Pierre Brantome - Vies des dames galantes
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- Название:Vies des dames galantes
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- ISBN:http://www.gutenberg.org/ebooks/39220
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– J'ay ouy parler que le roy François une fois voulut aller coucher avec une dame de sa Cour qu'il aymoit. Il trouva son mary l'espée au poing pour l'aller tuer; mais le Roy lui porta la sien ne à la gorge, et luy commanda, sur sa vie, de ne luy faire aucun mal, et que s'il luy faisoit la moindre chose du monde, qu'il le tueroit, ou qu'il luy feroit trancher la teste; et pour ceste nuict l'envoya dehors, et prit sa place. Cette dame estoit bien heureuse d'avoir trouvé un si bon champion et protecteur de son c..; car oncques depuis le mary ne luy osa sonner mot, ains luy laissa du tout faire à sa guise. J'ai ouy dire que non seulement cette dame, mais plusieurs autres, obtindrent pareille sauve garde du Roy. Comme plusieurs font en guerre pour sauver leurs terres et y mettent les armoiries du Roy sur leurs portes, comme font ces femmes, celles de ces grands roys, au bord et au dedans de leur c… si bien que leurs marys ne leur osoient dire mot, qui, sans cela, les eussent passez au fil de l'espée.
– J'en ay cogneu d'autres dames, favorisées ainsi des roys et des grands, qui portoyent ainsi leurs passeports partout: toutefois, si en avoit-il aucunes qui passoyent le pas, auxquelles leurs marys, n'osant y apporter le couteau, s'aydoient des poisons et morts cachées et secrettes, faisant accroire que c'estoyent catherres, apoplexie et mort subite: et tels marys sont détestables, de voir à leurs costez coucher leurs belles femmes, languir et tirer à la mort de jour en jour et méritent mieux la mort que leurs femmes; ou bien les font mourir entre deux murailles, en chartre perpétuelle, comme nous en avons aucunes croniques anciennes de France et j'en ai oceu un grand de France, qui fit ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame, et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye à se faire déclarer cocu. De ces forcenez et furieux maris de cocus sont volontiers les vieillards, lesquels se deffiant de leurs forces et chaleurs, et s'asseurant de celles de leurs femmes, mesme quand ils ont esté si sots de les espouser jeunes et belles, ils en sont si jaloux et si ombrageux, tant par leur naturel que leurs vieilles pratiques, qu'ils ont traittées eux-mêmes autrefois ou veu traicter à d'autres, qu'ils meinent si misérablement ces pauvres créatures, que leur purgatoire leur seroit plus doux que non pas leur autorité. L'Espagnol dit: El diabolo sabe mucho, porque es viejo , c'est-à-dire que «le diable sçait beaucoup parce qu'il est vieux:» de mesmes ces vieillards, par leur aage et anciennes routines, sçavent force choses. Si sont ils grandement à blasmer de ce poinct, que, puisqu'ils ne peuvent contenter les femmes, pourquoi les vont-ils épouser? et les femmes aussi belles et jeunes ont grand tort de les aller espouser, sous l'ombre des biens, en pensant joüir après leur mort, qu'elles attendent d'heure à autre; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes qu'elles font, dont aucunes d'elles en patissent griefvement.
– J'ai ouy parler d'une, laquelle estant surprise sur le fait, son mari, vieillard, luy donna une poison de laquelle elle languit plus d'un an et vint seiche comme bois; et le mary l'alloit voir souvent, et se plaisoit en cette langueur, et en rioit, et disoit qu'elle n'avoit que ce qu'il luy falloit.
– Une autre, son mary l'enferma dans une chambre et la mit au pain et à l'eau, et bien souvent la faisoit despouiller toute nue et la fouettoit son saoul, n'ayant compassion de cette belle charnure nue, ni non plus d'émotion. Voyla le pis d'eux, car, estant dégarnis de chaleur et dépourveus de tentation comme une statue de marbre, n'ont pitié de nulle beauté, et passent leurs rages par de cruels martyres, au lieu qu'estans jeunes la passeroyent possible sur leur beau corps nud, comme j'ay dit cy devant. Voyla pourquoi il ne fait pas bon d'espouser de tels vieillards bizarres, car, encor que la veue leur baisse et vienne à manquer par l'aage, si en ont ils toujours prou pour espier et voir les frasques que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.
– Aussy j'ay ouy parler d'une grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans être jaloux; et tout procede pour la débolezze de ses forces. C'est pourquoy un grand prince que je sçay disoit qu'il voudroit ressembler le lion, qui, pour vieillir, ne blanchit jamais; le singe, qui tant plus il le fait tant plus il le veut faire; le chien tant plus il vieillit son cas se grossit; et le cerf, que tant plus il est vieux tant mieux il le fait, et les biches vont plustôt à luy qu'aux jeunes. Or, pour en parler franchement, ainsi que j'ay ouy dire à un grand personnage, quelle raison y a-t-il, ni quelle puissance a-t-il le mary si grande, qu'il doive et puisse tuer sa femme, veu qu'il ne l'a point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon de la répudier seulement? Il ne s'y parle point de meurtre, de sang, de mort, de tourments, de poison, de prisons ni de cruautez. Ah! que nostre Seigneur Jésus-Christ nous a bien remonstré qu'il y avoit de grands abus en ces façons de faire et en ces meurtres, et qu'il ne les approuvoit guières, lorsqu'on luy amena cette pauvre femme accusée d'adultere pour jeter sa sentence de punition; il leur dit en escrivant en terre de son doigt: «Celui de vous autres qui sera le plus net et le plus simple, qu'il prenne la premiere pierre et commence à la lapider;» ce que nul n'osa faire, se sentans atteints par telle sage et douce repréhension. Nostre Créateur nous apprenoit à tous de n'estre si légers à condamner et faire mourir les personnes, mesmes sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature et l'abus que plusieurs y commettent; car tel fait mourir sa femme qui est plus adultere qu'elle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se faschans d'elles pour en prendre d'autres nouvelles, et combien y en a-t-il! Sainct Augustin dit que l'homme adultere est aussi punissable que la femme.
– J'ay ouy parler d'un très-grand prince de par le monde, qui, soubçonnant sa femme faire l'amour avec un galant cavallier, il le fit assassiner sortant un soir de son palais, et puis la dame, laquelle, un peu auparavant à un tournoy qui se fit à la Cour, et elle fixement arregardant son serviteur qui manioit bien son cheval, se mit à dire: «Mon Dieu! qu'un tel pique bien! – Oüy, mais il pique trop haut;» ce qui l'estonna, et après fut empoisonnée par quelques parfums ou autrement par la bouche.
– J'ay cogneu un seigneur de bonne maison qui fit mourir sa femme, qui estoit très-belle et de bonne part et de bon lieu, en l'empoisonnant par sa nature, sans s'en ressentir, tant subtile et bien faite avoit esté icelle poison, pour espouser une grande dame qui avoit espousé un prince, dont en fut en peine, en prison et en danger sans ses amis: et le malheur voulut qu'il ne l'espousa pas, et en fut trompé et fort scandalisé, et mal veu des hommes et des dames. J'ai veu de grands personnages blasmer grandement nos roys anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel, pour avoir fait mourir leurs femmes: l'une, Marguerite, fille de Robert, duc de Bourgogne; et l'autre, Blanche, fille d'Othelin, comte de Bourgogne: leur mettant à sus leurs adulteres; et les firent mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau Gaillard: et le comte de Foix en fit de mesme à Jeanne d'Artoys. Surquoy il n'y avoit point tant de forfaits et de crimes comme ils le faisoient à croire; mais messieurs se faschoient de leurs femmes, et leur mettoient à sus ces belles besognes, et en espousèrent d'autres.
– Comme de frais, le roy Henry d'Angleterre fit mourir sa femme Anne de Boulan, et la décapiter, pour en espouser une autre, ainsi qu'il estoit fort sujet au sang et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils les répudiassent selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir? Mais il leur en faut de la viande fraîche à ces messieurs, qui veulent tenir table à part, sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens après qu'ils ont mangé ceux de leurs premières, ou n'en ont eu assez pour les rassasier, ainsi que fit Baudoüin, second roi de Jerusalem, qui, faisant croire à sa première femme qu'elle avoit paillardé, la répudia pour prendre une fille du duc de Maliterne 5 5 Lisez Melitene ; c'est comme les anciens appeloient cette ville, dont le nom moderne dans Moreri est Meletin , en latin Malatia , dans l'Arménie, sur l'Euphrate.
, parce qu'elle avoit une dot d'une grande somme d'argent, dont il estoit fort nécessiteux. Cela se trouve en l'histoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien de corriger la loy de Dieu, et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes!
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