cru mort depuis dix ans, mais les morts ressuscitent quand on ne les a pas bien tués. Je viens d’arriver à Paris, tout juste à temps pour vous rappeler que vous n’avez pas tenu tout ce que vous m’aviez promis. Dans huit mois, je n’aurai plus barre sur vous; c’est pourquoi je suis pressé d’en finir. Il me faut trois cent mille francs en échange de la preuve que vous savez et que j’ai précieusement conservée. Trois cent mille francs pour vous, c’est une bagatelle, et dès que je les tiendrai, je quitterai de nouveau la France pour n’y jamais revenir. Je ne veux plus me présenter chez vous, pour des motifs que vous devinez. Je vous invite donc à m’indiquer un endroit où nous nous aboucherons – non pas un endroit désert, où chacun de nous pourrait craindre que l’autre ne lui fit un mauvais parti, mais un lieu public, un théâtre, par exemple, où nous pourrions causer tranquillement dans une loge, ou dans un coin. Vous aurez soin d’apporter la somme en une traite à mon ordre sur une bonne maison de New-York ou de Boston, à votre choix. En billets de banque, elle tiendrait trop de place dans votre poche et dans la mienne. Moi, j’apporterai la preuve qui n’en tient pas plus qu’une traite. Donnant, donnant. Quand ce sera fait, nous nous quitterons bons amis comme autrefois et vous n’entendrez plus parler de moi.

«J’attends votre réponse d’ici à quarante-huit heures, à l’hôtel où je logeais autrefois et à mon ancien nom que vous n’avez certainement pas oublié, pas plus que je n’ai oublié la date du 24 octobre 1860… Dix ans bientôt!… comme le temps passe!

«À bon entendeur, salut! Rapportez-moi cette lettre.

«Sans rancune»! avait ajouté, en guise de signature, le rédacteur de ce billet doux. Et c’était tout.

Hervé entrevoyait déjà la vérité. Évidemment, il s’agissait d’une tentative de chantage. L’auteur de la lettre était un coquin et le monsieur qu’il menaçait ne valait pas mieux que lui. Quelle mauvaise action avait-il commise? Il était difficile de le deviner, mais il fallait qu’elle l’eût largement enrichi, puisque l’autre tarifait à trois cent mille francs le prix de son silence.

Et il était naturel de supposer que le propriétaire du carnet ne s’aviserait pas de réclamer une pièce si compromettante. Il avait été très imprudent de ne pas la détruire, et il aurait mérité qu’elle tombât entre les mains d’un troisième larron qui en aurait abusé pour l’exploiter. Son nom ne figurait ni dans la lettre ni sur l’agenda, mais les maîtres chanteurs sont bien fins et en ce temps-là, déjà, ils foisonnaient à Paris.

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